Justice

Jubé de Chartres, la Cour de Cassation donne tort à la galerie

Par Éléonore Marcilhac, avocate à la cour · lejournaldesarts.fr

Le 22 février 2019 - 877 mots

PARIS

La Galerie Brimo de Laroussilhe doit restituer à l’Etat un fragment du jubé de Chartres considéré comme un bien public.

Horloge astronomique dans le déambulatoire de la cathédrale de Chartres - Photo Selbymay
Horloge astronomique dans le déambulatoire de la cathédrale de Chartres
Photo Selbymay

Les biens du domaine public font l’objet d’une double protection juridique issue de l’article L.3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP). D’une part, ces biens sont inaliénables, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent être vendus ou échangés. D’autre part, ils sont imprescriptibles, c’est-à-dire que la personne publique peut les revendiquer à tout moment. Cette imprescriptibilité interdit par ailleurs qu’une personne privée puisse se prévaloir de la possession prolongée d’un tel bien. 

Dans cette affaire, la Galerie Brimo de Laroussilhe a acquis en 2002 une pierre sculptée appelée le « fragment de l’aigle » provenant du jubé gothique de la cathédrale de Chartes détruit en 1763. En 2003, suite à la demande de la galerie, le ministère de la Culture a refusé de délivrer un certificat d’exportation pour ce bien considérant qu’il s’agissait d’un « trésor national ». S’en est suivi, une période de négociation entre les différents intervenants, lors de laquelle le ministère a fait une offre d’achat d’un million d’euros pour ce fragment d’une valeur évaluée en 2006 à 7 millions d’euros. 

Ce n’est qu’en 2007, à l’issue de ces négociations, que la Direction de l’architecture et du patrimoine a indiqué que le fragment appartenait au domaine public de l’État et en a revendiqué la restitution. Puis face au refus de la galerie, la Direction nationale d’interventions domaniales l’a assigné en 2008 afin de voir reconnaître sa propriété et ordonner la restitution du fragment sans indemnité.

Dix ans après, la Cour d’appel de Paris s’est prononcée en faveur de l’État en considérant que le fragment avait été intégré dans le domaine public mobilier lors de son extraction en 1848. En conséquence, elle a ordonné à la galerie de restituer le fragment litigieux tout en rejetant sa demande en indemnisation pour procédure abusive de plus de 2,4 millions d’euros. 

S’estimant propriétaire de bonne foi, la galerie a formé un pourvoi en cassation contre la décision d’appel. 

Selon elle en effet, la règle de l’article 2276 du code civil, « En fait de meuble, la possession vaut titre » s’applique. Par ailleurs, elle estime bénéficier de la sécurité juridique issue de son titre de propriété. Dès lors, elle considère que les principes d’inaliénabilité et d’imprescriptibilité des biens du domaine public ne peuvent pas lui être opposés et faire obstacle à son acquisition de bonne foi. A défaut, elle soutient que « le fait pour l’État, de retirer à une personne un meuble corporel qu’elle avait acquis de bonne foi constitue une privation de propriété au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH) » et qu’en conséquence, l’ingérence de l’État est disproportionnée.

Sans surprise cependant, la Cour de Cassation a rejeté cette argumentation en confirmant le principe selon lequel la protection du domaine public mobilier s’impose à toute possession par un tiers d’un bien au domaine, fut-elle de bonne foi. 

En effet, même si l’action en revendication est soumise aux dispositions de la CEDH, la Cour rappelle que le principe de l’ingérence de l’État au titre de l’inaliénabilité du bien et l’imprescriptibilité de l’action est prévu par l’article L.3111-1 du CGPPP.

Ainsi « aucun droit de propriété sur un bien appartenant au domaine public ne peut valablement être constitué au profit de tiers » et en conséquence, elle retient que « ce bien ne peut faire l’objet d’une prescription acquisitive en application de l’article 2276 du code civil au profit de ses possesseurs successifs, même de bonne foi » comme l’avait d’ailleurs précisé le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 26 octobre 2018, suite à la question prioritaire de constitutionalité posée par la galerie à ce sujet.

Enfin, la Cour de Cassation précise que l’action en revendication de l’État, lui permettant « de recouvrer la plénitude de son droit de propriété », ne constitue pas une ingérence disproportionnée comme le soutient la galerie, car la protection de l’intégrité du domaine public relève de l’intérêt général et cette ingérence poursuit un but légitime au sens des dispositions de la CEDH.

En parallèle de cette procédure devant les juridictions civiles, la galerie avait engagé un recours devant le Tribunal administratif de Paris pour obtenir l’annulation du refus du certificat d’exportation qu’elle avait demandé en 2007, qui lui avait été opposé par le Directeur de l’Architecture et du Patrimoine. Le 29 janvier 2019, la Cour administrative d’appel de Paris a rejeté sa demande en retenant que le fragment était un bien inaliénable et imprescriptible appartenant au domaine public, et qu’il ne pouvait pas faire l’objet d’une quelconque prescription acquisitive.  Elle a précisé, en outre, que « Par l’effet du principe d’inaliénabilité, toute cession d’un bien du domaine public non déclassé est nulle, les acquéreurs même de bonne foi, étant tenus de le restituer ».

En définitive, la galerie devra restituer le fragment du jubé de Chartres à son propriétaire public sans obtenir la moindre indemnisation. Elle a encore, cependant, la faculté d’engager une éventuelle action devant la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour tenter d’obtenir la condamnation de la France au regard de sa qualité de possesseur diligent et de bonne foi du fragment et du comportement de l’État avant la revendication.

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