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À Grenoble, la culture à l’épreuve de l’écologie

Par Véronique Pierron · Le Journal des Arts

Le 7 septembre 2020 - 1126 mots

GRENOBLE

Comment une grande ville à la municipalité écologiste gère-t-elle sa politique culturelle ? Le moins que l’on puisse dire est que le bilan est plutôt maussade.

Éric Piolle. © Enzo Lesourt
Éric Piolle.

Grenoble. Difficile de trouver un Grenoblois qui salue le bilan culturel du maire écologiste Éric Piolle réélu cette année. « L’équipe municipale a abordé la politique culturelle dans la confusion et certaines décisions furent prises sur la base de préjugés sur le rôle des artistes et des associations », souligne Jean-Pierre Saez, directeur de l’Observatoire des politiques culturelles, installé précisément à Grenoble.

La première décision du nouveau maire en 2014 a été de supprimer la subvention de 400 000 euros versée à l’orchestre les Musiciens du Louvre, établi à Grenoble. En 2015, la Mairie reprend sans aucune concertation le contrôle artistique et administratif de deux théâtres et baisse la subvention de la MC2 (scène nationale) de 100 000 euros. En 2016, elle liquide Le Ciel, un établissement consacré aux musiques actuelles et ferme trois bibliothèques en supprimant les 300 000 euros de leur fonctionnement. « Ces économies n’ont pas été redistribuées sur d’autres secteurs de la culture », remarque Jérôme Safar, ancien adjoint à la culture, puis conseiller municipal (PS) à partir de 2014. Pourtant, le maire assure vouloir « développer une politique culturelle forte », mais « en ne subventionnant que des productions locales car on vient d’un espace où nous voulons casser l’héritage Malraux-Lang ». Il n’en reste pas moins que les acteurs culturels locaux ne veulent pas s’exprimer. Pour Jérôme Safar, « ils ont une trouille bleue de voir supprimer leurs subventions ».

Des budgets en baisse

La culture a-t-elle payé le prix fort du vaste plan d’économies décidé par Éric Piolle en 2014 pour compenser la baisse de dotation de l’État ? Pour Jean-Pierre Saez, « la baisse de l’effort de la Ville en faveur de la culture est liée au choix de ne pas accorder de priorité à la politique culturelle ». Le budget de fonctionnement de la culture a continûment baissé de 30,5 millions d’euros en 2017, à 28,2 millions en 2018 puis 26,6 millions en 2019, soit une baisse de 4 millions d’euros en trois ans. Éric Piolle explique ces coupes par « des transferts de budgets à la Métropole, c’est-à-dire celui de l’École du design et d’art (1,4 million d’euros), de la MC2 (3,4 millions d’euros) et du centre chorégraphique ».

Mais il apparaît que des économies ont aussi été réalisées sur le personnel culturel dont le budget est passé de 1,07 million d’euros en 2017 à 854 000 euros en 2018, malgré une légère remontée en 2019 (896 000 €). Le budget de la musique et du spectacle vivant a été divisé par deux en passant de 7,1 millions d’euros en 2017 à 3,5 millions en 2018 et 2019. Les subventions culturelles ont, elles aussi, chuté de 6,1 millions d’euros en 2017 et 2018 à 2,4 millions en 2019. « Ces baisses de subventions n’ont pas été reversées dans l’expression artistique, mais dans les travaux de restauration qui eux-mêmes ont baissé de trois quarts par rapport au mandat précédent, explique la députée Émilie Chalas (LRM), concurrente d’Éric Piolle aux dernières municipales. « La municipalité ne subventionne plus la culture professionnelle, mais seulement la culture amateur et associative », déplore-t-elle.

Des préoccupations plus sociales qu’écologiques

Dans le domaine muséal, les acquisitions et restaurations d’œuvres sont au régime sec. D’un million d’euros en 2014, leur budget est passé à 200 000 euros en 2019 et 2020. Un budget qu’Éric Piolle explique par « la restauration de la tour Perret programmée jusqu’en 2023 dotée d’un budget voté de 8 millions d’euros et la restauration de la cité de l’Abbaye pour une dizaine de millions d’euros».

