Politique culturelle

Les Drac, retour sur une ambition de déconcentration culturelle

Par Damien Roger · Le Journal des Arts

Le 15 février 2022 - 1309 mots

FRANCE

Il y a quarante-cinq ans, le 3 février 1977 étaient créées les directions régionales des Affaires culturelles (Drac). Dès la naissance du ministère en 1959, la structuration d’un réseau dans les territoires apparaît à André Malraux comme une priorité. Près d’une vingtaine d’années sera pourtant nécessaire pour poser les premiers jalons de la déconcentration et institutionnaliser les Affaires culturelles en régions.

Le Palais du Rhin à Strasbourg, qui abrite la Drac Grand Est. © Photo Velvet
Le Palais du Rhin à Strasbourg, qui abrite la Drac Grand Est.

Au moment de sa création en 1959, le ministère des Affaires culturelles est une administration de mission plutôt qu’une administration de gestion et la vision territoriale de son action est lointaine. Les structures du ministère en régions sont disparates quant à leur statut et à leur niveau d’implantation, de même qu’inégales en termes de moyens et de personnels. Ce que l’on appelle alors les « services extérieurs » sont dispersés sans la moindre articulation entre eux : à l’échelon régional, on trouve les conservateurs aux Bâtiments de France, les commissions régionales de l’Inventaire, des conseillers aux arts plastiques, des directions régionales des Antiquités dans certaines régions, des délégués régionaux du Centre national du cinéma (CNC) dans quelques-unes, et, à l’échelon départemental, les services des archives et les agences des Bâtiments de France. Dès 1960, André Malraux affirme que la coordination régionale est une nécessité urgente et qu’elle passe par l’instauration d’une structure qui lui est consacrée.

Une nécessité de coordination régionale

En janvier 1961, une commission de l’Équipement culturel et du Patrimoine artistique est mise en place pour accompagner le lancement du IVe plan quinquennal (1962-1965). La culture devient un axe majeur de la politique de planification et d’aménagement du territoire. En 1963 est créée la délégation à l’Aménagement du territoire et à l’Action régionale (Datar) qui se donne pour tâche de contrebalancer le poids de Paris au profit de la province. La réforme territoriale de 1964 institue des préfets de région chargés de mettre en œuvre cette politique d’aménagement. Le souci majeur du ministère de la Culture est alors de répondre à la crainte des préfets de se trouver « en face d’une nébuleuse qui distingu[er]raient mal leurs interlocuteurs », comme s’en inquiète, dès 1961, l’association du corps préfectoral. Il devient indispensable qu’un minimum de coordination puisse être établi dans les circonscriptions d’action régionale nouvellement créées.

Par une circulaire du 23 février 1963, le ministre André Malraux institue dans chaque circonscription régionale un comité régional des Affaires culturelles (Crac), composé de fonctionnaires locaux responsables des différents « services extérieurs » du ministère. Un « correspondant permanent » est nommé qui assure un rôle de coordination de l’ensemble des services. Ses missions sont toutefois limitées à la mise en œuvre des plans quinquennaux. Cette réforme s’inscrit en effet dans une vision centralisée du ministère : on est encore loin d’une éventuelle déconcentration.

Les premiers jalons de la déconcentration

À partir de 1964-1965, le ministère affirme de plus en plus nettement sa volonté de renforcer son échelon de coordination au niveau local. Une nouvelle circulaire sur le rôle des Crac du 23 avril 1966 les promeut au titre d’interlocuteurs des préfets de région pour tous les problèmes d’importance concernant le ministère. En pratique, les « correspondants permanents » passent de secrétaires des comités régionaux au rang d’interlocuteurs principaux des préfets. Ils conservent cependant un poids insuffisant vis-à-vis de ces derniers car ils se situent en dehors de l’appareil administratif classique.

Il faut attendre 1968 pour que les « correspondants permanents » commencent à disposer d’un budget spécifique. Alors qu’à cette époque les différents services du ministère se trouvent pour la plupart dispersés dans des bâtiments mis à leur disposition par d’autres administrations, se pose la question de leur regroupement dans la ville où réside le préfet régional. L’objectif est de rassembler tous les services dans un seul et même immeuble : dans une cité administrative ou, de préférence, dans un hôtel particulier prestigieux. Le regroupement a un sens administratif car il rationalise la gestion mais il a aussi un sens politique, en matérialisant l’unité du ministère, il renforce la crédibilité du représentant régional.

