Belgique - Musée

L’Africa museum plombé par son histoire coloniale

Par Éric Tariant · lejournaldesarts.fr

Le 8 décembre 2018 - 818 mots

TERVUREN / BELGIQUE

Le Musée Royal d’Afrique centrale rouvre ses portes à Tervuren, à côté de Bruxelles, après 5 années de travaux. Une refonte épineuse.

Musée royal de l'Afrique centrale de Tervuren Belgique
Musée royal de l'Afrique centrale de Tervuren, Belgique
Photo Rolf Müller, 2009

Vous avez dit quadrature du cercle ? Comment refonder et réinventer un musée du XXIe siècle dédié aux arts de l’Afrique centrale, un musée dénonçant le colonialisme comme « immoral », « non éthique » et « raciste », pour reprendre les propos de Guido Gryseels, le patron de l’institution, dans un bâtiment classé datant de 1910, complètement imprégné d’histoire coloniale et dont la majorité des collections date des années 1885 à 1960 ? Tel est le défi que n’a pas su véritablement relever la direction du musée et les équipes en charge de la rénovation de celui-ci, placées sous la houlette du cabinet d’architecte Stéphane Beel.

Avant sa fermeture, en décembre 2013, en vue de sa rénovation complète, le Musée Royal d’Afrique centrale était déjà considéré comme le dernier musée colonial au monde. La présentation de la collection permanente, inaugurée en 1910, n’avait pas véritablement été remaniée depuis les années 1950. La proclamation, en juin 1960, de l’indépendance du Congo belge qui deviendra, quelques années plus tard la République démocratique du Congo, n’avait rien changé à cette muséologie désuète à fort relent colonialiste. Guido Gryseels, qui dirige l’institution depuis 2001, s’était engagé, au moment de lancer les travaux, à ne pas éluder le passé colonial, mais au contraire, à « l’examiner de manière franche et objective ».

Musée Royal d’Afrique centrale
Aimé Mpané, Le Congo bourgeonnant, Musée Royal d’Afrique centrale, Belgique
© Musée Royal d’Afrique centrale

Cela n’a pas été simple. Voici un exemple des pesanteurs inhérentes aux lieux et auxquelles la direction du musée a dû se coltiner : la rotonde, par laquelle arrivaient auparavant les visiteurs, demeure un véritable temple dédié au roi Léopold II (1835-1909) avec ses murs en marbre et ses statues en bronze doré figurant des missionnaires belges apportant la civilisation aux « petits » noirs. Pour tenter malgré tout d’atténuer le passé colonial de la rotonde, le buste en ivoire du « roi avec 10 millions de morts sur la conscience » (Mark Twain) a été retiré du lieu. Pour faire contrepoids à l’image de propagande inscrite dans la pierre (le double L, le logo de Léopold II, est visible 45 fois dans le musée), une sculpture a été commanditée à un artiste congolais Aimé Mpane vivant et travaillant en Belgique. Son œuvre, le Congo bourgeonnant, une énorme tête d’Africain vue de profil en bois ajouré, montée sur un socle en bronze, a été installée au fond de la rotonde face à l’ancienne entrée. L’objectif ? Replacer l’Africain d’aujourd’hui au centre !

Autre exemple. Pour s’efforcer de contrebalancer l’effet déplorable produit par la salle dite en mémoire des victimes belges où sont gravés dans le marbre les noms de 1508 militaires ayant perdu la vie au Congo de 1876 à 1908, sans rien mentionner des centaines de milliers, voir des millions, de Congolais morts, victimes directes ou indirectes de l’Etat indépendant du Congo, Freddy Tsimba, artiste travaillant à Kinshasa, a inscrit sur les baies vitrées éclairant la salle les noms des premières victimes congolaises, décédées en Belgique, des suites de la conquête coloniale. Leurs Ombres –c’est le nom de l’œuvre- se projettent sur les murs blancs, en dessous de ceux des victimes belges.

Autre initiative moins heureuse et quelque peu maladroite : les sculptures glorifiant la colonisation ont été déplacées dans les caves du bâtiment rénové, à l’entrée du parcours d’exposition, dans une pièce aveugle transformée en purgatoire du musée.

Stéphane Bell Musée Royal de l'Afrique Centrale
Stéphane Bell - Le nouveau pavillon d'accueil du Musée Royal de l'Afrique Centrale (2007) - Tervuren - Belgique
© SBA

Zones thématiques

S’agissant de la rénovation architecturale proprement dite, le principal changement tient à la création d’un nouveau bâtiment : le pavillon d’accueil. C’est par ce grand rectangle aux façades de verre, aligné avec la façade avant du bâtiment du musée, que se fait désormais l’entrée. Le pavillon d’accueil comprend une boutique, un restaurant, un auditorium et plusieurs salles d’expositions temporaires modulables. Pour rejoindre les espaces d’exposition de la collection permanente, dont la superficie est passée de 6 000 à 10 000 m², le visiteur emprunte désormais une longue galerie souterraine blanche en direction de la cour intérieure excavée du bâtiment du musée. Là, il débouche dans la première salle, baptisée « Zone musée », qui présente l’histoire du lieu, les perspectives d’avenir et les activités proposées au public. 

A l’intérieur de l’ancien magnifique bâtiment, qui a été entièrement rénové dans le respect des plans d’origine du XIXe siècle, les marbres, parquets, menuiseries et peintures murales ont été restaurés, l’isolation thermique, l’étanchéité à l’air et le contrôle d’apport de lumière naturelle intégrés dans les nouvelles plateformes d’exposition. Celles-ci sont organisées en cinq zones thématiques (rituels et cérémonies, langage et musique, paysages et biodiversité, paradoxe des ressources -des pays riches en matières premières dont ne profitent pas une population pauvre- et histoire coloniale et de l’indépendance). 

La collection permanente, centrée sur l’Afrique centrale (Congo-Kinshasa, Rwanda et Burundi) et présentée de manière alerte et vivante, est agrémentée de nombreux écrans multimédias et autres dioramas montrant la diversité des biomes de l’Afrique centrale. 

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