Italie - Musée

RENCONTRE

Sylvain Bellenger, le Français qui a réveillé Capodimonte

Par Olivier Tosseri, correspondant en Italie · Le Journal des Arts

Le 18 septembre 2022 - 1125 mots

NAPLES / ITALIE

Arrivé à la tête du musée napolitain en 2015, à la faveur de la réforme Franceschini, ce conservateur spécialiste de Girodet a su redynamiser un lieu qui le mérite.

Sylvain Bellenger. © Museo e Real Bosco di Capodimonte, 2018
Sylvain Bellenger.
© Museo e Real Bosco di Capodimonte, 2018

Naples. Voir Naples et sourire. Sylvain Bellenger ne se départ jamais du sien lorsqu’il s’agit du Musée de Capodimonte qu’il dirige depuis 2015. Il est l’un des visages emblématiques de la grande réforme du Mibac lancée à l’époque par le ministre Dario Franceschini. Sept directeurs étrangers avaient été nommés à la tête des vingt plus importantes institutions culturelles de la Péninsule pour favoriser leur modernisation grâce à une large autonomie. « L’intuition du ministre a surtout été de réunifier le palais royal de Capodimonte à son parc historique de 134 hectares, le plus grand parc urbain d’Italie, explique Sylvain Bellenger. Auparavant, musée et jardins dépendaient de deux directions différentes, ce qui nuisait à l’efficacité de la gestion. Nous sommes un grand musée connu par une petite élite, alors que nos collections rassemblant plus de 49 000 œuvres sont comparables à celles du Prado de Madrid ou du Kunsthistorisches Museum de Vienne. »

Les Parisiens auront la chance de pouvoir voir en juin 2023 une soixantaine de ses chefs-d’œuvre dans le cadre de l’exposition « Naples à Paris. Le Louvre invite le Musée de Capodimonte ». Les galeries de ce dernier seront en effet fermées pour permettre le lancement d’un vaste chantier de rénovation. Sylvain Bellenger connaît bien le musée parisien où il a été commissaire général de la rétrospective « Girodet » en 2005. Mais c’est à Naples en 1980 que naît sa vocation d’historien de l’art lorsque ce jeune professeur de philosophie de 25 ans visite le Musée de Capodimonte.

« Pensez aux détails »

À sa sortie de l’École du Louvre et de la Sorbonne, il entame un nouveau parcours, jalonné d’étapes prestigieuses dont la première et la plus importante reste la direction du château de Blois de 1992 à 1999 au moment des grands travaux de restauration. « L’une de mes premières tâches a été de recevoir la reine d’Angleterre en visite officielle, se souvient Sylvain Bellenger. “Pensez aux détails avant tout. Tout dépend d’eux”, m’a alors intimé Jack Lang, maire de la ville. C’est une leçon que je n’ai jamais oubliée. » Il la met en œuvre ensuite en tant que conservateur au Museum of Arts de Cleveland dont il dirige le département des Arts européens et américains jusqu’en 2005. Pressenti en 2008 pour la direction de la Villa Médicis à Rome, il en est finalement écarté pour des raisons politiques. Il prend alors le chemin de Chicago en 2012 pour piloter le département d’Art médiéval à l’Art Institute.

En 2014, la réforme Franceschini qui accorde plus d’autonomie aux grands musées et l’internationalisation de leur direction lui permet de revenir à Naples, lieu de ses premières amours artistiques. Voulu au XVIIIe siècle par Charles de Bourbon, roi de Naples et futur roi d’Espagne, pour abriter la collection Farnèse, l’imposant palais avait besoin d’être réveillé de sa torpeur. Sylvain Bellenger trouve un musée abandonné par les autorités dans une région du Mezzogiorno qui l’est tout autant. À son arrivée aucun panneau de la ville n’indiquait le musée qui n’était connu que par 2 % des Italiens. « Cette expérience parthénopéenne est à la fois la plus difficile et la plus belle de ma carrière, estime cet esthète élégant et posé. J’ai été ébloui par la splendeur des lieux, la magnificence des collections de Capodimonte, la drôlerie, la fourberie et la créativité des Napolitains que l’on ne trouve nulle part ailleurs, mais surtout la qualité humaine du personnel du musée. »

