Belgique - Musée

Le directeur du Musée de Tervuren veut accélérer la recherche de provenance

Par Gilles Bechet, correspondant en Belgique · Le Journal des Arts

Le 28 février 2024 - 825 mots

TERVUREN / BELGIQUE

Dans la foulée d’une loi votée en 2022 par le Parlement belge, l’AfricaMuseum de Tervuren a fait de l’étude de provenance une de ses priorités scientifiques. Son directeur en explique la portée.

Bart Ouvry. © AfricaMuseum
Bart Ouvry.
© AfricaMuseum
En juin 2022, la Belgique adoptait une loi sur la restitution des objets volés ou achetés pendant la colonisation. Quelles en sont les conséquences pour le musée ?

Ce qui est important dans cette loi, c’est que les décisions seront prises après un avis d’une commission mixte comprenant des Congolais et des Belges. Il faut éviter les décisions unilatérales, qui peuvent relever des violences symboliques et de la pensée coloniale. Nous voulons décider sur cette problématique ensemble. En tant que musée, nous allons exécuter ce qui est décidé à un niveau politique entre les deux gouvernements, à la suite d’un conseil scientifique. Notre engagement, c’est d’intensifier la recherche sur la provenance de nos collections. Notre responsabilité, c’est aussi de communiquer sur la nature des enjeux et d’être transparents sur la réalité des collections que nous hébergeons. C’est ce que nous faisons avec l’exposition « ReThinking Collections » [jusqu’au 29 septembre].

Quels sont les critères de restitution ?

Dans la loi, on dit que ce qui a été « volé » doit être restitué. Il faut cependant apporter des nuances car il y a différentes possibilités. Un objet volé peut avoir été obtenu de différentes manières, par la violence, le vol ou la manipulation. Fondamentalement, ce sont les scientifiques qui, de manière bilatérale, vont préciser les critères. À côté de la loi belge, il y a aussi les demandes congolaises. Dans le cadre de notre recherche de provenance, nous travaillons avec des scientifiques congolais qui viennent ici, mais qui font aussi de la recherche de provenance au Congo. Leur souci à eux, c’est très souvent de trouver les objets qui permettent de documenter la culture d’une certaine communauté. Avec l’ambition de couvrir tout le territoire. À la suite de cet intérêt, on peut très bien imaginer que certaines pièces dont la provenance n’est pas controversée, parce qu’il n’y a pas eu de vol ni de manipulation, fassent l’objet de prêts à long terme. Le but, finalement, c’est de permettre aux populations du Congo et d’ailleurs, d’avoir un accès à ces objets et surtout de pouvoir se réapproprier cette culture qui leur a été enlevée, parce que le projet colonial était un projet non seulement de domination et d’exploitation, mais aussi d’influence culturelle, religieuse et spirituelle.

Les collections que vous hébergez à l’AfricaMuseum ne comportent pas moins de 120 000 objets. À combien estimez-vous le nombre d’entre eux qui pourraient être restitués ?

Là, je ne vais pas m’avancer, parce que c’est une décision qui ne nous revient pas. Certaines personnes ont fait des estimations, mais il est trop tôt pour dire quoi que soit. Cela dépendra aussi en grande partie de la vision de notre interlocuteur qui est le Congo.

Les archives coloniales donnent-elles des indications sur les conditions réelles d’acquisition ?

Comme nous le montrons dans l’exposition, les archives coloniales documentent souvent de manière très explicite la violence qui a eu lieu. La statue Nkisi Nkonde, la première pièce que l’on voit dans l’exposition, a été volée lors d’une expédition punitive en 1878. Quelques semaines plus tard, le chef coutumier de cette communauté en demandait déjà officiellement la restitution. Ces archives peuvent aussi être complétées par des entretiens avec les descendants de personnes spoliées qui témoignent de ce qui s’est passé. Notre objectif en tant que musée, c’est de documenter les faits. Nous sommes un musée et aussi une institution qui entretient une coopération scientifique dans vingt pays africains. Pour nous, il est crucial de confirmer notre légitimité en tant qu’institution scientifique en prenant au sérieux cette question de la recherche de provenance et de la restitution. Il y va de notre crédibilité et de notre légitimité pour pouvoir travailler non seulement en Afrique, mais aussi avec les Africains. C’est pour nous une opportunité plus qu’un obstacle.

Avec l’exposition « ReThinking Collections », vous montrez que les réflexions sur les collections dépassent la période coloniale…

En effet. On peut y voir un témoignage d’Anne-Marie Bouttiaux qui était ethnographe en chef du Musée royal de l’Afrique centrale et qui a fait sa thèse de doctorat et a mené des recherches en Côte d’Ivoire. Elle explique combien il était délicat pour elle d’acheter certaines pièces. Son arrivée dans un village ivoirien pouvait susciter des tensions et des jalousies. Certaines pièces achetées faisaient l’objet d’interdits qui étaient alors transgressés. C’est en dehors du contexte colonial qu’Anne-Marie Bouttiaux s’est intéressée à des objets et à des pratiques qui s’accompagnent de règles sociales et spirituelles. L’achat de ces objets peut être problématique. En prenant du recul, elle dit qu’elle aurait préféré ne pas travailler sur des masques, mais plutôt concentrer ses recherches sur des objets pratiques et usuels moins spirituellement marqués. Notre job, c’est de regarder de manière critique, de nous interroger sur la provenance de toutes nos collections quelle que soit la période.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°627 du 16 février 2024, avec le titre suivant : Bart Ouvry, directeur du musée royal de l’Afrique centrale (AfricaMuseum) À Tervuren, Belgique : « Nous allons intensifier la recherche sur la provenance de nos collections »

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