Centre d'art

Le Magasin de Grenoble change de nom et de projet

Par Cédric Aurelle · Le Journal des Arts

Le 30 mai 2018 - 1309 mots

GRENOBLE

Deux ans après la nomination de Béatrice Josse, appelée à la rescousse de l’institution en crise à Grenoble, la directrice a redéfini l’historique centre d’art comme « une zone d’indétermination ». Au passage, le nom a été modifié en « Magasin des horizons ».

Pamina de Coulon, printemps on recommence, 2018, vue de l'exposition "Je marche donc nous sommes" au Magasin de Grenoble.
Pamina de Coulon, printemps on recommence, 2018, vue de l'exposition "Je marche donc nous sommes" au Magasin de Grenoble.
Photo Camille Olivieri

Grenoble. Le fait que le Magasin de Grenoble ait passablement souffert de luttes internes qui se sont conclues en 2015 par le licenciement de son ancien directeur Yves Aupetitallot est un secret de polichinelle. Un an plus tard, les tutelles de l’institution en confient les rênes à Béatrice Josse qui prend ses fonctions à l’été 2016. En rajoutant des « horizons » à l’historique « Magasin », la nouvelle directrice arrive avec un projet qui semble tenir dans cette mutation nominale : étendre les perspectives d’avenir en privilégiant la culture du collectif sur le culte de l’objet. Un changement de direction radical pour une institution qui s’était distinguée par des expositions monographiques d’artistes internationaux.

On connaît l’ancienne directrice du Fonds régional d’art contemporain (Frac) Lorraine pour avoir dompté l’inclination matérielle du musée et inventé une collection contemporaine quasi-immatérielle en terres messines. À présent, il ne s’agit plus, selon elle, de reproduire à Grenoble un modèle développé pendant plus de vingt ans dans un contexte lorrain marqué par la désindustrialisation. L’enjeu consiste à adapter un outil à une région en pointe dans le domaine des technologies, très marquée par la culture du squat et les pratiques collectives. Tournant dès lors la page sur ses expositions conceptuelles, la nouvelle directrice ambitionne de repenser le rôle social du centre d’art. Aux réflexions féministes et LGBT (déjà présentes à Metz) et désormais centrales, elle associe les savoirs amenés par le vivier de chercheurs grenoblois. C’est aussi la mise en œuvre d’un changement radical dans les principes de gouvernance et de représentativité. Aux méthodes managériales verticales et à la solitude dans les processus de décisions administratives, artistiques et de commissariat, Béatrice Josse substitue une horizontalité radicale. Certains lui reprochent toutefois un manque de souplesse dans la négociation. Dans cet esprit, elle sollicite quatre artistes associés sur une période de trois ans pour accompagner sa réflexion sur les mutations d’un centre d’art pensé dorénavant depuis les artistes et pour eux. Il ne s’agit plus de faire du centre d’art une boîte destinée à accueillir des œuvres, voire à les produire en vue d’abonder le marché. Béatrice Josse l’envisage non seulement comme un lieu de convergence des débats, mais aussi comme un épicentre de pensées et pratiques se redéployant sur le territoire. Le centre d’art devient « une zone d’indétermination, non programmée à l’avance ». La directrice revendique ici une inspiration de modèles développés dans le théâtre, en particulier celui de Maguy Marin au centre d’art le Ramdam de Sainte-Foy-lès-Lyon et du travail fait avec les migrants. Devant ce décloisonnement généralisé, certains acteurs locaux du monde de l’art s’interrogent néanmoins sur l’absence de liens avec les réseaux artistiques régionaux.

Un nouveau cap qui passe par la pluridisciplinarité

« Nous avons tissé des liens très étroits avec des structures liées à la danse et la performance à Grenoble […], ainsi qu’avec les écoles de Grenoble-Valence », répond l’intéressée. Comme pour le centre d’art, Béatrice Josse a choisi de repenser de fond en comble l’École du Magasin. À la machine destinée à « produire des commissaires d’art contemporain », elle substitue les « Ateliers des Horizons ». Il s’agit d’inventer un lieu de croisement entre des gens aux profils extrêmement variés, ouverts sur toutes les disciplines et privilégiant une pensée du collectif. Fallait-il pour autant tourner définitivement la page de l’ancienne structure ? Bien qu’ayant perdu de son éclat, l’école avait le mérite d’offrir un substrat pour repenser les besoins hexagonaux de la profession et aurait peut-être permis d’en contredire les processus d’homogénéisation. Une question que posent d’anciens élèves de l’école qui s’insurgent par ailleurs contre le transfert de ses archives au département. Béatrice Josse invoque ici une décision du conseil d’administration et la vocation des services d’archives, juridiquement compétents et à même d’accueillir du public.

