Société

« Vous avez dit : "Éducation artistique et culturelle ?" »

Par Pascal Ory · Le Journal des Arts

Le 21 juillet 2021 - 618 mots

FRANCE

Une cérémonie anniversaire, propice aux retrouvailles, m’a permis de revoir Catherine Tasca, ministre de la Culture au début de ce siècle, l’une des rares personnalités parmi les quelque vingt-six titulaires de ce poste – je n’en vois que deux autres – dont on peut dire qu’elle avait, avant d’y accéder, exercé des responsabilités qui lui permettaient de savoir de quoi il retournait.

Présentation de la mallette Flash Collection au lycée Jean Monnet dans les Yvelines, dans le cadre de l'Enseignement artistique et culturel. © Photo Martin Argyroglo, 2018.
Présentation de la mallette Flash Collection au lycée Jean Monnet dans les Yvelines, dans le cadre de l'Enseignement artistique et culturel.
© Photo Martin Argyroglo, 2018.

Sous Malraux elle fut le premier énarque qui fit le choix d’entrer dans ce ministère à l’évidence sans avenir puisqu’il était de notoriété publique qu’il ne survivrait pas, en tant qu’administration autonome, à son premier titulaire. Elle aggrava son cas en acceptant ensuite d’aller diriger une Maison de la culture restée exemplaire, celle de Grenoble, à l’époque de Gabriel Monnet et de Georges Lavaudant. Lors de son court passage Rue de Valois, Catherine Tasca aura associé son nom à un grand plan quinquennal signé par les deux ministères de la Culture et de l’Éducation nationale, autour d’une nouvelle formule, conservée depuis lors : l’« Éducation artistique et culturelle », technocratisée ensuite en « EAC ».

Cette initiative, remarquée à l’époque par les moyens qui y furent investis, a été suivie par une série de programmes analogues, le dernier en date, au début de cette année, étant la généralisation à tout le territoire national du dispositif « Jeunes en librairie », testé antérieurement dans deux régions. En 2000 comme en 2021, on voit que la clé de cette démarche passe – dans un pays de vieille tradition d’État comme le nôtre – par un accord interministériel. On voit aussi qu’il est fondé sur l’hypothèse de la symétrie entre la petite Rue de Valois et le « mammouth » de la Rue de Grenelle, ce que confirme l’histoire de ce programme, que l’on peut associer à la nouvelle conjoncture née de l’autonomisation, en 1959, d’un département des « Affaires culturelles ». Jusque-là, le statut des enseignements artistiques restait des plus modestes, même si la principale initiative en ce domaine remontait significativement aux débuts de la Troisième République, Jules Ferry ayant soutenu l’entrée du dessin et du chant choral dans l’enseignement de l’école élémentaire. L’audience croissante des voix réclamant l’extension de l’éducation artistique tiendra ainsi à l’émergence, à partir des années 1930, d’un projet d’« éducation populaire », mais aussi, plus tard, à la frustration du monde artistique qui disposait désormais de « son » ministère, d’être, pour l’essentiel, maintenu à la porte des établissements scolaires.

C’est donc au long des années 1960 et 1970 que s’affinera la revendication, déclinée sur trois plans : le savoir sur les arts, le contact avec les œuvres et l’accès à la pratique artistique elle-même. L’élargissement ultérieur à la notion d’« éducation culturelle » découlera d’une conception plus sophistiquée de la démarche éducative où le rapport à l’art intègre la prise en compte des enjeux économiques, politiques et symboliques, propres à transcender la partition du champ en « silos » artistiques étanches les uns par rapport aux autres.

À partir de là, il y a deux manières de relire cette histoire, et donc ce présent. La manière optimiste énumérera les multiples dispositifs mis en place, au bas mot depuis les « loisirs dirigés » de 1937, le tout sommé par l’institution, en 2005, d’un Haut Conseil ad hoc. Et il est vrai que l’imagination créatrice des deux administrations n’a pas été avare, depuis les classes à horaires aménagés jusqu’aux ateliers de pratique artistique. La manière pessimiste verra dans cette récurrence des plans et des accords l’aveu du maintien de distances et de condescendances en miroir entre corps enseignant, société artistique et société politique, sans parler de questions plus fondamentales encore, touchant à l’instrumentalisation des pratiques artistiques, supposées apporter des réponses miracles aux problèmes du temps présent, ou à la montée des revendications culturelles communautaristes. Mais, bien entendu, il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre…

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°571 du 9 juillet 2021, avec le titre suivant : « Vous avez dit : "Éducation artistique et culturelle ?" »

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