Après Tahiti et l’île de Pâques, Loti jette l’ancre en Orient

Par Philippe Piguet · L'ŒIL

Le 1 octobre 2006 - 827 mots

En lutte contre « notre sotte civilisation », Pierre Loti s’est réfugié dans les charmes primitifs et sensuels du monde oriental qu’il enregistre dans ses écrits, photographies et croquis.

« Un charme dont je ne me déprendrai jamais m’a été jeté par l’Islam, et je subis de mille manières ce charme-là, même dans les choses, dans les dessins, les couleurs. » Extraits de Fantôme d’Orient, publié en 1892 et qui constitue la suite d’Aziyadé, ces quelques mots sont un véritable aveu. Celui d’une passion pour un monde, un peuple et une culture que Pierre Loti ne cantonne pas à une seule géographie, quand bien même il fit de Constantinople sa patrie d’élection.
En 1896, le portrait Pierre Loti devant Istanbul que brosse de lui le peintre symboliste Lévy-Dhurmer en dit long sur les relations entre l’écrivain et la ville. Nimbés dans une même lumière douce et rosée qu’exacerbe l’emploi du pastel, ils vibrent l’un et l’autre de mille feux diaphanes. Figuré en buste au premier plan, la tête haute, la moustache en volutes, simplement vêtu, le cou dégagé, une médaille en suspens, Loti porte son regard au lointain. Il est ici et ailleurs à la fois, tant il est vrai que pour lui l’Orient n’est pas un, mais multiple.

Des dessins d’observateur
De ces Orients, l’artiste a établi tout un monde de correspondances, s’inventant un orientalisme et un exotisme à deux directions, littéraire et plastique. D’Istanbul à Ispahan, de Bou Saada à Tokyo, du Sénégal à Assouan, du Gange à la baie d’Along, de Tahiti à la Terre sainte, Pierre Loti est assoiffé d’inconnu, toujours en quête d’expérience de vies multiples. Au fil de ses expéditions, il n’a de cesse de chercher à en retenir les sensations éprouvées, à décrire ce qu’il vit et ce qu’il voit.
Si, avec le triomphe de ses livres, l’écriture prend le pas sur les autres moyens d’expression, Pierre Loti a laissé dessins, photographies et quelques rares peintures qui ne manquent pas d’intérêt. Enfant, Julien Viaud montrait déjà un goût certain pour le fantastique, dans la veine de ce que la première moitié du XIXe siècle a pu enfanter d’images oniriques.
Ayant appris ensuite le dessin stratégique à l’École navale, il s’obligea à un regard plus réaliste pour s’imposer comme un véritable chroniqueur offrant à voir des témoignages très fouillés de ses escales, comme le révèle ce crayon au motif de l’île de Pâques, volcan Rano Raraku.

Une âme « à moitié arabe »
Du séjour qu’il fit à Tahiti en 1872, vingt ans avant que Gauguin y jette l’ancre, Pierre Loti rapporte divers paysages mélancoliques et décolorés qu’il vend à la revue L’Illustration. Peints à l’aquarelle, si ceux-ci témoignent de la déception de n’avoir pas retrouvé la jeune Maorie qui fut la compagne de son frère et l’enfant qu’elle aurait pu avoir avec lui, ils disent toutefois son amour pour le pays. « J’ai maintenant deux patries : Tahiti et la Saintonge », déclare-t-il en rentrant. Loti ne reviendra toutefois jamais en Polynésie.
C’est que plus que toute autre contrée du monde, l’Orient, le vrai, l’attire et le fascine. Celui des déserts et des bazars, des harems et des odalisques, des mosquées et des minarets, celui de l’opium, celui de l’art mauresque, celui du vieil Empire ottoman enfin. « Boire le café de Turquie… s’étourdir doucement à la fumée d’un narguilé… causer avec les derviches et les passants… être libre, insouciant et inconnu… », écrit-il dans Aziyadé, c’est ce que lui offre le quotidien de Constantinople. C’est ce qu’il croque ici et là dans un carnet ou qu’il fixe sur la pellicule.
« Je me suis toujours senti l’âme à moitié arabe », écrit Loti en 1889, quand il relate avec bonheur ses souvenirs d’Afrique du Nord dans Au Maroc, à l’instar d’un Delacroix qui y fut cinquante-sept ans avant. Non seulement Loti se constitue un réservoir d’images photographiques, témoignant d’un sens aigu de la composition et du cadrage, mais il accumule celles d’auteurs réputés tels les frères Beato, Bourne et Shepherd ou Bonfils. À son ami Jules Gervais-Courtellement, il demandera d’illustrer son « conte oriental » Les Trois Dames de la Kasbah, édité en 1889 par L’Algérie artistique et pittoresque.
Si Pierre Loti posa volontiers devant l’appareil en tenue d’officier ou en habit vert d’académicien, il lui plaisait surtout de s’habiller à l’oriental, et il ne s’en privait pas, notamment quand il recevait. De même prenait-il toujours plaisir au cours de ses voyages à croquer et à photographier toutes les figures pittoresques qu’il rencontrait. Sa sensualité, dévorante, bridée par le legs austère du protestantisme familial, pouvait s’exprimer librement.

Autour de l’exposition

Informations pratiques L’exposition « Pierre Loti, fantômes d’Orient » se tient jusqu’au 3 décembre 2006 au musée de la Vie romantique à Paris. Le musée est ouvert tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18 h, tarifs, 7 €/5,50 €. musée de la Vie romantique, hôtel Scheffer-Renan, 16, rue Chaptal, Paris IXe, tél. 01 55 31 95 67, www.paris.fr/musees/Vie_romantique

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°584 du 1 octobre 2006, avec le titre suivant : Après Tahiti et l’île de Pâques, Loti jette l’ancre en Orient

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