En plus de gérer les fantômes d’un passé aussi mythique que chargé d’un lourd passif (financier et humain), réinventer le Magasin implique de se confronter à de très lourdes questions matérielles. L’annonce faite à son arrivée par Béatrice Josse de quitter les lieux pour un bâtiment plus adapté a pu faire frémir les tutelles, notamment la Ville propriétaire du bâtiment qui ne veut pas en entendre parler. Mais l’édifice transformé en 1986 par Patrick Bouchain pour un projet qui devait durer quelques années, n’a pas fait l’objet de rénovations de fond depuis. Un chantier de reprise de la verrière au début des années 2000 a impliqué la fermeture du bâtiment de nombreux mois. Celui-ci présente à présent de sérieux signes de faiblesse contredisant une exploitation optimale à des fins d’exposition et d’accueil du public. Installer un système de contrôle de température dans la « rue centrale » sous l’immense verrière pose une question tant économique qu’écologique et une invite à la réflexion sur son usage collectif. L’institution souligne ici que « tous les partenaires sont autour de la table pour travailler au devenir du Magasin dans sa globalité » y comprisla question du chauffage, qui vient de tomber en panne et dont la réparation coûte 600 000 euros.

Nombreux sont pourtant ceux qui voudraient voir du jour au lendemain le phénix renaître de ses cendres et qui s’étonnent du peu de « visibilité » de l’institution aujourd’hui, avec 6 673 entrées et un budget de 1,2 million d’euros en 2017, sensiblement le même depuis 2002 – avec l’arrivée de la nouvelle directrice, le personnel est passé de dix-huit (pas toutes à temps plein) à six personnes. Béatrice Josse a été nommée avec un projet qui demandera du temps pour reconfigurer l’institution qui, quoi qu’il advienne, demeurera éloignée des standards actuels, de la domination du marché et de la communication sur Instagram. Pour mener à bien son projet, elle devra jouer les équilibristes : conserver le soutien de tutelles, qui jusqu’à présent font bloc derrière elle, mais caressent encore le mythe d’une époque révolue et observent les chiffres de fréquentation comme le lait sur le feu ; créer le désir auprès d’artistes pouvant se saisir d’un outil qui reste largement à définir et s’avérera inspirant pour ses homologues du milieu de l’art. Mais elle devra surtout susciter l’adhésion d’un public aussi large que diversifié qui, privé des logiques du spectacle, devra se retrouver dans des processus émancipateurs collectifs ne se limitant pas à des déclarations d’intention.

Le Magasin se met en marche hors les murs sur un principe collectif programmation.
 
Le Magasin a lancé l’hiver dernier son Académie de la marche avec une série de bivouacs dans des villages de montagne environnant Grenoble. Dans le cadre de ce programme qui court sur l’année 2018, l’institution grenobloise organise une série de marches et « Je marche donc nous sommes », une exposition dans ses locaux. La marche ici, c’est le lieu de la manifestation lié à l’espace de la rue et aux mouvements sociaux en réaction à « la désintégration postindustrielle et postmoderne de l’espace, du temps, du corps », selon Béatrice Josse. Dans cet épicentre géographique et intellectuel qu’est le Magasin, l’exposition remet en perspective historique la question politique de la marche et la manière dont certains artistes visuels ou du spectacle vivant ont pu s’en saisir. On retrouve là les manifestations sans message du Hongrois Endre Tot de 1980, les marches de Mexicains nus de Clarisse Hahn de 2012 ou celles organisées par sœur Corita Kent à Los Angeles dans les années 1960… Une toile de fond à partir de laquelle l’institution sort d’elle-même : Jean-Christophe Norman poursuit la réécriture de l’Ulysse de James Joyce sur les trottoirs de Grenoble et rendez-vous est donné le 16 juin pour une « rando queer » ou une recréation d’Anna Halprin en septembre.
 
Je marche donc nous sommes, jusqu’au 14 octobre, Magasin des horizons, Centre national d’arts et de cultures, site Bouchayer-Viallet, 8, esplanade Andry-Farcy, 38000 Grenoble.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°502 du 25 mai 2018, avec le titre suivant : Le Magasin de Grenoble change de nom et de projet

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