Musée

Maison de Pierre Loti, l’écrin des souvenirs de voyages

Par Marion Krauze · L'ŒIL

Le 19 juillet 2025 - 1338 mots

Le 10 juin dernier, la maison de Pierre Loti, à Rochefort, a rouvert ses portes après plusieurs années de rénovation. Un chantier hors norme qui a redonné tout son éclat à la fabuleuse demeure de l’écrivain voyageur.

La maison de Pierre Loti à Rochefort. © Simon David / Ville de Rochefort
La maison de Pierre Loti à Rochefort.
© Simon David / Ville de Rochefort

Une façade sobre, écrue, typique du logis bourgeois du XVIIe siècle. De l’extérieur, rien ne laisse présager l’éclatant camaïeu de couleurs, d’émotions et de souvenirs qui assaillent lorsqu’on franchit le seuil. La maison de Pierre Loti (1950-1923) est, à l’image de ses romans, une invitation à la rêverie et au voyage vers de lointaines contrées. Une demeure que l’écrivain connaît depuis sa plus tendre enfance et qu’il façonne au gré de ses envies, tout au long de sa vie. Julien Viaud, futur Pierre Loti, naît le 14 janvier 1850 à Rochefort et grandit en ces murs. De cette maison familiale, il garde un souvenir empreint de mélancolie : « C’était une maison de province très modeste, où se sentait l’austérité huguenote, et dont la propreté et l’ordre irréprochables étaient le seul luxe », décrivait-il dans Le Roman d’un enfant (1890). En 1871, alors âgé de 21 ans, il rachète la demeure à sa mère, qui l’avait héritée de ses parents. Après la mort en mer de son frère Gustave, le jeune Julien Viaud passe le concours de l’École navale pour sillonner les mers du globe. Algérie, Turquie, Sénégal, Chine, Japon… Chaque mission apporte son lot d’expériences mais aussi d’objets, de trouvailles exotiques qu’il amasse et s’empresse de rapporter lors de ses permissions. Très tôt, Pierre Loti révèle un penchant certain pour l’accumulation et la surcharge décorative. Un goût qui témoigne d’une horreur du vide, mais aussi d’une peur bien ancrée. Tourmenté par la mort, l’écrivain fait de sa maison la gardienne des mémoires de ses périples, un endroit où le temps s’est arrêté.

Sa maison, son théâtre

Dans chaque pièce minutieusement décorée, s’entremêlent cosmopolitisme et sentimentalisme. Le salon rouge, pièce familiale de la maison, conserve son ambiance d’antan avec son mobilier cossu, son précieux lustre de Venise et ses portraits de famille sur fond de velours cramoisi. Puis, peu à peu, Loti transforme sa maison en un maelström de cultures et d’époques, sans rien planifier au préalable. Dans l’ancienne chambre de sa tante Berthe, il aménage un salon turc, réminiscence du séjour oriental qui lui inspire son premier roman, Aziyadé (1879). Cette pièce, qu’il remanie à plusieurs reprises, devient l’un de ses endroits préférés dans la maison. Plafond de stuc inspiré de ceux de l’Alhambra de Grenade, tapis bigarrés, tissus et faïences ramenés d’Orient, d’Andalousie et du Maroc… Pierre Loti conçoit son logis comme un théâtre, où chaque salle transporte dans un ailleurs fantasmé. Une pagode japonaise, dont il ne reste presque rien aujourd’hui, regorgeait de mobiliers, armes et bibelots rapportés de Nagasaki. La salle gothique, aménagée dans l’ancien atelier de peinture de sa sœur Marie, s’inspire de l’univers des légendes médiévales. Cheminée en bois, stalles en pierre et vitraux à décor héraldique côtoient alors armes factices et fourrures qui jonchaient alors le sol. Fort de ses succès littéraires, Pierre Loti, devenu académicien, achète les deux maisons mitoyennes en 1895, puis en 1897, qu’il essaye tant bien que mal de raccorder à sa demeure principale. Avec ces nouveaux espaces, il laisse libre cours à sa frénésie décorative. Aménageant tour à tour salle des momies, mosquée, salle Renaissance puis salle chinoise, Pierre Loti exprime tout son amour pour la mise en scène. Loin de toutes ces fantaisies, le salon bleu, avec sa porcelaine de Limoges, fait bien plus conventionnel – une concession accordée à sa femme Blanche Franc de Ferrière, qu’il épouse en 1886. De cet ensemble hétéroclite, une autre pièce détonne : la chambre où Loti aime écrire et se reposer. Elle frappe par son dépouillement quasi monacal, avec ses murs blanchis à la chaux et son lit en fer. Mais, derrière le simple crucifix et la petite statuette bouddhiste, transparaît là encore un écrivain en quête d’un ailleurs, cette fois-ci spirituel.

