Monument

Le Panthéon, ce « musée » méconnu

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 24 novembre 2020 - 1338 mots

PARIS

« Aux grands hommes la patrie reconnaissante », proclame le fronton du Panthéon. Et aux artistes ? Assurément, puisque l’édifice n’est pas « qu’un » monument, il est aussi l’un des musées les plus secrets de la capitale.

Le Panthéon, un musée ? Sans aucun doute, et un lieu au destin riche en rebondissements liés aux soubresauts politiques. Ce haut lieu de la mémoire nationale n’avait pourtant pas été conçu à cette fin puisqu’il s’agissait d’une majestueuse église commandée par Louis XV à Soufflot. À la Révolution, la « ci-devant » église Sainte-Geneviève à peine achevée est accaparée par le nouveau régime qui la transforme en temple dédié au culte des grands hommes. Ce lieu symbolique, à la silhouette incontournable dans tout Paris, s’impose rapidement comme un enjeu stratégique. Chaque régime voudra ainsi y mettre sa marque en modifiant sa fonction. Et son décor, suscitant un étourdissant jeu de chaises musicales. À l’image de l’iconique fronton de David d’Angers qui a été précédé par trois autres œuvres en moins de quarante ans ! Par ailleurs, qui se souvient que le fameux Penseur de Rodin fut inauguré ici ? Devenu un emblème gênant pour le pouvoir, car point de ralliement des rassemblements syndicaux, il fut transféré en 1922 dans le musée du sculpteur.

Chaises musicales

Lors de la transformation de l’église, on décide de lui conférer une austérité idoine à sa nouvelle fonction de mausolée en murant ses fenêtres et en allégeant la sculpture ornementale. Les œuvres religieuses sont logiquement remplacées par un décor d’inspiration civique, notamment les bas-reliefs de Chaudet et Lesueur toujours visibles. De cette époque, subsistent peu d’autres décors. Tout comme de l’Empire, période pourtant d’une intense activité pour le site. Napoléon Ier instaure une double fonction au monument, le culte est rétabli dans l’église mais la crypte continue à accueillir des dignitaires du nouveau régime. L’Empereur investit également la partie haute en commandant à Gros une fresque à la gloire de la famille impériale. Mais l’histoire en décide autrement, car ce sont finalement Louis XVIII et la duchesse d’Angoulême qui prennent place aux côtés de saint Louis et Charlemagne sous la coupole. La décoration est ensuite complétée par quatre fresques à la forte coloration politique et religieuse réalisées sur les pendentifs par Gérard. Pendant la Restauration, la crypte est d’ailleurs fermée au public et aux nouvelles entrées. Certains réclament que l’on exfiltre les pensionnaires les plus controversés dont Voltaire. Louis XVIII s’y oppose avec cette phrase restée dans les annales : « Laissez-le donc. Il est bien assez puni d’avoir à entendre la messe deux fois par jour. » En l’espace de quelques années, le Panthéon change à nouveau plusieurs fois de destination, tour à tour « temple de l’humanité », basilique nationale et même réserve de poudre lors de la guerre franco-prussienne, avant de recouvrer une vocation purement laïque en 1885.

Une décoration singulière

>Malgré cette ultime affectation, actée pour l’inhumation de Victor Hugo, un vaste chantier commencé en 1874 se poursuit, produisant un mélange des genres inattendu. Mené sous la houlette du marquis de Chennevières-Pointel, directeur des Beaux-Arts, ce programme décoratif est en effet une ode aux valeurs chrétiennes et religieuses de la Nation. Une coloration aujourd’hui difficile à comprendre pour le visiteur, mais qui s’inscrit totalement dans l’esprit des débuts de la IIIe République irriguée par la pensée de l’Ordre moral, une coalition catholique et monarchiste. Le pays, déchiré par la Commune, humilié par la défaite de 1870 et en quête de sens, doit se ressourcer et se mobiliser grâce au roman national et à ce décor édifiant. La geste héroïque de sainte Geneviève se raconte ainsi dans d’immenses toiles marouflées, accompagnées des épisodes glorieux, fondateurs de la Nation, tels le baptême de Clovis, l’épopée de Jeanne d’Arc ou la bataille de Tolbiac. Ce chantier a évidemment une grande ambition artistique et est donc confié aux vedettes de l’art contemporain de l’époque : Puvis de Chavannes, Cabanel ou encore Laurens. Ce qui en fait un précieux musée de la peinture murale académique. Alors que la statuomanie bat son plein, ce chantier s’accompagne bien sûr d’un vaste programme de sculptures commémoratives. Par conséquent, alors que les peintures sont d’essence religieuse, les sculptures exaltent en revanche les héros républicains, à l’instar de Mirabeau, Diderot ou encore la Convention nationale. Les commandes se poursuivent jusqu’à la fin de la Grande Guerre et la dernière pièce à faire son entrée sous la coupole est d’ailleurs le touchant monument aux morts de Bouchard. Cet automne, il sera rejoint par de nouvelles œuvres contemporaines évoquant elles aussi la guerre. Une première depuis presque un siècle ! À l’occasion de la panthéonisation le 11 Novembre de Maurice Genevoix et de Ceux de 14, six sculptures ont été commandées à Anselm Kiefer ainsi qu’une œuvre sonore conçue par Pascal Dusapin, une troublante installation faisant entendre les âmes du mausolée national.

