Patrimoine immatériel

La France aussi protège son patrimoine culturel immatériel

Par Sindbad Hammache · Le Journal des Arts

Le 19 novembre 2019 - 1001 mots

FRANCE

Tout comme l’Unesco, la France recense ses pratiques artisanales, sportives et folkloriques afin de les documenter, de les protéger et de les faire vivre.

Le savoir faire du tourneur de bois fait partie du patrimoine culturel immatériel en France. © Photo Bertrand, 2007
Le savoir faire du tourneur de bois fait partie du patrimoine culturel immatériel en France.
Photo Betrand, 2007

Quel est le point commun entre la boule lyonnaise, la dorure sur bois le Jour des morts au Mexique, les joutes nautiques, le défilé célébrant le dieu Ganesh, et, depuis le 15 octobre, l’esprit olympique [lire l’encadré] ? Toutes ces pratiques sont inscrites sur une liste peu connue du grand public, celle du patrimoine culturel immatériel (PCI) français. Y sont pourtant recensées depuis 2006 443 pratiques, issues des traditions locales ou bien apportées en France par des populations immigrées. L’Inventaire national du PCI, ainsi qu’il est dénommé, tire ses principes de la Convention de l’Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel (2003), et place au cœur du projet la préservation des pratiques par la transmission.

Transmettre un patrimoine vivant

À la différence du patrimoine culturel bâti, le PCI protège les pratiques plutôt que leur résultat, « le céramiste plutôt que la céramique », résume Isabelle Chave, chargée du dossier au ministère de la Culture. La sauvegarde des pratiques classées s’appuie nécessairement sur la documentation du savoir-faire sous la forme de captations audio, vidéo ou d’archives écrites. Mais le cœur de ce processus de sauvegarde est fondé sur la mise en place de réseaux d’apprentissage qui garantissent la transmission de la pratique d’une génération à l’autre. Pour Thomas Mouzard, également responsable du PCI, « l’archivage classique [audio, vidéo] de l’anthropologie est désormais insuffisant, il pousse à la formalisation des pratiques alors que l’on cherche la transmission ».

Car le but du PCI, loin de la conservation d’un état supposé authentique et immuable, est d’assurer la continuité d’un patrimoine bien vivant. « On considère la pratique dans une contemporanéité, il faut toujours se demander comment elle va se transposer dans notre époque », explique Isabelle Chave. Instrument de droit « mou », le PCI n’impose pas de périmètres protégés contraignants comme c’est le cas pour les dispositifs de protection du patrimoine bâti – ce serait d’ailleurs très difficile. Afin de mener à bien son objectif de sauvegarde et d’inscription dans le présent, le PCI met plutôt en avant l’incitation, en plaçant les pratiquants au centre du processus de patrimonialisation.

La perle de verre

À l’origine des dossiers d’inscription, pas d’experts mais des communautés : les critères objectifs de patrimonialisation du bâti sont remplacés par l’initiative des pratiquants, lesquels prennent la décision de faire classer un élément et rédigent la fiche d’inventaire. C’est en se fondant sur ce document que la commission interministérielle, qui se réunit trois à quatre fois par an, sélectionne les dossiers qui rejoignent la liste française du PCI. Nathalie Srour, présidente de l’association Perliers d’art de France, a réalisé ce travail avec une petite dizaine de passionnés dans la perspective de faire inscrire l’artisanat de la perle de verre en 2018 : « une activité bénévole que chacun effectuait sur son temps libre», relate-t-elle. Il aura fallu un an et demi aux perliers d’art français pour réaliser cette fiche ; un délai rapide quand on sait que l’exercice court souvent sur plusieurs années. La tâche peut en effet être fastidieuse : il faut décortiquer la pratique étape par étape, reconstituer son historique, dénombrer les pratiquants (qui souvent se révèlent bien plus importants que prévu), et envisager un plan de sauvegarde.

L’autonomie avec laquelle les perliers d’art français ont travaillé à l’inscription de leur savoir-faire n’est toutefois pas la règle. Souvent, un ethnologue est appelé en soutien, pour jouer le rôle de « facilitateur », assurant la médiation entre le savoir des pratiquants et le format normé de la fiche d’inventaire du ministère. Pour mener à bien ce travail, la Fédération du cristal et du verre a dû s’appuyer sur l’Institut national des métiers d’art pour faire inscrire cette année les gestes des métiers d’art verriers au PCI. « C’est important d’avoir un tiers qui n’est pas l’association représentative pour réaliser la fiche », explique Franck Staub, secrétaire général de cette petite fédération patronale qui n’aurait pu assumer seule ce travail. La démarche lui a également permis de comprendre que la communauté des verriers est « en réalité beaucoup plus large que la simple fédération puisqu’il y a les centres de formation, les musées, et tous les lieux où la mémoire verrière se perpétue ».

Le type de plan de sauvegarde envisagé varie aussi d’une pratique à l’autre. Concernant les pratiques ludiques ou sportives, ce sont les fédérations qui vont prendre en charge la transmission, en faisant la publicité de leur patrimoine lors de démonstrations et d’événements. Les pratiques rituelles ou orales se transmettent souvent par des liens locaux ou familiaux, qu’il faut alors conserver. Les savoir-faire techniques s’appuient quant à eux sur la mise en œuvre de formations validées par l’État. « L’aspect le plus important pour nous, c’est d’avoir une formation reconnue, une transmission officielle de l’artisanat des perliers d’art », explique Nathalie Srour. Quasiment éteinte il y a vingt ans, la pratique de perlier d’art bénéficie aujourd’hui, grâce au PCI, d’une reconnaissance officielle, qui lui permettra peut-être d’intégrer bientôt les centres de formation d’apprentis ou les lycées techniques.

L’esprit olympique, patrimoine culturel de l’Unesco?  

UNESCO. L’initiative vient du champion olympique Guy Drut, également membre du Comité d’organisation des Jeux olympiques de Paris : inscrire l’esprit olympique sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’Unesco. Ce n’est donc pas un savoir-faire ni une pratique rituelle, mais un ensemble de valeurs (paix, amitié, fair-play) qui pourrait être protégé par l’Unesco. L’objectif est partagé avec quatre autres pays : la Grèce, le Sénégal, la Jordanie et le Luxembourg. Première étape avant l’Unesco, faire inscrire l’esprit olympique au PCI (patrimoine culturel immatériel) de chacun des pays. En France, c’est chose faite depuis le 15 octobre. La fiche d’inventaire française est portée par une large communauté, qui réunit les sportifs olympiens et paralympiens mais aussi des sportifs dont les disciplines ne sont pas représentées lors des Jeux, des acteurs du monde de l’éducation et de la culture. L’ancien champion du 110 mètres haies s’est fixé pour objectif une inscription en 2022 à l’Unesco. Ambitieux.

 

Sindbad Hammache

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°533 du 15 novembre 2019, avec le titre suivant : La France aussi protège son patrimoine culturel immatériel

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