Politique

ARCHITECTURE ET PATRIMOINE

La Loi Elan suscite des crispations

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 8 juin 2018 - 921 mots

PARIS

Des dispositions du projet de loi Elan, voté en première lecture par l’Assemblée nationale, provoquent l’inquiétude des architectes et des associations de défense du patrimoine, qui font désormais front commun.

Jacques Mézard et Julien Denormandie présentant la loi ELAN lors du conseil des ministres du 4 avril 2018 à l'Elysée.
Jacques Mézard et Julien Denormandie présentant la loi ELAN lors du conseil des ministres du 4 avril 2018 à l'Elysée.
Photo Ludovic Marin
© AFP

Le premier coup de semonce est venu du Sénat : le 19 avril, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat évoque dans un communiqué succinct « les inquiétudes unanimes » de ses membres face aux dispositions du projet de loi « Elan », présenté le 4 avril en Conseil des ministres par le ministre de la Cohésion des territoires, Jacques Mézard, et son secrétaire d’État, Julien Denormandie. Depuis, le malaise a gagné architectes et associations de défense du patrimoine autour de deux articles qui cristallisent leur colère, les articles 15 et 28.

Elan, pour « Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique », est un projet de loi visant à « construire plus, mieux et moins cher », selon les éléments de langage du gouvernement. Simplifier les normes, accélérer les procédures tout en luttant contre les recours abusifs, et faciliter la transformation de bureaux vides en logements sont les principaux objectifs de cette réforme urbanistique.

Un détricotage de la loi LCPA

Cependant, plusieurs articles du projet de loi ont suscité la controverse et la polémique enfle depuis avril. En effet, le texte, qui sort de son examen à l’Assemblée nationale, propose certains aménagements qui viennent détricoter des dispositions de la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine (LCAP) promulguée en  juillet 2016 et dont certains décrets d’application ont moins d’un an. Pour bon nombre de détracteurs de la loi Elan, la loi LCAP avait garanti un fragile équilibre entre patrimoine et urbanisme, à la suite d’un débat transpartisan. La nouvelle mouture législative briserait cet équilibre pour favoriser bailleurs sociaux et promoteurs immobiliers au détriment de la qualité architecturale et ouvrirait des brèches dans le Code du patrimoine.

Ainsi l’article 28 permet aux organismes de logement social de déroger à l’obligation de recourir au concours d’architecture. Dans son étude d’impact, le gouvernement pointe un allongement de six à huit mois pour les projets immobiliers soumis à concours d’architecture, et un coût supplémentaire de 1 000 à 1 300 euros par logement, coût lié à la procédure du concours. « Le concours est une étape essentielle qu’il faut préserver ; par contre il y a des gisements d’économies à creuser dans les procédures », soutient l’architecte Dominique Jakob, qui participe au collectif « Elan des architectes ». L’obligation de concours pour les bailleurs sociaux est une disposition acquise par la loi LCAP. « Or, a-t-on trouvé mieux aujourd’hui et plus adapté au contexte participatif que la procédure de concours pour choisir le projet répondant le mieux à des attentes claires ? », interrogaient dans un communiqué commun appelant à une mobilisation nationale le 17 mai dernier quatre organisations syndicales d’architectes (Unsfa, SFA, DpA, Uneap et Synamome). Ce jour-là, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, annonce le lancement de deux groupes de travail pour « une architecture pour tous » dont les propositions sont attendues en octobre. Bien trop tardif pour bon nombre d’architectes : Elan, texte législatif en procédure accélérée, sera en lecture au Sénat en juillet.

Le rôle des ABF atténué

L’article 15 est quant à lui un vieux serpent de mer qui ressurgit régulièrement dans le débat parlementaire. L’avis conforme des architectes des Bâtiments de France (ABF) serait, à travers cet article, soumis à un régime de dérogation pour l’habitat insalubre dans les secteurs protégés et pour les projets d’installation d’antennes-relais. Selon les associations de défense du patrimoine, ces dispositions ouvrent une boîte de Pandore. Cet article « remet en cause, pour la première fois, le caractère contraignant des avis de l’architecte des Bâtiments de France concernant certains bâtiments dégradés. Ceux-ci pourraient être détruits et remplacés, sans contrainte patrimoniale, dans les abords des monuments historiques ou dans les sites patrimoniaux remarquables. Une ville comme Perpignan serait touchée aux deux tiers par ces exceptions », alertent dans un communiqué commun la SPPEF (Société pour la protection des paysages et l’esthétique de la France), France Nature Environnement et le Conseil national de l’Ordre des architectes. L’exemple à première vue anecdotique des antennes-relais nichées dans les clochers d’église alimente aussi la crainte de dommages faits au patrimoine bâti.

Les derniers chiffres fournis par l’Association nationale des architectes des Bâtiments de France (ANABF) battent en brèche l’idée que ce corps d’architectes créerait des freins et des tensions dans le secteur de la construction. Les 180 ABF traitent chaque année 200 000 dossiers d’autorisations de travaux. 60 % des dossiers sont traités en moins de vingt jours, et seulement 6,6 % reçoivent un avis défavorable. Après échanges entre services de l’État, ABF et particuliers, une issue est trouvée : seulement 0,1 % des projets font l’objet d’un refus. Les recours sont également très peu nombreux : 105 par an, soit 0,01 % des avis émis.

L’inquiétude s’accroît d’autant plus au sein des associations de défense du patrimoine que le Sénat prépare en parallèle une proposition de loi intitulée « Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs » dans laquelle l’avis conforme des ABF serait ramené à un simple avis consultatif dans le périmètre des opérations de sauvegarde économique et de redynamisation (Oser) nouvellement créées.

Le projet de loi Elan n’a été modifié qu’à la marge par l’Assemblée nationale. Le texte sera examiné au Sénat au début du mois de juillet. Les associations de défense du patrimoine et les organisations d’architectes font désormais front commun et espèrent que la chambre haute, où le gouvernement ne dispose pas de la majorité, saura entendre leurs craintes.

 

 

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°503 du 8 juin 2018, avec le titre suivant : La Loi Elan suscite des crispations

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