Musée

Pierre Loti, sa maison reprend vie

Par Marion Krauze · Le Journal des Arts

Le 8 septembre 2025 - 844 mots

Fermée depuis 2012, l’extravagante demeure de l’écrivain rouvre au terme d’un long chantier de restauration du bâti et des collections.

Extérieur de la maison Pierre Loti à Rochefort. © Simon David, ville de Rochefort
Extérieur de la maison Pierre Loti à Rochefort.
© Simon David, ville de Rochefort

Rochefort (Charente-Maritime). Derrière sa modeste façade, c’est un extravagant intérieur qui a retrouvé tout son lustre. Après treize ans de fermeture, la Maison de Pierre Loti (1850-1923) a rouvert en juin au terme d’un chantier de longue haleine. Consolidation du bâti, restauration, voire reconstitution des décors… « Notre objectif, c’était de retrouver l’état de la maison telle qu’elle était à la mort de Pierre Loti. Il ne l’avait plus vraiment modifiée à partir de 1902, il avait en quelque sorte atteint son idéal », explique l’architecte Elsa Ricaud (agence Sunmetron), chargée de la maîtrise d’œuvre. Un véritable défi pour certaines pièces, jusqu’ici fermées au public, car leurs décors avaient été démontés ou détruits après le décès de l’écrivain. Désormais, quinze salles (dont cinq inédites) se visitent au fil d’un parcours repensé pour retracer plus clairement les aménagements successifs effectués par Loti. Accumulateur compulsif, le romancier et officier de marine décore sa maison dans les moindres recoins, la transforme en écrin pour ses souvenirs de voyages. Décors d’Orient jouxtent pièces inspirées des temps anciens et chambres familiales que Loti a conservées par sentimentalisme. Cet ensemble hétéroclite se visite seulement sur réservation, avec une jauge de dix personnes, instaurée pour préserver la demeure.

La salle Renaissance de la maison Pierre Loti. © Julie Limont
La salle Renaissance de la maison Pierre Loti.
© Julie Limont

C’est précisément la fragilité de la structure qui avait contraint la Ville, propriétaire de la maison depuis 1969, à la fermer en 2012. De son vivant, Loti apporte une multitude de modifications qui affaiblissent la construction, n’hésitant pas à supprimer planchers et murs porteurs pour donner vie à ses envies décoratives. Un siècle plus tard, le constat est critique : la façade penche, les planchers s’affaissent et les fondations sont rongées par les insectes xylophages. La Ville décide dès lors de lancer un chantier en plusieurs phases, comprenant la mise en sécurité du bâti comme la restauration des maisons historiques, des bâtiments adjacents et des collections. Une opération à 14,7 millions d’euros, qui a été en partie financée par l’État (à hauteur de 50 %), la Région et le Département.

La salle Chinoise de la maison Pierre Loti. © Julie Limont
La salle Chinoise de la maison Pierre Loti.
© Julie Limont

Dès 2015, des travaux d’urgence sont menés pour stabiliser l’édifice avec une importante phase de protection et d’étaiement. Deux ans plus tard, l’effort se concentre sur la stabilisation du précieux plafond de la mosquée – pièce maîtresse de la maison –, financée par la Mission Bern. La boiserie polychrome du XVIIe siècle, issue d’un palais syrien, était entièrement grignotée par les vrillettes et menaçait de s’effondrer. De nombreuses injections à la seringue lui ont alors redonné sa masse et sa solidité.

Puis, en 2020, les travaux de gros œuvre débutent : réfection de l’électricité, reprise des éléments architecturaux… Des interventions très minutieuses, proches de l’investigation lorsqu’il s’est agi de reconstituer les pièces vidées de leur décor. S’il a été impossible d’en recréer certaines, faute de documentation (comme la cuisine ou la salle paysanne), une partie de la pagode japonaise et de la salle chinoise ont pu être restituées à partir de photographies d’archives. « Nous avons eu un important dégât des eaux dans cette salle chinoise, qui s’est révélé être un mal pour un bien ! En purgeant l’enduit, nous avons retrouvé les traces des poutraisons, puis le rouge cinabre d’origine », explique Elsa Ricaud. Le volume disparu a donc pu être reconstitué tandis qu’un impressionnant fac-similé remplace désormais un trône impérial perdu.

En parallèle et dès la fermeture de la maison, un important chantier a été mené sur les collections (qui comprennent plus de 3 000 objets). Armes orientales, tissus ottomans, vitraux de la salle gothique… « Un bon millier d’objets ont été restaurés, essentiellement dans des ateliers situés un peu partout en France, précise Claude Stefani, conservateur des musées de Rochefort. Ce qui est complexe, c’est qu’aux yeux de Loti, tout était précieux. Donc tout doit être restauré, y compris les objets de qualité médiocre ! » Au total, trente-quatre corps de métiers auront été mobilisés pour redonner à la maison son atmosphère si particulière.

La Mosquée de la maison Pierre Loti. © Julie Limont
La Mosquée de la maison Pierre Loti.
© Julie Limont

Un musée patrimonial  


Rochefort. En 1802, le grand-père maternel de Pierre Loti (né Julien Viaud) acquiert une maison rochelaise, typique du logis bourgeois de la fin XVIIe - début XVIIIe siècles. Le jeune Julien Viaud grandit en ses murs, puis rachète la demeure à sa mère en 1871, à l’âge de 21 ans. Il aménage une première pièce orientale en 1877, mais ce n’est qu’à partir des années 1880 qu’il laisse libre cours à sa frénésie décoratrice : transformation du salon rouge, création d’une chambre aux abeilles, d’une pagode japonaise, d’une salle gothique… En 1895, il fait l’acquisition d’une maison mitoyenne, n°139 de la rue Chanzy, et installe tour à tour chambre des momies, mosquée (voir ill.), salon bleu, salle Renaissance et salle chinoise (voir ill.). L’achat d’une seconde maison attenante, au n°143, agrandit encore la demeure que Loti se plaît à décorer jusqu’à sa mort en 1923. En 1969, son fils Samuel vend la maison à la Ville, qui la transforme en musée quatre ans plus tard. Classée monument historique depuis 1990, elle est labellisée « Maison des Illustres » en 2011.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°660 du 5 septembre 2025, avec le titre suivant : Pierre Loti, sa maison reprend vie

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