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À Dampierre, l’entrepreneur et la belle endormie

Par Jean-Christophe Castelain · Le Journal des Arts

Le 11 avril 2019 - 1053 mots

DAMPIERRE

Le nouveau propriétaire du magnifique château dans la vallée de Chevreuse est décidé à le restaurer à marche forcée.

Château de Dampierre - Photo Lionel Allorge - CC BY-SA 3.0
Le Château de Dampierre en 2013.

Dampierre-en-Yvelines. Le château de Dampierre-en-Yvelines va-t-il sortir de l’état de quasi-abandon dans lequel la famille de Luynes qui le possède depuis le XVIIe siècle l’a laissé ? À 72 ans, Franky Mulliez, qui vit entre la Suisse, l’Italie et la France, en est tombé amoureux et veut en faire son « dernier projet de vie », selon les termes de son conseiller en communication Jean-René Pavet. Le prince charmant ne ressemble en rien à un descendant de la famille de Luynes. C’est un riche roturier de la famille Mulliez (Phildar, Auchan) qui a créé la chaîne Kiloutou. Il a acquis les lieux l’an dernier pour plusieurs dizaines de millions d’euros et s’apprête à en dépenser presque autant pour le restaurer.

Malgré ses plus de 400 ans, la belle a encore de l’allure. Situé au cœur de la vallée de Chevreuse, le château construit par Jules Hardouin-Mansart au milieu d’un immense parc de 370 hectares a longtemps été le rendez-vous des randonneurs, motards et jeunes mariés de la région. Mais dans les années 1960, la famille, furieuse dit-on après que Malraux a classé le site, décide de ne plus investir dans les travaux. En 2013, elle vend même chez Sotheby’s la prestigieuse bibliothèque, sans pour autant consacrer le produit de la vente (2,4 millions d’euros) à l’entretien du château. En 2015, elle le ferme finalement à la visite.

Mais depuis le 31 mars, à peine quelques mois après le changement de propriétaire, le parc est de nouveau ouvert, avec salon de thé et boutique. Car Franky Mulliez est pressé. Il n’a gardé que quelques pièces pour son usage personnel et veut « rendre » les lieux au public, dans la grande tradition anglo-saxonne.

 

 

Les extérieurs et l’intérieur restaurés d’ici à 2022

Alors que ce type de projet, quand il est géré par une collectivité ou par l’État, peut prendre des dizaines d’années, avec l’entrepreneur le tempo est rapide. Les façades et un tiers de la toiture vont être restaurés d’ici à 2020. L’intérieur devrait l’être en 2021 et 2022. À terme, le château sera remeublé en « haute époque » et présentera la collection de faïence de Nevers du nouveau propriétaire. D’ici à 2024, il est aussi prévu de construire un bâtiment pour abriter la collection de calèches acquise en Espagne il y a quelques mois, qui viendra s’ajouter aux quatre calèches des Luynes que l’on peut voir dans leur jus dès aujourd’hui. Car Franky Mulliez est riche, pressé mais aussi passionné d’attelage. Il aimerait bien ouvrir une école ou un centre dévolu à cette pratique. En revanche, il ne veut pas entendre parler d’art contemporain.

Inutile de chercher ici un schéma directeur ou un projet scientifique et culturel, il n’y en a pas. Franky Mulliez agit par instinct. Si l’idée qui lui est soumise lui plaît, on tape dans la main et c’est lancé. Par exemple, il n’a pas été long à convaincre pour la réhabilitation de l’ancien potager en culture biologique afin de fournir les nombreux restaurants installés dans les environs.

Comme tous les condottieri en affaires qui ont réussi, il s’appuie sur des hommes expérimentés. Il a ainsi fait appel à l’architecte en chef des Monuments historiques qui supervise actuellement l’hôtel de la Marine, Christophe Bottineau (cabinet 2BDM), pour conduire les travaux. La direction des lieux est confiée à Pascal Thévard, qui jusqu’à récemment était chargé des bâtiments et du domaine de Chambord. Et c’est un champion de France d’attelage, Patrick Rebulard, qui va piloter le projet équestre.

Si l’on ne peut qu’être impressionné par le volontarisme du nouveau châtelain, se pose pourtant la question de la pérennité du projet. Certes la 371e fortune de France – fortune plus ou moins française – selon le magazine Challenges a les moyens de son ambition. Les 120 000 visiteurs de son voisin le château de Breteuil, bien plus petit, lui laissent espérer au moins 200 000 entrées payantes (10 € pour le parc, le château n’étant pas – encore – accessible). Viendront s’ajouter des recettes annexes (boutique, salon de thé, séminaire), permettant de couvrir en partie les coûts d’exploitation (une dizaine de salariés sont employés en haute saison).

Mais un tel château coûte cher à restaurer et à entretenir. Et, si Breteuil est à la fois la résidence, l’activité professionnelle et le projet familial de son propriétaire privé, Dampierre n’a pas la même raison d’être pour son nouvel occupant. Les commerçants du village veulent cependant y croire, craignant plus que tout que cette pépite tombe entre les mains d’un prince d’une des pétromonarchies du Golfe qui privatiserait complètement les lieux avec piscine et piste d’atterrissage pour hélicoptères.

 

 

Un château et un domaine exceptionnels  

Monument historique. Dampierre est un lieu remarquable qui aurait vocation à appartenir au domaine public. Construit par l’architecte de Louis XIV en lieu et place d’un ancien château, il est constitué d’un bâtiment principal, un peu massif, et de deux ailes distinctes perpendiculaires. L’ensemble est inscrit au titre des monuments historiques. Par la suite, une orangerie et des communs seront ajoutés. Contrairement à de nombreux châteaux de la région, il s’offre entièrement à la vue depuis la route et, dès que le soleil pointe son nez, il resplendit d’un éclat orangé. Le parc offre toute une série de perspectives : jardin à la française (un peu en jachère), miroirs d’eau, parc à l’anglaise et immense forêt. Selon l’architecte, si la structure du château est solide, l’édifice nécessite de sérieux travaux de reprise des façades ainsi qu’une mise aux normes pour l’accueil du public. L’intérieur est encore plus défraîchi. Modifié au XIXe siècle par l’architecte Félix Duban, il offre un mélange de haute époque et d’éclectisme XIXe dont le clou est le salon d’apparat appelé « salon de musique ». Sur l’un des côtés, une immense décoration murale signée… Ingres sur le thème de l’Âge d’or. Un âge d’or arcadien inachevé rempli de nudités masculines et féminines. Un « Âge de fer » devait lui faire face, mais le propriétaire à l’époque des lieux, exaspéré par la lenteur du maître, non seulement y renonce mais demande à Ingres de ne pas terminer sa première fresque. Un peu par vengeance, il installe devant le décor d’Ingres une immense statue polychrome d’Athéna, du plus mauvais Effet.

 

Jean-Christophe Castelain

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°521 du 12 avril 2019, avec le titre suivant : À Dampierre, l’entrepreneur et la belle endormie

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