Monument - Société

Affligeantes affiches

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 20 octobre 2010 - 778 mots

VENISE / ITALIE

L’installation de bâches publicitaires cachant les façades en travaux des palais vénitiens est au cœur d’une polémique sur la lagune.

VENISE - La ville de Venise est devenue l’otage d’immenses bâches publicitaires habillant les échafaudages des façades en cours de restauration des monuments de la place Saint-Marc, du palais des Doges à la bibliothèque Marciana. Leur illumination de nuit garantit un retour sur image maximum aux entreprises locataires. Le prix est modique : environ 40 000 euros par mois et ce pendant trois ans, pour recouvrir deux façades du palais des Doges – comprenant le Pont des soupirs –, soit un peu moins de deux pleines pages de publicité dans un grand quotidien national. Et il manque encore 600 000 euros sur les 2,8 millions nécessaires au chantier.

Pour la Ville et la surintendance des Biens architecturaux et paysagers de Venise qui ont autorisé ces « maxipublicités », c’est désormais le moyen de financer la restauration des édifices, en réponse aux coupes budgétaires exercées par le ministère de la Culture. Ainsi les façades de la bibliothèque Marciana et de l’aile napoléonienne ont-elles été « cédées » pour 3,5 millions d’euros, pendant plusieurs années, à la société britannique Plakativ Media. Ce travestissement de la ville est-il vraiment indispensable à sa survie, et surtout, est-il légal ?  Il y a un peu plus de dix ans, le Credito Bergamasco a déboursé 2 millions d’euros pour financer intégralement, sept ans durant, la rénovation des façades gothiques du palais des Doges. Sur les échafaudages figurait une reproduction de la façade du palais, puis celle d’un Tiepolo, le logo de la banque y apparaissant en toute discrétion. Rien à voir avec les odes à Coca-Cola, Rolex ou Moët & Chandon qui envahissent aujourd’hui la place Saint-Marc.

La Fondation des musées municipaux de Venise, dont dépend le palais des Doges, reçoit chaque année 1,8 million d’euros de la compagnie pétrolière Agip en échange d’un petit logo niché sous les notices des œuvres exposées et de l’organisation de quelques événements. Cette même fondation vient de signer un accord avec la Fondation Prada, qui restaurera à ses frais une partie du palais de Ca’Corner della Regina, pour y accueillir des expositions d’art contemporain, et ce sans aucune contrepartie publicitaire.  Partenariats indispensables Ce gâchis a récemment été dénoncé par les associations œuvrant pour la sauvegarde du patrimoine comme le Fondo per l’Ambiente Italiano. Le comité britannique Venice in Peril a adressé un courrier à la fois au ministre des Biens et Activités culturels, Sandro Bondi, et au maire, Giorgio Orsoni. Il est sommé de modifier la législation autorisant ces pratiques et « de trouver d’autres manières de financer ces travaux de restauration ». Faute de quoi « Venise sera condamnée à être recouverte de placards publicitaires à vie ».

La lettre, dans laquelle il est rappelé que Venise figure sur la Liste du patrimoine mondial de l’Unesco, a reçu la signature de plusieurs sommités du monde de l’art : Lord Norman Foster, architecte ; Mark Jones, directeur du Victoria & Albert Museum, Londres ; Glenn Lowry, directeur du MoMA, New York ; Neil MacGregor, directeur du British Museum, Londres ; Lars Nittve, directeur du Moderna Museet de Stockholm ; Mikhaïl Piotrovsky, directeur du Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg ; Malcolm Rogers, directeur du Museum of Fine Arts de Boston ; Martin Roth, directeur général des Musées d’État de Dresde. Selon Sandro Bondi, ces partenariats sont « positifs et indispensables » et l’installation de ces publicités est réglementée. Sensible cependant à l’émoi suscité, le ministre a demandé à son secrétaire général, Roberto Cecchi, d’affiner les critères définissant l’esthétique et la durée d’affichage de ces publicités. Le maire a quant lui répondu lapidairement : « Si les gens veulent voir [le Pont des soupirs], ils doivent aller chez eux et en regarder une photo dans un livre. » Or, la convention établie en 1924 entre l’État et la Ville, gestionnaire du palais des Doges, interdit de fait ce genre de pratique : le texte stipule que le monument doit être « libre d’objets et de meubles, qui, de quelque manière, peuvent altérer sa beauté et sa majesté, masqueraient la qualité, les tableaux et toute autre particularité inhérente à l’art et à l’Histoire. » Tandis que l’article 49 du nouveau Code des Biens culturels, auquel la surintendance fait régulièrement appel pour se justifier, précise : « Il est interdit de placer ou d’afficher des panneaux ou autres sources de publicité sur les édifices et les zones désignées comme biens culturels. Le surintendant peut, cela dit, autoriser le placement ou l’affichage dès lors qu’aucun tort n’est causé à l’aspect, au décor et à la jouissance publique des dits édifices et zones. »

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°332 du 8 octobre 2010, avec le titre suivant : Affligeantes affiches

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