L’autre projet pour l’histoire

Dépositaires d’un précieux matériau, les Archives nationales verront bientôt leur grand projet aboutir à Pierrefitte-sur-Seine

Par Sophie Flouquet · Le Journal des Arts

Le 5 janvier 2010 - 1077 mots

« C’est là, la différence entre un musée et les Archives nationales, décider que l’Histoire est importante jusque dans ses moindres détails, soigner avec la même tendresse une lettre d’amour, et les rapports de Napoléon, imaginer une vie changer dans une demande de naturalisation. » Cette phrase, prononcée lors de la cérémonie de pose de la première pierre du chantier du futur bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), en septembre 2009, n’est celle ni d’un universitaire ni d’un responsable politique. Elle est due au slameur Ami Karim, auteur d’un texte rédigé pour l’occasion et qui résume parfaitement l’importance de cette institution. Point de convergence entre histoire, identité et mémoire, celle-ci reste garante de la transmission des sources majeures de l’histoire de France. « Les Archives nationales sont avant tout un lieu républicain », précise Isabelle Neuschwander, qui dirige l’organisme depuis 2006.

Un projet peu médiatisé
Créées à la Révolution française pour conserver la mémoire de l’Ancien Régime et celle de l’Assemblée, les Archives nationales ont été confortées par Napoléon puis par les régimes successifs, devenant au fil des siècles une référence mondiale en termes d’archivistique. Autant de raisons qui font du projet de Pierrefitte-sur-Seine l’un des chantiers les plus ambitieux portés à l’heure actuelle par le ministère de la Culture. Il est le seul à être financé à 100 % par l’État, via ce ministère mais aussi tous les ministères versant des archives, pour un budget global de 242 millions d’euros. Ce projet, qui devrait être achevé pour 2012, soit la fin du mandat de Nicolas Sarkozy, est cependant assez peu médiatisé, surtout depuis que le président a annoncé son intention de créer ex nihilo un musée de l’histoire de France. À croire que les Archives, symbole républicain par excellence, ne pouvaient à elles seules porter l’ambition de réconcilier les Français avec leur histoire.

« Le temps des archives est enfin venu ! », commente pourtant avec sobriété Isabelle Neuschwander, qui peut se réjouir de l’avancement réel du projet, même dans la discrétion. En 1998, le directeur des Archives de l’époque, Philippe Bélaval (1) – lequel prendra prochainement la tête de la direction des Patrimoines du ministère de la Culture –, remet un rapport à Catherine Trautmann, alors ministre de la Culture. Et en 2004, après que son action a été relayée par un lobbying mené par plusieurs historiens de renom, parmi lesquels Annette Wieviorka, René Rémond et Georgette Elgey, réunis au sein de l’association Une cité pour les Archives nationales, Jacques Chirac annonce avec solennité le lancement d’un grand projet pour les Archives nationales. Mais il s’agit plus de résoudre un problème endémique que de satisfaire une corporation. Répartis sur deux sites, à Paris et Fontainebleau, les bâtiments de dépôt sont saturés, plus de 4 kilomètres linéaires de documents venant s’y agréger tous les ans.

Au total, plus de 300 kilomètres d’archives sont stockés dans des conditions thermiques peu satisfaisantes, alors que certains versements ne peuvent plus être accueillis, faute de place. Grâce à cette volonté politique, un site idoine est rapidement trouvé en Seine-Saint-Denis. D’anciens terrains maraîchers, situés face à l’université Paris-VIII et au débouché de la ligne de métro no 13, sont offerts par les collectivités locales. Soit l’une des dernières zones vierges de la proche banlieue de Paris, située symboliquement à quelques encablures de la basilique Saint-Denis, berceau de l’historiographie française. De quoi faire rêver les promoteurs du projet de « Centre national de conservation, de restauration et de recherches patrimoniales », lesquels, en reprenant les mêmes critères de choix (accessibilité, environnement scientifique, proximité avec les services versants) quelques années plus tard, devront s’installer à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), loin, très loin du périphérique. Pour les Archives, le bâtiment conçu par l’Italien Massimiliano Fuksas prendra la forme d’un grand monolithe contenant plus de 320 kilomètres de rayonnages. En grande partie opaque, il devrait être économe grâce à son inertie thermique.

Numériser les instruments de recherche
Le bâtiment de Pierrefitte ne constitue qu’une partie du grand projet pour les Archives. Les deux autres sites seront en effet conservés et réorganisés en pôles. Fontainebleau, longtemps critiqué pour son manque d’accessibilité, accueillera ainsi les fonds dédiés à la problématique « hommes et territoires » (équipement, environnement, tourisme, écologie, agriculture, commerce…). À Paris, le site du Marais, constitué d’un ensemble d’hôtels particuliers et d’adjonctions du XIXe siècle, conservera les archives antérieures à 1790 et le Minutier central des notaires. Pas question, en effet, de se dessaisir de ce site choisi par Napoléon et remodelé au fil du temps pour accueillir les archives. Plus de 50 millions d’euros du budget global sont donc consacrés au déménagement des fonds et à leur reconditionnement. Sans oublier le lancement d’une politique de dématérialisation exemplaire. « Les documents d’archives ne s’interprètent que par rapport à leurs fonds, souligne Isabelle Neuschwander. Il faut donc préserver cet aspect-là dans le cadre de la numérisation. » Plutôt que de se lancer dans une périlleuse entreprise de numérisation des archives, l’institution a donc choisi de numériser les instruments de recherche (inventaires, catalogues…), lien fondamental vers la compréhension des documents originaux. Et pour cela, sera-t-il nécessaire de recourir au secteur privé ? « Il n’y a que nous qui savons le faire », tranche la directrice. Seuls les fonds les plus fragiles, car les plus consultés (Légion d’honneur, archives de la guerre…), seront ainsi numérisés.

« Le vrai enjeu de l’archivage réside aujourd’hui dans la gestion des archives qui sont déjà dématérialisées comme la correspondance des ministères », précise Isabelle Neuschwander. Car dans trente ans, le site de Pierrefitte, qui dispose toutefois d’une réserve foncière, sera à son tour saturé. « Nous avons choisi cet horizon, car nous ne savons pas encore mesurer l’impact de l’archivage électronique », explique Isabelle Neuschwander. Reste à savoir pourquoi le site du Marais ne figure pas parmi les lieux retenus pour abriter le futur musée présidentiel. « Depuis 1867, il existe aux Archives nationales un musée des grands documents français, rappelle sa directrice. Nous avons toujours travaillé à la transmission au public des documents fondamentaux de l’histoire de France, à rendre visibles les sources premières. Nous continuerons cette mission. » Plus de 190 000 visiteurs par an sont ainsi accueillis sur le site – pour lequel un nouveau projet scientifique et culturel sera toutefois rédigé – dans le cadre de visites du musée, d’expositions, de colloques ou de visites patrimoniales ou pédagogiques. « Nous avons été consultés reconnaît Isabelle Neuschwander, mais cet espace est contraint et fragile. » 

(1) Philippe Bélaval, « Pour une stratégie d’avenir des Archives nationales ».

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°316 du 8 janvier 2010, avec le titre suivant : L’autre projet pour l’histoire

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