Le coup de force d’André Malraux

Prenant acte du poids insuffisant des « correspondants permanents », le directeur de cabinet d’André Malraux, Antoine Bernard, souhaite mettre en place de véritables « directions régionales des Affaires culturelles ». Un groupe de travail se met en place en mars 1968 qui aboutit à la création, à titre expérimental, d’une direction régionale dans les Pays de la Loire et à des études de faisabilité pour la création de directions régionales en Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées et Nord-Pas-de-Calais. Les événements de mai 1968, en remettant en cause les institutions culturelles, vont accélérer le mouvement. L’implantation de directions régionales intéresse désormais toutes les régions.

Dans son discours budgétaire de 1968 devant l’Assemblée nationale, André Malraux annonce : « Nous allons, enfin, désigner dans les régions pilotes des agents qui seront investis des fonctions de directeur régional des Affaires culturelles préfigurant la future organisation territoriale. » Cependant, l’échec du référendum du 27 avril 1969 sur la décentralisation porte un coup de frein à son ambition. Le général de Gaulle annonce sa démission : Malraux n’est ministre que pour deux mois encore, en charge des affaires courantes. Il veut créer une situation irréversible. Avant son départ, il désigne officiellement les trois premiers directeurs régionaux des Affaires culturelles en Alsace, Pays de la Loire et Rhône-Alpes. Il fait ainsi le choix d’un véritable « préfet culturel » contre un simple coordonnateur régional.

Une période en demi-teinte pour les réformes

Après le passage « en coup de force » de Malraux, la régionalisation marque le pas. Les événements de mai 1968 ont pour longtemps fragilisé les Affaires culturelles, dans un contexte où la culture est vue comme le terrain de l’opposition. Un démantèlement du ministère est toujours possible. La décision d’André Malraux de nommer trois directeurs régionaux faillit même être remise en cause à plusieurs reprises. Les réticences sont également internes au ministère et viennent des directions de l’administration centrale soucieuses de conserver un lien direct avec leurs représentants sur le terrain. Des sept ministres ou secrétaires d’État qui se succèdent au ministère entre le départ de Malraux en 1969 et la signature du décret officialisant les Drac en 1977, seuls Jacques Duhamel et Michel Guy resteront deux ans en fonction, œuvrant fermement pour sa déconcentration.

Au début de la décennie 1970, la politique culturelle est marquée par la forte implication du président Georges Pompidou et par la politique de la « Nouvelle société » de Jacques Chaban-Delmas. Le ministre Jacques Duhamel affirme une double priorité : conforter une administration restée fragile et veiller à ce que le ministère ne constitue plus la juxtaposition de directions distinctes. Dix ans après la création des Crac, il signe en février 1973 une circulaire qui renforce les missions des futurs directeurs régionaux. Ces derniers obtiennent la compétence budgétaire et reçoivent le pouvoir du ministre de gérer les crédits de la région.

La concrétisation du pari de Malraux

Après 1974, Valéry Giscard d’Estaing, partisan d’un ministère plus discret, transforme le ministère des Affaires culturelles en secrétariat d’État et laisse le budget du ministère repartir à la baisse. C’est pourtant durant cette période cruciale que se forge la physionomie définitive des directions régionales, sous l’impulsion du nouveau titulaire du portefeuille, Michel Guy. Ce dernier œuvre sans relâche en faveur de la déconcentration du ministère et pose les bases de la politique de décentralisation.

C’est Françoise Giroud, secrétaire d’État à la Culture, qui signe, un mois avant son départ, le 3 février 1977, le décret portant la création des Drac. Ces dernières se voient confier « la mise en œuvre de la politique culturelle du gouvernement ». Vingt ans après la création du ministère, un véritable réseau territorial s’implante et a conquis une existence et une légitimité sur laquelle il sera désormais difficile de revenir. Pourtant, il ne suffit pas que le ministère dispose de services en régions pour que l’on puisse parler de déconcentration. Il faut encore que ces services disposent du pouvoir de décision sous l’autorité du pouvoir central. Vingt années supplémentaires seront nécessaires pour y parvenir.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°582 du 4 février 2022, avec le titre suivant : Les DRAC retour sur une ambition de déconcentration culturelle

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque