Musée

La Tate coupe les ponts avec son embarrassant mécène Anthony d’Offay

Par Lorraine Lebrun · lejournaldesarts.fr

Le 8 septembre 2020 - 619 mots

LONDRES / ROYAUME-UNI

Le marchand d’art, suspecté d’avoir des comportements inappropriés, retire ses œuvres en prêt du musée.

Le nom de l’ancien marchand et galeriste britannique Anthony d’Offay, figure longtemps incontournable du marché de l’art outre-Manche, va être retiré du Turbine Hall de la Tate Modern. Dans un court communiqué commun publié le 4 septembre, la Tate et Anthony d’Offay annoncent mettre fin à leur coopération. « Ceci implique le retour des œuvres prêtées à la Tate par Anthony d’Offay […] et le retrait de toute signalétique liée. […] Ni la Tate ni Anthony d’Offay ne feront davantage de commentaires à ce sujet. »

Depuis 3 ans la Tate devait composer avec des accusations de racisme et de harcèlement sexuel à l’encontre de son puissant bienfaiteur. En 2017, l’artiste noire américaine Jade Montserrat avait rendu public un selfie que le collectionneur lui avait adressé un an plus tôt, se prenant en photo dans un miroir avec un golliwog – poupée de chiffon, caricature grotesque d’une personne noire empreinte d’une forte connotation raciste. La même année, trois femmes le mettent en accusation pour des faits de harcèlement sexuel qui se seraient déroulés entre 1997 et 2004. Le principal intéressé nie en bloc ces dernières accusations. Face à la polémique, la Tate décide alors de mettre entre parenthèse sa collaboration avec Anthony d’Offay, avant de le réhabiliter discrètement en 2019.

Il faut dire que le mécène est à l’origine, en 2008, d’une donation saluée dans le Guardian comme étant « l’un des plus généreux cadeaux jamais fait à un musée dans ce pays » par le directeur de la Tate de l’époque, Nicholas Serota. Le collectionneur permet en effet à la Tate et aux National Galleries de Scotland d’acheter sa collection de 725 œuvres à son prix d’acquisition, c’est-à-dire un peu moins de 30 millions d’euros (26,5 millions de livres) au lieu de son prix estimé, soit 140 millions d’euros (125 millions de livres). Tout ceci en bénéficiant, tout de même, d’une exonération d’impôts à hauteur de 16,4 millions d’euros. Cette collection, appelée « Artists Rooms », appartient conjointement à la Tate et aux National Galleries of Scotland, et ne sera pas affectée par la rupture avec le mécène. 

Pourquoi une telle décision intervient seulement aujourd’hui ? Comme le résume le rapport Tefaf 2020 sur le mécénat, « les institutions culturelles doivent jongler entre leurs besoins de trouver des fonds et le risque d’entacher leur réputation à cause des donations qu’elles reçoivent. La montée des mouvements de protestations et la force des réseaux sociaux a redessiné le cadre du financement privé de la culture, et redéfinit ce qui est éthiquement acceptable […]. »

La Tate en a fait les frais lorsque, le 1er juin dernier, elle a souhaité montrer son appui au mouvement Black Lives Matter sur les réseaux sociaux, et s’est vu reprocher sa collaboration avec l’encombrant philanthrope par Jade Montserrat, qui exhume le selfie au golliwog

Cette rupture se déroule dans un contexte social tendu à la Tate, dont les employés ont débuté une grève illimitée en août, pour protester contre la suppression de 300 emplois au sein de sa filiale commerciale. Un porte-parole du syndicat représentant du personnel, cité par le Guardian, s’est dit soulagé que la Tate ait pris cette décision et espère « qu’il ne s’agit que d’une première étape dans la gestion de ces problématiques institutionnelles, particulièrement le financement dans le monde de l’art »

Le collectif artistique féminin Industria, dans un communiqué publié sur Twitter, a déclaré que l’institution n’était pas tirée d’affaire pour autant et pointe le « racisme institutionnel profondément ancré au sein de la Tate et qui ne se terminera pas simplement avec le retrait du nom d’Anthony d’Offay » des cimaises du musée. 
 

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