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Brégançon, un cadeau empoisonné ?

Le lieu de résidence d’été officielle de la présidence de la République s’est ouvert au public le 29 juin. Sa gestion s’annonce complexe pour le Centre des monuments historiques

Par Margot Boutges · Le Journal des Arts

Le 1 juillet 2014 - 867 mots

Lieu de villégiature privilégié des présidents successifs de la Ve République, le fort de Brégançon dans le Var ouvre tout l’été ses portes au public. Le Centre des monuments nationaux, chargé de la gestion de ce site difficile d’accès, est préoccupé par son modèle économique. Pour couvrir ses coûts de fonctionnement, le fort doit en effet faire chaque jour le plein de visiteurs.

Vue depuis la mer du fort de Brégançon
Vue depuis la mer du fort de Brégançon (Bormes-les-Mimosas, Var)
Photo Patrub01

BORMES-LES-MIMOSAS - « Les gens demandent si on peut le visiter, ils aimeraient bien que ce soit un musée, surtout les jours où on peut moins se baigner », témoignait un maître-nageur devant la caméra de l’ORTF en 1970 (1), désignant le fort de Brégançon (Bormes-les-Mimosas, Var). Quarante-quatre ans plus tard, le lieu de villégiature des présidents de la Ve République répond à ses attentes, devenant pour l’été un lieu d’accueil du public.

En octobre 2013, François Hollande annonçait qu’il confiait la gestion du fort au Centre des monuments nationaux (CMN), décision s’inscrivant dans la volonté de réduire de 2 % les dépenses de son train de vie en 2014 (2), et d’ouvrir au plus grand nombre un lieu délaissé par les deux derniers chefs d’État. Brégançon suit ainsi le chemin de Rambouillet (Yvelines), résidence présidentielle passée au CMN en 2009. Pour l’établissement public et administratif, la prise en charge de ce 97e monument présente un caractère ambivalent. « Le lieu est magnifique », insiste Bernard Le Magoarou, administrateur du fort pour le CMN. Nul ne pourra lui donner tort tant l’édifice dialogue avec harmonie avec son cadre. Un châtelet, deux tours médiévales et une architecture remodelée au cours des siècles – notamment par l’architecte Pierre-Jean Guth qui a transformé une partie du fort en élégante résidence provençale dans les années 1960 – sont fichés sur un piton rocheux ceinturé d’une côte azurée et d’une végétation luxuriante. Un petit paradis qui n’aura pas nécessité la mise en œuvre d’un grand chantier pour son ouverture au public. « Mise en sécurité de la route et un coup de peinture », résume Bernard Le Magoarou, qui évoque un coût de 450 000 euros pour ces travaux. Les espaces du fort accessibles à la visite (lire l’encadré) ont été équipés de simples barrières de mise à distance.

Navette
La gestion du fort ne représente cependant pas une mince affaire pour le CMN. « Le modèle économique reste incertain », explique Bernard Le Magoarou. Donner accès à Brégançon, dont la route étroite traverse une propiété appartenant au duché du Luxembourg, n’est en effet pas simple. Pour s’y rendre, le visiteur doit obligatoirement emprunter une navette, après réservation préalable auprès de l’office du tourisme de Bormes-les-Mimosas. Un maximum de 160 personnes peuvent ainsi défiler chaque jour au fort, escortées par un guide-conférencier dans les intérieurs.
Pour éponger les frais de fonctionnement annuels du fort évalués à 200 000 euros, « il faudrait faire le plein de visiteurs chaque jour d’ouverture », précise l’administrateur, qui rappelle que le CMN fonctionne sur le principe de péréquation, redistribuant les recettes des monuments les plus rentables à ceux qui le sont moins. Il n’en compte pas moins, pour attirer les curieux, sur l’aura d’un lieu longtemps inaccessible et qui a toujours attiré les flashs des paparazzis. « Mais le fort suscite moins d’intérêt que du temps où [Jacques] Chirac se rendait régulièrement au fort et au village d’à côté », explique Valérie Collet, directrice de l’office du tourisme municipal de Bormes-les-Mimosas. « Et l’impopularité de la figure présidentielle pourrait faire diminuer la fréquentation ou créer quelques troubles », souffle-t-on au CMN. Sans compter que le lieu ne cible pas la clientèle étrangère, qui constitue 20 % de la manne touristique du coin. Une semaine avant la réouverture, 1022 personnes avaient réservé pour une visite entre le 29 juin ou le 28 septembre. L’engouement se produira-t-il au cours de l’été et se poursuivra-t-il les années suivantes ? « 2014 est une année test qui nous permettra éventuellement de réfléchir à d’autres modalités de visite », affirme Bernard Le Magoarou. D’autant que la présidence se réserve le droit de revenir au fort pour quelques vacances ou rencontres officielles.

Notes

(1) Source INA.
(2) Un rapport de la Cour des comptes de 2008 chiffrait à 230 000 euros le coût de fonctionnement annuel d’un fort fréquenté quelques jours par an.

Un intérieur modeste

Les six salles ouvertes à la visite n’ont guère été remaniées depuis l’unique séjour du président François Hollande au fort en 2012. C’est sans scénographie aucune que sont présentés canapés, fauteuils, télévisions, vaisselle… provenant du Mobilier national ou du service de l’Intendance de l’Élysée. Quelques meubles Louis XVI côtoient des meubles de style Louis XV fabriqués au XIXe. « La majorité du mobilier n’a pas été modifiée depuis la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, si ce n’est le salon, recouvert de vert perroquet des rideaux au tapis sur volonté de Bernadette Chirac », explique Morwena Joly-Parvex, chef du département des collections du CMN, qui regrette l’absence d’archives retraçant l’évolution de ce mobilier hétérogène et modeste pour une résidence présidentielle. À noter, la présentation de cinq cadeaux diplomatiques offerts à François Hollande par l’Arabie saoudite, le Liban ou les États-Unis, habile manière de donner à voir ces objets sans construire un équipement dédié dispendieux.

Légende photo

Le Fort de Brégançon, dans le Var. © Photo : Philippe Berthé/Centre des monuments nationaux.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°417 du 4 juillet 2014, avec le titre suivant : Brégançon, un cadeau empoisonné ?

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