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Le musée du KGB à New York ne passe pas inaperçu

Par Capucine Moulas, correspondante à New York · Le Journal des Arts

Le 16 février 2019 - 936 mots

NEW YORK / ETATS-UNIS

Depuis son ouverture fin janvier, le musée dévolu aux techniques d’espionnage du service de renseignement de l’URSS est pointé du doigt pour sa légèreté. Visite des lieux.

Reconstitution d'un bureau soviétique au KGB Museum, à New York. KGB Spy Museum
Reconstitution d'un bureau soviétique au KGB Museum, à New York
© KGB Spy Museum

New York. Derrière une vitre sous un halo de lumière, un grand buste de Lénine regarde sévèrement la 14e Rue, au cœur du quartier de Chelsea à New York. Une musique de fanfare soviétique attire l’œil sur la devanture rouge et noir du « KGB Spy Museum ». Ce nouveau musée a ouvert ses portes le 17 janvier pour mettre en lumière les techniques d’espionnage du Komitet Gossoudarstvennoï Bezopasnosti, dit « KGB », le service de renseignement russe né en 1917 sous le nom de « Vcheka » et dissous en 1991 avec la chute de l’URSS.

À l’origine de ce musée : une rencontre mystérieuse entre les conservateurs Julius Urbaitis et Agne Urbaityte, père et fille collectionneurs chevronnés de Lituanie, et le propriétaire des murs, un Américain resté anonyme. Sur la brochure rouge disponible à l’entrée du musée qui promet un « voyage dans le temps au cœur du socialisme », le musée assure exposer « la plus grande collection d’objets sur l’espionnage du KGB au monde » et précise « avoir une politique de présentation de l’histoire sans biais politique, pour offrir aux visiteurs un regard factuel et équilibré sur le sujet ».

Dans le monde des espions

Originaire de Krasnodar dans le sud de la Russie, Daniil Putov, le directeur du musée, accueille chaleureusement les visiteurs avec un accent prononcé. Ce grand brun de 21 ans qui se dit fan d’histoire et de musées nous accompagne tout au long de la visite avec entrain, sans se garder de détails, de mimes et de bruitages lorsque les gadgets l’inspirent. « Le musée compte 3 500 objets, dont seulement deux répliques », s’enorgueillit le jeune homme arrivé à New York il y a huit mois.

À première vue, le musée, relativement petit (la plupart des objets exposés étant précisément conçus pour ne pas être vus), ressemble au vestiaire d’un James Bond de l’Est : des caméras cachées dans des boucles de ceinture, des boutons de chemise ou des bijoux, des micros intégrés dans des assiettes, des cendriers ou des cigarettes sont exposés sur des étagères vitrées, à grand renfort de minuscules flèches rouges pour indiquer l’objectif ou l’enregistreur dissimulé.

Entre un détecteur de mensonge, une machine à coder et une paire de lunettes infrarouges, Daniil Putov assure que « 80 à 90 % des objets de la collection sont encore en état de marche ». Précision qui fait frissonner lorsque l’on se penche sur un rouge à lèvres-pistolet, une fausse dent que l’espion croque pour s’empoisonner lorsqu’il est capturé (l’une des pièces préférées de notre guide) ou encore l’une des deux répliques du musée, un « parapluie bulgare » équipé d’une aiguille permettant d’injecter de la ricine, l’un des poisons les plus dangereux au monde.

Près du parapluie, Daniil Putov nous conduit vers une chaise de torture, « authentique », souligne-t-il, sur laquelle il nous invite à nous asseoir pour nous y attacher à l’aide de sangles. « Cette chaise vient d’un hôpital psychiatrique. Les agents du KGB pouvaient immobiliser leurs prisonniers politiques et, par exemple, leur injecter un produit qui les rendait fous », récite le jeune directeur. « Les touristes aiment bien se prendre en photo dessus.»

À quelques mètres de la chaise, un grand mur gradué à la façon des photos de garde à vue invite les visiteurs à se mettre en scène dans la peau d’un détenu avec une pancarte indiquant la date et le nom du musée. Entre cette attraction et un espace pour les enfants, des portes de prison d’origine bordent une reconstitution de cellule. « Touchez cette porte. Vous sentez les pics ? Ils étaient creusés pour empêcher les prisonniers de taper dessus », nous instruit le guide, avant de pointer du doigt un mannequin en camisole qui regarde des vidéos de détenus (« tournées dans de réelles prisons mais jouées par des acteurs », nuance-t-il).

En fin de parcours, Daniil Putov s’arrête face à un bureau éclairé devant un fond vert. Les visiteurs peuvent enfiler une capote en cuir et un béret pour se prendre en photo en tant que « nouveau chef du KGB » dans un décor de bureau soviétique – photo ensuite envoyée par mail, que l’on retrouve régulièrement sur Instagram associé au hashtag du musée.

Une désinvolture dénoncée

Peut-on aborder avec distance l’histoire d’une organisation qui a terrorisé la Russie pendant près d’un siècle et coûté la vie à plusieurs centaines de milliers de personnes ? Dans une critique assassine publiée dans The New Yorker, la journaliste russo-américaine Masha Gessen dénonce le musée « moralement neutre et insouciant ». « Pour le public américain, une présentation divertissante de ce qui a probablement été l’une des organisations de police secrète les plus meurtrières de l’histoire semble non seulement acceptable, mais aussi commercialement prometteuse », assène-t-elle.

« Imaginez que le tyran en question ne soit pas Joseph Staline mais Adolf Hitler. Imaginez que l’on voie une statue géante de sa tête sur un trottoir de Manhattan », ajoute la journaliste. Même écho dans le journal officiel du Smithsonian, où le critique Patrick J. Sauer reproche un manque de remise en contexte historique et une « lecture complètement capitalistique d’objets résolument soviétiques ».

Imperturbable, Daniil Putov rétorque : « Je pense que chacun réagit à sa façon. C’est juste un musée. Vous vous faites une opinion qui vous appartient, nous ne voulons pas faire pression. Nous montrons des choses. C’est tout. » Pour lui, le musée, plus qu’il n’offre une perspective historique, « donne à réfléchir » sur les moyens d’espionnage actuels. « Imaginez un instant ce que les agents d’aujourd’hui peuvent faire alors que l’on a tous une caméra et un micro dans notre poche ! », nous lance-t-il en saisissant son smartphone.

KGB Spy Museum,
245 W 14th St., New York, NY, www.kgbspymuseum.org

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°517 du 15 février 2019, avec le titre suivant : Le musée du KGB à New York ne passe pas inaperçu

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