Espagne - Renaissance

XVIE SIÈCLE

La renaissance espagnole à Naples

Par Julie Goy, correspondante en Espagne · Le Journal des Arts

Le 12 janvier 2023 - 798 mots

MADRID / ESPAGNE

À Madrid, le Musée du Prado reconstitue la genèse de la Renaissance ibérique, à partir des œuvres d’artistes espagnols installés à Naples, au début du XVIe siècle.

Pedro Fernández et Antoni Norri, Retable de Sainte-Hélène (détail), 1519-1521, huile sur bois, Trésor de la cathédrale Sainte-Marie de Gérone. © Musée du Prado
Pedro Fernández et Antoni Norri, Retable de Sainte-Hélène (détail), 1519-1521, huile sur bois, Trésor de la cathédrale Sainte-Marie de Gérone.
© Musée du Prado

Madrid. Le Prado (Madrid) et le Musée de Capodimonte (Naples) se sont associés pour l’exposition « Une autre Renaissance. Artistes espagnols à Naples au début du Cinquecento », redonnant leurs lettres de noblesse aux artistes espagnols et italiens installés à Naples lors des premières décennies du XVIe siècle, alors foyer secondaire de la « maniera moderna ». Une nouvelle manière née sous sous l’influence de Léonard de Vinci (1452-1519), Michel-Ange (1475-1564), Bramante (1444-1514) et Raphaël (1483-1520), qui avaient fait de Milan, Florence, Venise et Rome, les foyers principaux de la Renaissance italienne.

L’exposition souligne combien cette brève période d’émulation artistique s’est révélée fondamentale pour la diffusion de la culture de la Renaissance italienne en Espagne, grâce à des artistes comme Pedro Machuca (1490-1550), Bartolomé Ordóñez (1490-1520), Diego de Siloe (1495-1563), Pedro Fernández (1480-1521) et Alonso Berruguete (1490-1561). Dans une scénographie architecturale, faisant référence aux édifices napolitains du Cinquecento, sont exposées soixante-quinze œuvres, dont quarante-quatre peintures, vingt-cinq sculptures, cinq livres et un retable, témoins du passage de la tradition gothique à la « maniera moderna » par le foyer d’artistes hispano-italiens.

L’influence des maîtres

Après un nécessaire préambule sur l’influence espagnole dans la culture napolitaine à l’aube du XVIe siècle, la seconde partie de l’exposition entre dans le vif du sujet, sous le règne des monarques espagnols à Naples, durant lequel la ville, à vocation cosmopolite, a attiré de nombreux artistes romains, toscans, lombards et espagnols. En peinture, les formes du Quattrocento, l’art gothique, ont été abandonnées, tandis que le style fondé sur la perspective lombarde de Léonard de Vinci s’est rapidement diffusé, accompagné des innovations romaines de Raphaël et Michel-Ange, en provenance de la cour du pape Jules II.

L’œuvre de Pedro Fernández, très présente dans l’exposition, montre d’évidentes références culturelles au Milan de Léonard de Vinci et de Bramante, par son usage sophistiqué de la perspective et une nouvelle manière naturaliste dans la représentation des personnages. Deux retables de Fernández, San Blas (1511-1512) pour l’église napolitaine de San Gregorio Amerno (aujourd’hui au Musée national de Catalogne, à Barcelone), et Le Chemin du Calvaire (1512-1513) pour la basilique de San Domenico Maggiore font écho à la chapelle Sixtine de Michel-Ange et aux grandes compositions de Raphaël de la Chambre de la Signature au palais du Vatican, notamment dans la représentation d’une enfilade complexe de personnages et de la lumière sublimant la texture des drapés.

Les sculptures de Diego de Siloe et Bartolomé Ordóñez se distinguent par leur qualité, ces derniers combinant avec justesse les mouvements de Léonard de Vinci à la grâce de Raphaël, avec la force expressive de Michel-Ange. Leurs autels et les tombes au style antique, taillés dans des marbres de Carrare appréciés par les humanistes napolitains, se retrouvent dans de riches chapelles funéraires, comme notamment la Vierge à l’enfant de Siloe (1513-1514) qui orne la chapelle de l’église Santa Maria Assunta dei Pignatelli, à Naples.

L’influence de Raphaël s’est cristallisée lors de l’arrivée à Naples de sa Vierge au poisson en 1513, devenue une inspiration pour les artistes locaux et notamment pour les sculpteurs. À l’aube des années 1520, une seconde version du style raphaélesque s’est développée, plus inquiétante et expressive, dont l’une des figures de proue est l’artiste Pedro Machuca, originaire de Tolède et futur architecte du palais de Charles V à Grenade. Son tableau Dieu le Père bénissant et anges (1519) présente une composition sombre aux anges effrayants, au centre desquels trône un Dieu enluminé.

La « maniera moderna » exportée en Espagne

L’exposition montre également l’influence mutuelle exercée entre les artistes espagnols et napolitains, tel Giovanni da Nola (1478-1559), dont l’œuvre aux formes dynamiques et aux figures expressives rappelle celle de Fernández. D’autres artistes d’importance sont aussi présentés dans l’exposition, tels que le sculpteur Andrea Ferrucci (1465-1526) et le peintre Cesare da Sesto (1477-1523), nuançant la prédominance suggérée des artistes espagnols par le titre de l’exposition.

Les réalisations des années 1520 terminent l’exposition, témoins de la fin d’un foyer artistique hispano-italien unique, provoquée par la guerre de 1528. Parmi celles-ci, l’impressionnant Retable de Sainte-Hélène (1519-1521, voir ill.) de près de trois mètres de haut, met à nouveau Pedro Fernández en lumière. Il s’agit de l’un des premiers retables catalans de la Renaissance à arborer une structure architecturale et ornementale de menuiserie. Hybride, il modernise la morphologie traditionnelle du retable gothique tardif en ajoutant, autour des panneaux peints, un répertoire décoratif classique, avec des jarres, des grotesques et des festons.

Riches de leur expérience italienne, les artistes ont fait carrière dans leur pays par la suite, initiant l’Espagne à cette « maniera moderna », ce qui permet au directeur du Prado, Miguel Falomir, d’affirmer que « sans cette expérience napolitaine, la Renaissance espagnole aurait été très différente ».

Pedro Fernández et Antoni Norri, Retable de Sainte-Hélène, 1519-1521, huile sur bois, Trésor de la cathédrale Sainte-Marie de Gérone. © Musée du Prado
Pedro Fernández et Antoni Norri, Retable de Sainte-Hélène, 1519-1521, huile sur bois, Trésor de la cathédrale Sainte-Marie de Gérone.
© Musée du Prado
Une autre Renaissance. Artistes espagnols à Naples au début du Cinquecento,
jusqu’au 29 janvier, Musée du Prado, calle de Ruiz-de-Alarcón, 23, 28014 Madrid, Espagne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°602 du 6 janvier 2023, avec le titre suivant : La renaissance espagnole à Naples

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