Musée

Dallas

Le Nasher Museum au corps à corps

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 2 janvier 2013 - 637 mots

Le musée conçu par Renzo Piano est dénaturé par une nouvelle tour voisine qui renvoie des reflets néfastes à l’édifice.

Nasher Sculpture Center
Les salles de la collection permanente du Nasher Sculpture Center, Dallas, surexposées à la lumière reflétée par la Museum Tower voisine.
© NSC, Dallas

DALLAS - En 2013, les célébrations pour les dix ans du Nasher Sculpture Museum de Dallas auront un goût bien amer. Fondé en 1997 et entièrement financé par le collectionneur Raymond D. Nasher (décédé en 2007), le musée souffre depuis plus d’un an de la grossièreté d’un gratte-ciel voisin tout juste sorti de terre. La Museum Tower, tour d’appartements de luxe de 42 étages, est habillée d’un mur-rideau en verre qui reflète en les amplifiant les rayons du soleil en direction du musée. Tant et si bien qu’un matin ensoleillé de mars, alors que la température moyenne dans la ville était de 26°C, celle relevée dans le jardin de sculptures imaginé par Peter Walker était de 39° C…

Le cœur du problème n’est pas tant les plantes brûlées, mais l’intégrité de l’édifice imaginé par Renzo Piano. Le Nasher est un bijou d’ingénierie conçu avec la course du soleil en tête. Sa toiture en verre courbe est coiffée d’une épaisse maille en aluminium, dont les alvéoles axées vers le nord filtrent les rayons du soleil pour créer un éclairage diffus et optimal tout au long de la journée. Mais aujourd’hui, les rayons retombent directement sur les œuvres. Le musée est devenu une fournaise. Le parcours scénographique a été revu en catastrophe – les tableaux ont été déplacés, et l’artiste James Turell a même exigé le démontage de son installation Tending, (Blue), laquelle devait mettre en valeur un ciel bleu et non un gratte-ciel.

Lutte acerbe et négociations stériles
Les nombreux rendez-vous entre le directeur du musée Jeremy Strick et les responsables de la Museum Tower, chacun armés de rapports d’expertise contradictoires, ont fini par tourner au vinaigre. Les promoteurs de la tour refusent de recouvrir la façade de brise-soleil (solution onéreuse proposée par le Nasher), invoquant les dangers liés au vent et aux infiltrations d’eau. Ils estiment que le Nasher doit faire un pas, faire pousser des arbres, recouvrir son toit voire déménager ! « La Museum Tower a créé le problème, c’est à elle de le résoudre ! », fustige Jeremy Strick. Renzo Piano parle d’une situation aberrante : « tous les architectes savent que l’on ne peut pas construire de tels bâtiments sans se soucier des reflets sur le voisinage. La limite convenue est de 20 % de reflets, ici elle atteint 50 % ». Et de souligner que dans le jardin, les œuvres doublement éclairées perdent la plasticité voulue par l’artiste. L’architecte est surtout navré de voir la mémoire de Raymond D. Nasher bafouée – « il voulait créer une oasis pour sa ville » –, et de constater que l’arrogance privée se moque du bien public. Malgré l’aide d’un médiateur sommé par la mairie, chacun campe sur ses positions. Entre les droits d’auteurs de Renzo Piano et la détermination des héritiers de Raymond D. Nasher, l’affaire a les moyens d’être portée en justice.

Avant d’en arriver là, le directeur a lancé fin novembre un appel aux citoyens pour qu’ils expriment leur soutien auprès de la mairie. Appel repris par une dizaine de somités de la ville dans une lettre ouverte publiée par The Dallas Morning News. Or, quatre des douze administrateurs du fonds de pension auquel appartient la tour, sont membres du conseil municipal. Et ledit fonds de pension est celui des forces de police et des pompiers de la ville, qui jouissent d’une grande estime auprès du public. La polémique n’a cessé d’enfler et, à ce jour, seuls 15 des 126 appartements allant de 1,3 à 4,5 millions de dollars ont été vendus (Wall Street Journal). Le plus triste est que cette histoire de gros sous met en péril le travail acharné qu’a fourni Dallas pour renforcer le tissu culturel de son centre-ville.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°382 du 4 janvier 2013, avec le titre suivant : Le Nasher Museum au corps à corps

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