LENS
Dans sa nouvelle sélection, le Louvre-Lens privilégie une approche multisensorielle et incite les visiteurs à être actifs face aux œuvres.
Lens (Pas-de-Calais). Tourner autour d’une sculpture, copier le mouvement des personnages d’un tableau, autant d’actions que proposent la médiation et les cartels de la galerie du Temps. Bien que les deux cents œuvres exposées soient assez exceptionnelles, le musée parie sur une appropriation par les visiteurs plutôt que sur un regard savant. Les panneaux explicatifs à l’entrée et la frise chronologique gravée en haut du long mur argenté donnent des repères géographiques et historiques, comme un cadre général où s’articulent les pièces exposées. À propos de repères, la directrice du musée Annabelle Ténèze précise que le nouveau parcours a conservé « la statue de Goudéa, gouverneur de Lagash en Mésopotamie », une œuvre qui « sert de repère aux visiteurs depuis l’ouverture de la galerie » et trône près de l’entrée. La disposition des vitrines et des cimaises amovibles forme un parcours sinueux où les visiteurs sont incités à agir, et à bouger. Cette disposition plus aérée que la précédente s’avère agréable à parcourir, et assez fluide : les œuvres grand format sont disséminées dans le parcours et n’obstruent pas le regard, qui peut tourner autour des œuvres plus petites. Cette présentation où chaque pièce a sa vitrine et son socle est plus accueillante que celle du Louvre à Paris, d’où viennent plusieurs pièces antiques.
Mais l’innovation vient du choix de « cartels dansés » pour certaines pièces, soit un cartel qui propose aux visiteurs de bouger face à l’œuvre. Ces douze cartels ont été rédigés avec la participation d’habitants du département, et celle du chorégraphe Sylvain Groud (Ballet du Nord-CCN) comme le précise Juliette Barthélémy, directrice de la médiation. Il s’agit d’un public « qui ne vient pas au musée » et qui a donc une approche des œuvres différente d’un public habitué. Avec le chorégraphe, le groupe d’habitants a imaginé quels mouvements pouvaient transcrire « les émotions ressenties » face aux œuvres, au-delà d’une démarche descriptive. Sylvain Groud en a tiré de courtes phrases chorégraphiques qui sont proposées aux visiteurs sous forme de dessins avec quelques mots sur le cartel dansé, qui complète le cartel normal. Si les visiteurs (adultes ou enfants) suivent les consignes, ils se retrouveront à genoux devant Le Génie de la Liberté d’Auguste Dumont (1836). Juliette Barthélémy confirme que « parfois nous verrons des visiteurs s’asseoir par terre ou s’allonger devant les œuvres », des pratiques généralement interdites dans les musées qui contribuent ici à désacraliser l’espace muséal.
Ce nouveau parcours sollicite donc le corps, et Annabelle Ténèze souligne l’importance de considérer la galerie comme « un paysage à explorer, y compris à rebours de la chronologie », pour redécouvrir les œuvres qui se présentent majoritairement de dos, obligeant le public à pivoter et faire des détours. Enfin, elle pointe « les jeux de regards entre les œuvres » dans la scénographie, comme entre une icône byzantine et des têtes sculptées de la Renaissance française et italienne en milieu de parcours. Ces jeux subtils amènent le public à marcher en zigzags entre les œuvres, pour chercher les regards : les visiteurs plongent le regard dans les yeux des statues, avec une proximité non dénuée d’émotions.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°646 du 3 janvier 2025, avec le titre suivant : Lens mise sur le corps pour faire appréhender sa nouvelle galerie du Temps