L’exposition Victor Hugo au Panthéon 

En 1885, après près d’un siècle d’hésitation entre le statut d’église et de temple laïque, le Panthéon trouve enfin son identité en devenant définitivement la dernière demeure des « grands hommes ». C’est un événement extraordinaire qui consacre cette affectation : l’entrée de Victor Hugo dans la nécropole. Les funérailles nationales du poète sont d’ailleurs un des événements les plus marquants de la fin du XIXe siècle. Elles furent suivies par plus de deux millions de personnes accompagnant le cortège à travers les rues de Paris, et les photographies de sa panthéonisation firent le tour du monde. En partenariat avec la Maison de Victor Hugo, le Centre des monuments nationaux nous fait revivre ces funérailles hors norme. Une exposition riche en archives inédites, journaux, peintures, sculptures, dessins, mais aussi en objets souvenirs détaillant les étapes de cette cérémonie depuis la veillée funèbre sous l’Arc de triomphe jusqu’à l’entrée du romancier dans la crypte. L’exposition explore également les raisons de cette panthéonisation et notamment l’engagement de l’artiste pour la liberté.

Isabelle Manca

 

« Victor Hugo. La Liberté au Panthéon »,

Panthéon, place du Panthéon, Paris-5e. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h. Tarif : 11,50 €. Commissaire : Alexandrine Achille. www.paris-pantheon.fr

Houdon (1741-1828) 

Napoléon Ier imagine un programme iconographique fort dans lequel tous les grands hommes inhumés dans la crypte seront accompagnés de leur double sculpté. Un seul monument est finalement réalisé : la statue de Voltaire par Jean-Antoine Houdon. Ce portrait en pied montre le philosophe au soir de sa vie saisi dans le mouvement de son entrée au Panthéon. Il emporte dans son tombeau tous les attributs de sa riche carrière. La plume évoque l’écriture, le masque le théâtre et les tablettes son activité de critique.

Antoine-Jean Gros (1771-1835) 

Symbole des mutations du Panthéon et des revirements politiques du XIXe siècle, la fresque commandée par Napoléon à Gros est finalement inaugurée par Charles X. Le programme originel qui glorifiait le couple impérial est évidemment revu et corrigé à la gloire de la Restauration. Si aujourd’hui l’œuvre est mésestimée en raison de quelques maladresses techniques, elle connut en revanche un grand succès lors de son inauguration. Elle valut même à son auteur une petite fortune et le titre de baron.

Puvis de Chavannes (1824-1898) 

Conçu comme un musée d’art contemporain de la peinture murale sous la IIIe République, le Panthéon se dote d’un vaste programme pensé comme un poème héroïque mêlant histoire et religion. Puvis de Chavannes réalise plusieurs cycles du vaste ensemble dédié à la vie de sainte Geneviève, la patronne de Paris. Colorée et animée, la composition de la nef narrant l’enfance de la sainte contraste fortement avec les épisodes marouflés dans le chœur, aux accents plus austères et résolument symbolistes.

Anselm Kiefer (né en 1945) 

Près d’un siècle après sa dernière commande publique, le Panthéon renoue avec l’art contemporain. L’artiste a conçu six sculptures et deux tableaux monumentaux faisant écho au destin des soldats de la Grande Guerre. Ces œuvres poignantes, mêlant différentes techniques, évoquent le quotidien de Ceux de 14 ; les armes, les tranchées mais aussi le no man’s land. Ces créations allégoriques condensent les thèmes omniprésents dans l’œuvre d’Anselm Kiefer comme les champs désolés et les livres en plomb.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°739 du 1 décembre 2020, avec le titre suivant : Le Panthéon, ce "musée" méconnu

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