La tour Perret. © Photo Thierry Chenu, 2020, Ville de Grenoble.
La tour Perret.
© Photo Thierry Chenu, 2020, Ville de Grenoble

Les économies affectent les grandes institutions. Guy Tosatto, le directeur du Musée de Grenoble, admet que « le budget a subi des aléas dus aux difficultés économiques que la Ville a rencontrées ». « Nous avons fait des arbitrages sur des lignes budgétaires plus malléables comme les expositions temporaires », souligne-t-il. La Ville a ainsi baissé sa dotation au budget acquisition du musée à 10 000 euros, alors qu’elle était de 230 000 euros en 2015. Dans le même temps, la Ville a demandé au musée de mener une politique d’accueil plus active auprès du public en précarité, « cela fait partie de nos missions », explique Guy Tosatto. Lors de la récente campagne, le maire sortant avait déclaré vouloir mener une politique active de restitution des œuvres emportées pendant la période coloniale. « Nous n’avons que quatre ou cinq objets importants d’Afrique noire donnés par le collectionneur Paul Guillot que personne ne nous a réclamés », relativise le conservateur du musée.

Curieusement, les ambitions écologiques du maire n’ont pas encore touché le Muséum d’histoire naturelle. « Je suis en train de travailler sur un parcours permanent axé sur ces enjeux, mais pour l’instant je n’ai ni les accords des élus, ni les financements, la Ville étant notre financeur principal », explique la nouvelle directrice Rebecca Bilon.

Favoriser les productions locales

Les bouleversements les plus importants concernent le théâtre. « L’objectif était de rendre le théâtre accessible à tous en le fermant aux troupes extérieures et aux têtes d’affiche pour n’accueillir que les spectacles des compagnies locales plus abordables », explique Delphine Gouard, la nouvelle directrice du Théâtre de Grenoble dont le budget de programmation est de 350 000 euros. Aujourd’hui, le théâtre accueille deux tiers de spectacles grenoblois et un tiers de spectacles régionaux. Delphine Gouard admet cependant « une baisse de fréquentation car les publics habituels ne sont pas revenus » et reconnaît « travailler actuellement sur une voie médiane afin d’accueillir des spectacles nationaux, mais plus de têtes d’affiches ».

Malgré tout, les Grenoblois ne semblent pas reprocher à leur maire sa politique culturelle anti-conformiste puisqu’ils l’ont réélu avec 53 % des voix.

Le Magasin de Grenoble se cherche encore

Centre d’art. Lorsqu’en 2016, Béatrice Josse reprend la direction du centre d’art contemporain de Grenoble, le Magasin, devenu le Magasin des horizons, elle amène dans ses valises un projet culturel détaillé qui comporte, entre autres, l’arrêt des expositions. L’administratrice du centre d’art, Cécile Rogel précise qu’elle « a développé des orientations écologiques sur la direction du Magasin ». Des choix dont la légitimité n’est pas discutée, même si on peut se demander si un atelier de jardinage a sa place dans un centre d’art. « Depuis plusieurs mois, la crise est effective et se traduit par un doute sur le projet culturel mis en place par la nouvelle direction », explique Jean-Pierre Saez. Un passage difficile qui n’est pas dû à un problème de budget car « le Magasin reste très subventionné [NDLR -1,2 M€] », explique Jérôme Safar. Selon lui, « La Drac et la Région ont déclaré qu’il était nécessaire de revoir la copie du projet car le Magasin n’a plus d’intérêt pour la culture ». Quant à l’école du Magasin, les formations de commissaires d’exposition ont été remplacées par un cours plus généraliste.

 

Véronique Pierron

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°550 du 4 septembre 2020, avec le titre suivant : À Grenoble, la culture à l’épreuve de l’écologie

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