Restauration d’envergure

Pour célébrer en grande pompe l’inauguration de ses pièces, Pierre Loti multipliait les fêtes costumées. Grand dîner « Louis XI » dans la salle Renaissance, où les convives en tenue médiévale conversaient en vieux français. Fête mémorable dans la salle chinoise, où s’étaient rassemblés pas moins de 250 invités ! Si l’écrivain a toujours aimé recevoir, sa maison n’avait pas vocation à devenir un musée pour autant. Mais lorsque la Ville de Rochefort rachète le lieu à son fils Samuel, puis l’ouvre au public en 1973, la venue de milliers de visiteurs fragilise fortement le bâtiment. Il pâtissait déjà des innombrables réaménagements menés par Loti, au détriment de sa structure. Et les infestations récurrentes de champignons et d’insectes xylophages en ont accéléré la dégradation. En raison de son mauvais état, la maison ferme ses portes en 2012. Des travaux d’urgence sont alors menés, mais le gros du chantier ne débute vraiment qu’en 2020. Une opération d’envergure, chiffrée à près de 14 millions d’euros, qui a nécessité l’intervention de 35 corps de métiers. Tous animés par un objectif : reconstituer la maison telle qu’elle était à la mort de Pierre Loti, le 10 juin 1923. L’effort s’est d’abord concentré sur la sauvegarde du spectaculaire plafond de la mosquée, rongé par les termites. Ce minutieux travail de restauration s’est d’ailleurs appliqué à tous les décors et collections hétéroclites que renferme la maison. Tapisseries, tissus, peintures, mobiliers, armes… Loti accumulait aussi bien de rarissimes joyaux que de petits objets du quotidien, qui ont retrouvé leur splendeur grâce à l’expertise d’artisans des quatre coins de la France. À ce travail de restauration, s’est ajouté celui de restitution. Plusieurs salles qui avaient été démontées à la mort de Loti, ont nécessité un important travail de reconstitution sur la base de photographies. Ainsi, la salle chinoise a retrouvé son majestueux trône impérial (un fac-similé très réussi). L’architecture de la chambre espagnole disparue, où Pierre Loti hébergeait ses invités, a été recréée avec ses pans de bois et ses fausses gargouilles. Tant de belles interventions qui ont redonné à la demeure toute son extravagance et sa splendeur passée.

La mosquée
La mosquée. © Simon David / Ville de Rochefort
La mosquée.
© Simon David / Ville de Rochefort

La mosquée est, sans conteste, la pièce phare de la maison. Outre le précieux plafond provenant d’un palais de Damas, Pierre Loti rapporte de Syrie des céramiques anciennes, mosaïques, tapis raffinés, boiseries et cénotaphes recouverts de broderies. Une partie du décor provient de la mosquée des Omeyyades, ravagée par un incendie en 1893. À l’intérêt historique de la salle, s’ajoute une valeur sentimentale puisque le romancier y place une copie de la stèle de sa bien-aimée Aziyadé, à côté de la fontaine centrale.

 

La salle Renaissance
La salle Renaissance. © Pascal Robin / Maison Pierre Loti
La salle Renaissance.
© Pascal Robin / Maison Pierre Loti

Inspiré par son séjour dans le Lot, Pierre Loti mêle dans cette pièce mobilier espagnol, basque, tapisseries et lustres hollandais. Le spectaculaire escalier, flanqué de pilastres surmontés de lions, a été conçu par des artisans locaux d’après des dessins de l’écrivain. Ce dernier recevait régulièrement dans cette salle. Pour impressionner ses visiteurs, il les attendait de pied ferme sur l’escalier, en se plaçant sur une marche plus ou moins haute selon leur importance !

 

Textiles à foison
Les murs du Salon turc, recouverts de textiles variés. © Simon David / Ville de Rochefort
Les murs du Salon turc, recouverts de textiles variés.
© Simon David / Ville de Rochefort

Du sol au plafond, la maison est recouverte de précieux tissus chamarrés. Tentures, couvertures, tapis… Certains tissus ottomans, très rares, datent du XVIIe siècle. Tous ces riches textiles, qui forment la collection la plus conséquente constituée par Loti, ont nécessité une restauration très méticuleuse, qui s’est parfois avérée particulièrement complexe. Le bas de tente ottoman de plus de quatre mètres, suspendu dans le salon turc dans les années 1880, a par exemple été bien difficile à ôter.

 

Jardin intime
Le jardin. © Simon David / Ville de Rochefort
Le jardin.
© Simon David / Ville de Rochefort

Le jardin était un lieu important pour Pierre Loti. Enfant déjà, il appréciait particulièrement cet endroit reposant, animé par les chats et tortues. Un petit paradis à la flore luxuriante, aux allures de cloître, qui reflète l’éclectisme et l’atmosphère nostalgique de sa maison. À côté d’une gargouille, se dresse une stèle familiale empruntée au cimetière de Rochefort. Autre vestige du passé, le précieux bassin offert par son frère Gustave, décédé en mer. Pendant longtemps dénaturé, le jardin a désormais retrouvé tout son lustre.

À voir
Maison de Pierre Loti,
137, rue Pierre-Loti, Rochefort (17), www.maisondepierreloti.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°787 du 1 juillet 2025, avec le titre suivant : Maison de Pierre Loti, l’écrin des souvenirs de voyages

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