Droit - Politique

Élections municipales, le casse-tête de la période de réserve

Par Christine Coste · Le Journal des Arts

Le 3 décembre 2025 - 1666 mots

La période préélectorale impose aux communes des règles de communication de plus en plus strictes, sources de tensions et d’incertitudes.

Inauguration du Pôle santé des Monts d'Ardèche de Coucouron (Haute-Loire) en présence du maire Jacques Genest en juillet 2025. © Kylian Debbache / Région Auvergne-Rhône-Alpes
Inauguration du Pôle santé des Monts d'Ardèche de Coucouron (Haute-Loire) en présence du maire Jacques Genest en juillet 2025.
© Kylian Debbache / Région Auvergne-Rhône-Alpes

France. Depuis le 1er septembre, aucune commune, ni maire ou élu sortant n’échappent aux règles préélectorales en matière de communication des collectivités et de financement des campagnes. Le ministère de l’Intérieur et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques publient d’ailleurs toujours en amont leur guide respectif afin que chacun puisse en prendre connaissance. Si cette année, le retard pris dans leur publication (qui aurait dû avoir lieu avant le 1er septembre) a suscité des plaintes de certaines collectivités, la plupart ont adressé dès juin à leurs employés une circulaire les informant des règles de communication à adopter dès le 1er septembre « afin de leur permettre d’anticiper la période de réserve », souligne la Ville de Nice. Les services juridiques de certaines villes comme Montpellier ont même organisé bien avant l’été en interne, et pour la première fois, des séminaires ; les municipalités, qui n’ont pas de juristes, ont parfois demandé conseil auprès d’avocats spécialistes en droit public. Car la prudence en matière de communication et de financement des campagnes est de rigueur au regard des sanctions encourues pour le non-respect des règles allant d’amendes à l’annulation du scrutin et l’inéligibilité. L’article L.52-1 du 15 janvier 1990 du Code électoral le stipule : « Pendant les six mois précédant le premier jour du mois d’une élection et jusqu’à la date du tour de scrutin, où celle-ci est acquise, l’utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite » et « aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin ».

« Cette disposition vise à limiter l’avantage d’être en fonction et la tentation d’utiliser les moyens de la commune pour faire campagne, et ainsi à garantir l’égalité entre les différentes candidatures », explique Guillaume Glénard, avocat associé du cabinet Landot & Associés, professeur en droit public à l’université d’Artois. « Pendant ces six mois, les collectivités territoriales, y compris les communautés de communes ou d’agglomération, et leurs élus sortants dans l’exercice de leurs fonctions ne peuvent dresser un bilan promotionnel du mandat et mettre en valeur les réalisations ou les projets à venir dans le bulletin municipal ou intercommunal ou lors de la traditionnelle cérémonie des vœux du début de l’année par exemple », précise-t-il.

Une loi constante mais une jurisprudence enrichie

« Depuis les dernières élections de 2020, les règles applicables en période préélectorale ont peu évolué sur le plan légal. En revanche, la jurisprudence en la matière s’est enrichie », constate l’Association des maires de France (AMF) qui rappelle dans son guide « les quatre grands principes dont le respect permet de poursuivre en toute légalité la communication habituelle », et qui sont : la neutralité, critère le plus important à respecter ; l’antériorité visant à s’assurer que l’action de communication n’a pas été créée spécifiquement en vue des élections ; la régularité de la communication et l’identité de ces différents moyens qui ne doivent pas connaître de modifications – comparé à ce qui se fait habituellement.

Autrement dit publications papier ou numérique, affichages publics, cérémonies, inaugurations d’exposition ou de nouveaux lieux doivent donc être dans leur communication purement informatifs et leur ton neutre. Toute valorisation d’un mandat, d’une action ou approche polémique dans un communiqué, un discours ou une prise de parole d’un maire ou d’un élu sortant sont prohibés. Changer la maquette du bulletin ou du site municipal ou intercommunal, son ampleur en nombre de pages ou de rubriques et/ou rajouter la photographie du maire à son éditorial si cette dernière était auparavant absente, ou la modifier si elle l’accompagnait déjà, peut aboutir à l’annulation de l’élection. En juillet dernier, le tribunal administratif d’Orléans a annulé les élections partielles de la commune de Le Chautay dans le Cher en raison, entre autres, de la requalification du bulletin municipal au cours de la campagne de promotion publicitaire. « Ce qui a été de nature à altérer la sincérité du scrutin », pour le tribunal. Déconseillées également, sous peine d’être sanctionné, les invitations à une inauguration ou un événement passant d’une centaine de personnes à plusieurs milliers, induisant des moyens plus élevés que ceux relevés habituellement.

