Politique

Ile-de-France, l’éducation artistique en trompe l’œil

Par Véronique Pierron · Le Journal des Arts

Le 16 décembre 2019 - 1021 mots

PARIS

En mai, la Région francilienne n’avait dépensé que 21 % du budget EAC 2018. L’opposition dénonce une manœuvre comptable. La Région affirme que l’exécution sera effective sur les deux rentrées scolaires.

Présentation de la mallette Flash Collection au lycée Jean Monnet dans les Yvelines, dans le cadre de l'Enseignement artistique et culturel. © Photo Martin Argyroglo, 2018.
Présentation de la mallette Flash Collection au lycée Jean Monnet dans les Yvelines, dans le cadre de l'Enseignement artistique et culturel.
© Photo Martin Argyroglo, 2018.

Faire entrer l’éducation artistique et culturelle par la grande porte des lycées… Une mission plus qu’honorable que la Région Île-de-France a entrepris de réaliser. En décembre 2018, sur un budget global de la Culture de 95 millions d’euros pour 2019, une enveloppe budgétaire globale de 6 millions d’euros a été allouée au soutien de la jeune création et à l’Éducation artistique et culturelle (EAC) des lycéens et apprentis. Soit 2,5 millions d’euros pour la seule EAC – contre 1,5 million d’euros sur le budget 2018 – et 3,5 millions d’euros pour les programmes destinés à soutenir l’EAC dans les 601 lycées dont la Région est chargée.

Le parcours national d’EAC est constitué des connaissances artistiques et culturelles acquises par l’élève, des pratiques expérimentées et des rencontres faites dans les domaines des arts et du patrimoine. De ce fait, le budget de l’EAC de la Région Île-de-France est destiné à financer la mise en œuvre de ces programmes à l’intérieur des lycées. Des actions spécifiques externes entrent également dans cette enveloppe comme « 100 leçons de littérature », d’un budget de 190 000 euros, ou « Lycéens et apprentis au cinéma » (816 000 €). L’objectif est de « lutter contre l’ignorance et donner une dignité à chacun en passant par l’émancipation culturelle », explique Florence Portelli, vice-présidente de la Région chargée de la culture, du patrimoine et de la création.

Des intentions fort louables… mais une exécution très faible pointée par le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) pour le budget 2018 de l’EAC. Si l’assemblée consultative constatait, dans son avis du 23 mai 2019, la bonne exécution budgétaire des programmes relatifs aux activités artistiques, elle était nettement plus réservée sur l’EAC. « L’éducation artistique et culturelle des lycéens connaît une très faible exécution budgétaire avec 318 000 euros de crédits mandatés sur 1,5 million d’euros de crédits ouverts au budget primitif 2018 (soit 21,2 %). Le Ceser s’étonne de l’insuffisance de ces derniers, l’exécutif ayant présenté l’Éducation artistique et culturelle comme étant une de ses priorités. »

« Un tour de passe-passe budgétaire »

Si l’on en croit Julien Dray, ancien vice-président chargé de la culture à la Région Île-de-France, « la nouvelle présidence a mis en place un système comptable qui consiste à augmenter les crédits d’investissements et les autorisations de programme très peu utilisés, car cela concerne des infrastructures. Or la Région a très peu de politique propre en termes d’infrastructures car elle contractualise avec l’État et les collectivités ». Il suffit donc que l’État et la Région ne les mettent pas en œuvre pour que les crédits annoncés ne soient pas utilisés. « Ainsi, au moment de la régularisation budgétaire, la Région récupère discrètement ces crédits, ce qui permet d’afficher constamment un budget très élevé. C’est d’autant plus vrai que, la plupart du temps, la Région n’arrive pas à dépenser le budget de l’enseignement artistique », dénonce-t-il.

Florence Portelli confirme que seuls 318 000 euros ont été mandatés en 2018 et explique cette sous-exécution « par la nouveauté du dispositif, par le vote massif des subventions en crédits de paiement du 19 septembre 2018 pour la rentrée scolaire, et enfin par les délais de réalisation des projets sur deux rentrées scolaires ». Selon la Région en effet, la mise en œuvre des programmes se fait sur deux exercices civils, couvrant les rentrées scolaires 2018 et 2019, une pratique qui a un impact sur l’émission des appels de fonds recouvrant les demandes d’avances et d’acomptes principalement prévus en 2019 et les demandes de soldes pouvant même intervenir en 2020.

Raphaëlle Ndaw, qui assiste à toutes les commissions culturelles de la Région pour le groupe socialiste depuis deux ans, souligne toutefois que « la Région Île-de-France confond les autorisations d’engagement et les crédits de paiement, ce qui est très différent car, en matière d’engagement, ce n’est pas parce qu’elle va octroyer par exemple 1 million d’euros pour les livres qu’elle va les utiliser ».« Ces méthodes dont la culture est emblématique ne sont pas propres à l’Île-de-France mais sont pratiquées par de nombreuses Régions », remarque-t-elle. Toujours est-il que, selon la Région, au 15 octobre 2019, 1,45 million d’euros a été mandaté sur l’EAC, correspondant principalement aux engagements votés en 2018. De ce fait, le 1,5 million d’euros voté pour le budget EAC 2018 aurait donc été octroyé en subvention.

Confusion de lignes budgétaires

Les mêmes questions se posent relativement au budget total de l’EAC. « Les 6 millions d’euros incluent des projets qui relèvent d’autres lignes budgétaires comme les “Lycéens et apprentis au cinéma” sur le budget cinéma ou le prix littéraire des lycéens sur le budget livre », explique encore la vice-présidente de la région. Le groupe socialiste affirme, lui, qu’un tiers du budget 2018 n’a pas été exécuté. Selon lui, il s’agirait de plus de 3 millions d’euros sur les actions en faveur du livre, 1 million d’euros pour le spectacle vivant et 700 000 euros pour les manifestations d’arts plastiques. Julien Dray pilonne : « La Région fait du superficiel, dépense moins et rattrape au budget suivant. C’est une politique en trompe l’œil. »

Un constat partagé par les acteurs de terrain. Si Lucie Lambert, coordinatrice du réseau Actes If qui réunit 31 lieux artistiques et culturels indépendants en Île-de-France, admet que « les outils de l’EAC vont dans le bon sens », elle pointe une mise en œuvre complexe. « L’EAC et les Creac, ces projets portés par un établissement culturel et des lycées, sont très difficiles à réaliser car si ces derniers touchent des aides pour les mettre en place, ils ne disposent d’aucune ressource pour leur coordination ». Ajoutant : « obtenir [ces aides] est un vrai parcours du combattant pour les lieux artistiques ».

Un point de vue partagé par Videadoc, seule structure francilienne à soutenir la création de documentaires, que la Région a cessé de financer sans explication. Raphaëlle Ndaw espère que Florence Portelli « inversera la tendance », car depuis son arrivée en remplacement d’Agnès Evren élue au Parlement européen, elle a constaté que « subitement beaucoup plus de subventions ont été affectées ». À voir donc « si l’an prochain les taux d’exécutions seront meilleurs »…

Les budgets des programmes éducation artistique et culturelle de la région Île-de-France © Le Journal des Arts
Les budgets des programmes éducation artistique et culturelle de la région Île-de-France
© Le Journal des Arts

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°535 du 13 décembre 2019, avec le titre suivant : L’éducation culturelle dans les lycées d’Île-de-France, un budget en trompe l’œil ?

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