Il n’est malheureusement pas assez nombreux déplore Sylvain Bellenger qui ne manque pas tant de moyens financiers que de ressources humaines. Il ne peut compter que sur une équipe d’une dizaine de personnes alors qu’il en faudrait dix fois plus. À son arrivée, il disposait de sept historiens de l’art. Tous sont partis à la retraite et un seul a été remplacé. Trop peu, alors que Capodimonte abrite la collection Farnèse et ses chefs-d’œuvre de Titien, du Caravage ou de Masaccio, ainsi qu’une des premières collections italiennes de céramiques et de majoliques. « Nous sommes le seul musée en mesure de raconter l’art italien du XIIe siècle à nos jours, depuis le don en juin dernier de la collection d’art contemporain de la prestigieuse galerie Lia Rumma, s’enorgueillit Sylvain Bellenger. Il nous faudrait bien plus de personnel. Ce ne sont pas les talents qui manquent en Italie. Mais les salaires sont misérables et beaucoup préfèrent partir dans le privé ou à l’étranger. Malgré cela, j’ai fait bien plus de choses ici en sept ans que je ne l’aurais fait aux États-Unis avec des moyens bien plus importants. »

Un chantier de rénovation de 49 millions d’euros

Son bilan est en effet flatteur grâce à son esprit cartésien puisé dans sa formation française et au pragmatisme acquis sur le sol américain alliés aux qualités de flexibilité, d’inventivité et de réactivité de ses collaborateurs napolitains. Cela lui a permis d’inaugurer une trentaine d’expositions, achever une spectaculaire revalorisation du parc, mener à terme le réaménagement de 15 000 mètres carrés de salles d’exposition, mettre en valeur ses réserves ainsi que lancer la numérisation des collections avec déjà plus de 6 000 œuvres photographiées en haute résolution. Des efforts récompensés par la fréquentation du public. En 2014, à peine 126 000 visiteurs essentiellement napolitains avaient franchi les portes du musée. Avant la pandémie, ils étaient 300 000 dont des étrangers de plus en plus nombreux, au premier rang desquels les Français. « Nous devrions en accueillir au moins 1,5 million, insiste son directeur. C’est pour cela que nous lançons ce vaste chantier de rénovation d’un budget de 49 millions d’eurospour devenir un musée moderne qui manifeste son intention d’entrer dans la transition énergétique et écologique. Une toiture photovoltaïque nous permettra de produire 90 % de notre énergie électrique. »

L’an prochain, le second mandat de Sylvain Bellenger arrivera à échéance. Il fera valoir la tâche accomplie et sa volonté d’achever les chantiers dont il est à l’origine pour être confirmé à son poste. « Je n’ai jamais autant donné pour mon métier, qui est une mission, mais je n’ai jamais autant reçu », constate celui qui rappelle que « ma volonté, mon enthousiasme et mon énergie sont ceux du premier jour de mon arrivée ici ».

 

1980
Professeur de philosophie et élève à l’École du Louvre, puis à la Sorbonne.
1987-1991
Conservateur puis directeur du Musée Girodet (Montargis).
1992-1999
Directeur du château et des musées de Blois.
1999-2005
Directeur du département des Arts européens et américains du Museum of arts de Cleveland (USA).
2005
Commissaire de l’exposition « Girodet » au Louvre.
2005-2012
Conservateur à l’Institut national d’histoire de l’art (INHA).
2012-2015
Directeur du département d’Art médiéval du Art Institute de Chicago.
Depuis 2015
Directeur du Musée de Capodimonte (Naples).

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°594 du 9 septembre 2022, avec le titre suivant : Sylvain Bellenger, le Français qui a Réveillé Capodimonte

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque