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Enquête

Les musées soignent-ils ?

La Muséothérapie, un vent nouveau gagne les expos

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 6 juin 2023 - 2172 mots

Alors que la santé mentale est devenue un enjeu de société majeur depuis la crise du Covid, nombre de musées, qui avaient dû fermer pendant la pandémie, entendent jouer un rôle essentiel dans la cité et participer au bien-être, voire à la santé, des citoyens.

Atelier de jogging dans le parc du Musée du Louvre-Lens. © Louvre-Lens
Atelier de jogging dans le parc du Musée du Louvre-Lens.
© Louvre-Lens

Un espace de méditation dans une exposition ? C’est ce que propose le Musée Guimet dans son exposition « Médecines d’Asie ». « Nous avons voulu donner à ressentir les effets de la méditation, qui s’intègre dans une vision holistique de la santé en Asie », expliquent Alban François et Aurélie Samuel, commissaires de l’événement. Anecdotique ? Pas tout à fait. « Les visiteurs cherchent désormais à vivre une expérience lorsqu’ils vont au musée », relèvent-ils. De fait, les musées attachent un souci croissant à l’impact qu’ils peuvent avoir sur le bien-être de leurs visiteurs, voire sur leur santé : depuis les confinements et la fermeture des musées, ils ont pris conscience de leur rôle dans la cité et leur possible impact sur la santé mentale des citoyens. Au point de devenir, aussi, des lieux thérapeutiques ? À voir.

Un mouvement anglo-saxon

Si les confinements ont sans aucun doute joué un rôle d’accélérateur et si près de neuf cents études publiées par l’OMS (Organisation mondiale de la santé) mettent aujourd’hui en évidence l’impact positif de l’art sur la santé, la réflexion sur le rôle que les musées ont à jouer dans ce domaine émerge dès les années 1980-1990. Les pays anglo-saxons, confrontés à des dysfonctionnements dans leurs systèmes de santé, dus à une augmentation du nombre des maladies liées au vieillissement et à des inégalités croissantes dans l’accès aux soins, soutiennent le développement d’une vision holistique de la santé publique. Les musées britanniques puis nord-américains commencent ainsi à expérimenter des dispositifs. En 2006, à New York, le MoMA lance « Meet me », un programme qui propose des visites guidées spécifiques pour les malades d’Alzheimer et leurs accompagnants. Lorsqu’en 2013 l’ouvrage Museums, Health and Well-Being [« Musées, santé et bien-être », ndlr] pose la question, en Grande-Bretagne, du rôle thérapeutique que peuvent jouer les musées, « un champ de recherche commence à se fonder », observe Leslie Labbé, ancienne élève de l’École du Louvre, qui a publié un mémoire de fin d’études sur la muséothérapie, et aujourd’hui chargée de projet au sein de l’association Culture & hôpital.

À Montréal, la naissance de la « muséothérapie »

Mais c’est surtout le Musée des beaux-arts de Montréal qui, sous la direction de Nathalie Bondil, lance en 2012 un programme sans précédent qui joue un rôle de détonateur : le musée décide de collaborer, en effet, avec des scientifiques, des professionnels de santé et des associations. « La société civile et le mode de gouvernance en Amérique du Nord permettaient de travailler avec réactivité et fluidité avec différentes associations et organismes de santé », explique Nathalie Bondil. En 2016, un nouveau bâtiment du musée, le Pavillon pour la paix, est même achevé. Des ateliers d’art-thérapie y sont installés, un art-thérapeute est embauché et des visites spécifiques des collections sont initiées pour les malades d’Alzheimer, les patients en cardiologie ou encore des adolescents souffrant de troubles alimentaires. Un comité « Art et santé », dirigé par le scientifique en chef du Québec, voit le jour. Cette même année, un concept nouveau, celui de « muséothérapie », est proposé par Nathalie Bondil dans le « Manifeste pour un musée des beaux-arts humanistes » et déposé par le Musée des beaux-arts de Montréal à l’Office québécois de la langue française. « La muséothérapie, menée en partenariat avec des professionnels de santé et des associations, propose de mettre le visiteur au centre de l’attention », souligne Nathalie Bondil. En 2018, avec l’association Médecins francophones du Canada, le Musée des beaux-arts de Montréal lance la « prescription muséale », soutenue par le ministère de la Santé : si un médecin partenaire du programme juge qu’une visite au musée peut avoir un effet bénéfique sur la santé de son patient, celui-ci peut accéder, sur ordonnance, aux collections du musée. « À présent, j’œuvre pour mettre cela en place en France », confie Nathalie Bondil, désormais directrice du département du musée et des expositions de l’Institut du monde arabe à Paris.

Le mouvement gagne la France

En France ? L’idée de la muséothérapie, envisagée avec curiosité avant les confinements liés à la crise sanitaire, éveille aujourd’hui un intérêt nouveau. « Un basculement s’est opéré ; on assiste à un véritable bouillonnement », observe Leslie Labbé. Une nouvelle vision du musée, qui n’est plus seulement un lieu de « délectation », selon sa définition classique mais qui a aussi désormais un rôle à jouer dans la société, s’impose. Les musées, qui ont pris conscience de leur place essentielle dans la cité, entendent jouer un rôle dans la santé mentale, désormais reconnue comme un enjeu de société majeur. Nathalie Bondil en témoigne : « Aujourd’hui, je suis invitée sur énormément de plateformes et je travaille avec beaucoup de municipalités et de musées, à Paris évidemment, à Lille, Bordeaux, Nantes, Strasbourg, Toulouse, Grenoble, Nice ou encore Antibes. » L’École du Louvre a même ouvert un séminaire consacré à la muséothérapie !

En attendant qu’un jour, peut-être, le ministère de la Santé soutienne en France la mise en place d’une prescription médicale muséale, les musées se soucient donc de la santé et du bien-être de leurs visiteurs. Ils collaborent ainsi de plus en plus avec les hôpitaux et les associations. Certains, comme le Louvre-Lens ou le Palais des beaux-arts à Lille, développent la muséothérapie avec un art-thérapeute. Leurs ateliers rencontrent un succès croissant depuis la crise sanitaire. « Depuis le Covid, ils affichent toujours complet. Ces ateliers s’appuient sur une visite préalable des collections. Quatre créneaux hebdomadaires sont réservés aux patients du CHU, dont les thérapeutes déterminent les objectifs », explique Juliette Barthélémy, cheffe du service Médiation et implication des publics au Palais des beaux-arts de Lille.

Le Louvre à l'hôpital Avicenne à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. © Anne Chauvet
Le Louvre à l'hôpital Avicenne à Bobigny, en Seine-Saint-Denis.
© Anne Chauvet
L’art sur ordonnance

À Montpellier, le Mo.Co., qui associe deux centres d’art et une école, a mis en place en 2022 un dispositif de prescription muséale, dans le cadre d’un partenariat avec les urgences psychiatriques du CHU, soutenu par l’Agence régionale de santé (ARS). « Nous sommes partis de l’idée chère à Louise Bourgeois que “l’art est une garantie de santé mentale” », raconte Numa Hambursin, directeur du lieu. Les urgences psychiatriques adressent ainsi au Mo.Co. des patients présentant des épisodes dépressifs récurrents, qui s’engagent dans un processus sur une certaine durée, afin que des études puissent être menées par le CHU sur l’impact de ces visites sur le bien-être mental. « Nous mettons en place un dispositif sur mesure, qui comprend à la fois des visites des expositions et des discussions. Ensuite, des artistes choisis par le Mo.Co. accompagnent des ateliers avec ces patients », explique Numa Hambursin, en insistant sur le caractère scientifique et médical de cette expérience. Pas question en effet de se contenter de bonnes intentions philanthropiques. « Nous avons voulu alors mettre en place un projet pilote, en lui donnant des moyens importants, qui permette de déboucher sur des études précises qui mesurent la valeur scientifique et le succès du dispositif », insiste Numa Hambursin. Car si les effets positifs d’une visite au musée sur le bien-être sont reconnus, son impact sur la maladie et ses symptômes reste encore, dans une certaine mesure, à démontrer. C’est ce qu’explique Emmanuel Gallet, psychiatre au sein du Centre support de Toulouse en réhabilitation psychosociale. Ce dernier collabore depuis une dizaine d’années avec les Abattoirs et avec le Musée des Augustins à Toulouse, en complément, par exemple, d’ateliers menés au sein de l’hôpital de jour pour apprendre aux patients à décoder les émotions et développer leurs habiletés sociales. Pour ses patients, qui ont des difficultés à nouer des relations, à percevoir des émotions, à comprendre le point de vue d’autrui, il observe que des visites muséales ont un impact réel sur l’estime de soi, qui est un levier de guérison important. « Mais aucune étude ne prouve encore l’efficacité de cette plus-value muséale sur le développement de leurs habiletés sociales à proprement parler. Si on parle de soin, il faut établir des objectifs de symptômes. On ne considère pas la visite des musées pour les patients comme une thérapie stricto sensu, mais comme un pas de côté et un levier supplémentaire pour leur inclusion et leur rétablissement », insiste le psychiatre.

Les musées dans les hôpitaux

De fait, ces visites muséales ouvrent une fenêtre sur le monde et dévoilent une dignité et une identité qui ne se réduit pas à la maladie ou au handicap. Il n’est pas rare, d’ailleurs, que des patients commencent à fréquenter le musée en dehors du cadre thérapeutique. Soucieux dans leur mission de service public d’apporter l’art à ceux qui en sont éloignés et conscients des effets bénéfiques de l’art sur le bien-être mental, certains musées entendent apporter leurs collections à l’intérieur même de l’hôpital. C’est le cas du Louvre, qui célèbre cette année dix ans de partenariat avec l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP). S’il propose des visites spécifiques aux personnes fragiles, parfois sensibles au bruit, à la lumière et à l’affluence, les jours de fermeture du musée ou bien dans les salles moins fréquentées, l’établissement propose également des discussions et des rencontres autour des œuvres au sein même des hôpitaux et a même créé une artothèque, constituée de reproductions de grande qualité en 2D et en 3D, pour amener les œuvres au plus près des patients, jusque dans leur chambre. « Nous avons le devoir de faire en sorte que ces publics, qui ne peuvent venir au musée, puissent accéder à nos collections, et de penser à leurs besoins. En amenant les œuvres jusqu’aux malades, nous leur apportons la beauté, qui les aide à oublier leur corps souffrant », explique Cathy Losson, cheffe du service Éducation démocratisation accessibilité au Louvre. Les œuvres installées dans les chambres, si elles ne provoquent peut-être pas de guérison miraculeuse, participent au processus de guérison dans le cadre d’un accompagnement global. Une façon aussi, pour ce musée dont 73 % des visiteurs sont des touristes, de construire une relation sur le temps long avec un autre public. « Au Louvre, un certain nombre de visiteurs venus de loin, désireux de parcourir le musée en une seule visite, disposent de peu de temps. À l’inverse, les malades et les personnes âgées dans les Ehpad ont ce temps-là », remarque Sébastien Allard, directeur du département des peintures, qui a donné au mois d’avril une conférence à l’hôpital Broca, à Paris, sur la manière dont on conserve et restaure les œuvres d’art. Est-ce à dire que le musée devrait ou pourrait devenir, aussi, un organisme de soin ? Au contraire. « Que chacun reste dans son rôle. Pour les malades, la force du musée est précisément de ne pas être un hôpital », répond Leslie Labbé, qui consacre une partie de son mémoire sur la muséothérapie à cette question. Il permet, précisément, d’en sortir, même quand on y est assigné. Ainsi, pour l’ouverture de l’hôpital de Lens, prévue en 2026, le Louvre-Lens va jusqu’à envisager d’y faire venir des œuvres d’art, des vraies ! Une invitation au voyage et à l’évasion.

À Guimet, une approche holistique de la santé  

Jusqu’au 18 septembre 2023, les médecines d’Asie s’invitent au Musée Guimet, dans une exposition conçue comme un voyage introspectif entre corps et monde spirituel. Une des salles de ce parcours immersif est ainsi consacrée à la méditation. Les visiteurs peuvent y contempler des représentations de méditants, tout en faisant l’expérience d’une courte méditation guidée. « Nous voudrions non seulement que les visiteurs comprennent les traditions médicales asiatiques, mais aussi qu’ils ressentent les effets de la méditation qui, dans les médecines asiatiques, permet d’équilibrer le flux des énergies dans le corps et de calmer un certain nombre de pathologies », explique Aurélie Samuel, une des commissaires de l’exposition.

Marie Zawisza

 

« Médecines d’Asie. L’art de l’équilibre »,

du 17 mai au 18 septembre 2023. Musée national des arts asiatiques – Guimet, 6, place d’Iéna, Paris-16e. Tarifs : 11,50 et 8,50 €. Commissaires : Aurélie Samuel, Alban François et Thierry Zéphir. www.guimet.fr

Pourquoi l’art fait-il du bien ?

Nous avons posé la question à Pierre Lemarquis, neurologue, auteur de L’art qui guérit (Hazan).« La contemplation des œuvres d’art agit dans notre cerveau sur les structures du plaisir et de la récompense par la sécrétion de dopamine, qui restaure notamment l’élan vital, de sérotonine, utilisée dans tous les antidépresseurs, mais aussi d’endorphines, qui soulagent la douleur, et d’ocytocine, qui entre en jeu dans l’amour et l’attachement. Face à une œuvre d’art, notre cerveau se comporte comme s’il se trouvait face à une entité vivante. Devant la « Joconde, » il réagit comme s’il se trouvait face à Mona Lisa qui lui sourit ! Cela fonctionne aussi avec l’art abstrait : le cerveau refait le geste de l’artiste, par exemple celui de donner des coups de canif dans une toile face à un Fontana. Quant aux natures mortes et aux paysages, ils permettent de contempler la beauté du monde. Le sujet de l’œuvre n’a pas besoin d’être joyeux pour nous faire du bien. Devant le dernier Goya ou le dernier Rembrandt, on dialogue avec ceux qui, comme nous, ont traversé les douleurs de l’existence. Cela fait du bien aussi. »

Propos recueillis par Marie Zawisza

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°765 du 1 juin 2023, avec le titre suivant : Enquête : les musées soignent-ils ?

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