« Mais aucun texte n’interdit aux municipalités de continuer à organiser des événements, des réceptions, des rencontres-débats ou des cérémonies de vœux ou de pose de la première pierre ni d’inaugurer des expositions ou des équipements dès lors qu’ils relèvent d’une pratique habituelle et correspondent au calendrier des travaux établi lors du précédent mandat », précise Benjamin Di Grazia, directeur du pôle Juridique, Achats et Assemblées de la Ville et Métropole de Montpellier, ville qui inaugure, début décembre, une nouvelle ligne de tramway et rouvre après des travaux de rénovation Le Pavillon populaire avec une exposition de Raymond Depardon. Aucun texte n’interdit également à une municipalité ou un établissement culturel de la ville de réaliser une couverture médiatique particulière d’un événement, du type publicité ou publi-reportage diffusé dans un organe de presse, tant que les propos tenus ne s’apparentent pas à des déclarations et qu’il n’est pas fait mention du rôle du maire ou de l’équipe municipale sortante, ni que le budget engage des dépenses importantes inhabituelles. Exemple : « Un musée peut faire de la publicité pour une exposition durant la période préélectorale quand bien même n’en aurait-il jamais fait durant le mandat, mais sous deux réserves : d’une part, cette publicité doit être simplement informative, autrement elle ne doit pas être l’occasion de faire la promotion de la gestion du maire sortant ; d’autre part, et même si elle est informative, elle ne doit pas correspondre à un thème de campagne de la municipalité sortante. Et compte tenu de ces deux réserves, il est recommandé que le maire ne s’exprime pas sur cette exposition », mentionne l’avocat Guillaume Glénard.

Les chinoiseries des réseaux sociaux

« De manière générale, les maires et élus ont intégré ces règles par rapport aux années 1990-2000 », constate-t-il. La démultiplication des réseaux et de leurs usages depuis 2020 a bouleversé néanmoins les modes habituels de communication et demande aux communes dans cette période préélectorale de redoubler de vigilance dans leur utilisation. Et ce, à deux niveaux. Le premier correspond au contenu. « Les dispositions de l’article L.52-1 du Code électoral étant applicable aux sites Internet, il est préférable d’effacer, à compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il être procédé à des élections générales […], toute information ayant le caractère d’une promotion de la collectivité, même si cette information a été mise en ligne antérieurement à cette date », recommande l’Association des maires de France.« Ce qui induit de toiletter sur le site et les réseaux sociaux de la municipalité (Facebook, Instagram, X, LinkedIn…) tous les contenus promotionnels diffusés avant le 1er septembre 2025, sans qu’aucune limitation de temps n’ait été donnée. Ce qui représente un travail de titan, d’autant plus problématique que les collectivités ont pu faire, avant la période préélectorale, un bilan de mandat en listant des réalisations », relève Benjamin Di Grazia. Le second niveau de vigilance concerne la séparation nette entre les comptes de la collectivité et ceux du maire ou des élus sortants afin de ne pas créer de confusion entre les comptes relavant de la communication institutionnelle et ceux de la propagande électorale. À Montpellier, Lyon, Lille, Deauville, Toulouse ou Nice, les comptes de la ville et ceux du candidat sont ainsi distincts, mais la gestion des commentaires sur les réseaux sociaux diffère à défaut de consignes à ce sujet. À Nice, « ils peuvent être supprimés s’ils revêtent un caractère injurieux ou diffamant », précise la Ville ; à Deauville, « on ne répond pas », souligne le maire Philippe Augier qui devrait se représenter. Les municipalités de Toulouse, Lyon ou Montpellier ont fait en revanche le choix de bloquer les commentaires, car elles estiment que les maintenir dans cette période de neutralisation de la communication suppose de supprimer les compliments, mais de conserver les critiques.

De fait, les règles relatives à l’opposition s’avèrent plus souples. Dans le journal municipal, où les groupes d’opposition disposent d’un espace d’expression conformément à la loi sous forme d’encart, ces derniers sont ainsi maintenus et la municipalité ne peut répondre à leurs attaques. « Il y a un vrai paradoxe à ce que les élus soient astreints à une réserve alors qu’en période électorale, les électeurs s’intéressent plus spécialement à la politique », souligne Pierre Esplugas-Labatut, adjoint au maire de Toulouse en charge des musées, professeur de droit public à l’École de droit de Toulouse et porte-parole de Jean-Luc Moudenc pour la campagne des municipales 2026. « Lors du dernier conseil municipal, par exemple, nous avons été interpellés et critiqués par l’opposition pour notre mandat que je ne peux pas valoriser. Autre exemple : le fils de Jean Dieuzaide nous a attaqués mi-octobre sur les réseaux de la Ville parce que nous n’avions pas acheté la maison de son père ni payé suffisamment son fonds photo. Je n’ai pas pu répondre sur mon compte Twitter personnel bien que l’envie me démangeait. Mais rien ne nous empêche de répondre aux questions des journalistes », souligne l’élu dont l’entretien dans La Dépêche du Midi du 25 octobre dernier lui a permis de répondre aux critiques, un mois avant la réouverture après les travaux du Château d’Eau, institution photo de la Ville créée par le photographe.

« Les textes se sont extrêmement rigidifiés et face à une jurisprudence de plus en plus sourcilleuse sur ces questions, les municipalités ont tendance à s’autocensurer », déplore Pierre Esplugas-Labatut. « On a atteint un pic de rigueur et d’encadrement de la vie publique qui pose problème, souligne de son côté Philippe Augier. Il y a une sévérité qui s’est accentuée au nom du principe d’exemplarité pour les élus, qui certes ne doivent pas être des individus au-dessus des lois. Mais on est devenu une société de contrôle permanent, et plus une société d’actions. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°666 du 28 novembre 2025, avec le titre suivant : Élections municipales, le casse-tête de la période de réserve

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