Société

Restauration - Un patrimoine mis sous bâche

Les bâches publicitaires et le syndrome de Venise

Le très rémunérateur recours à la publicité sur les bâches recouvrant les échafaudages apposés sur les monuments historiques en rénovation suscite inquiétudes et mécontentements

Par Alexis Fournol (Avocat à la cour) · Le Journal des Arts

Le 3 juin 2014 - 1015 mots

VENISE / ITALIE

Ordonné par Aurélie Filippetti, le récent démontage d’une bâche publicitaire recouvrant un hôtel particulier de la place des Vosges attire l’attention sur cette pratique autorisée depuis 2006. Si le Conseil de Paris a adopté un règlement local de publicité, ni le ministère de la Culture ni la préfecture ne semblent prêts à réformer ce dispositif si lucratif.

FRANCE - En octobre 2010, le comité britannique « Venice in peril » s’adressait par voie de presse au ministre de la Culture italien, l’appelant à « modifier la législation qui autorise la présence de publicités surdimensionnées sur les échafaudages des bâtiments publics. Seulement dix ans auparavant, Venise était une ville sans monstrueux panneaux publicitaires. Aujourd’hui, ils se multiplient ». Parmi les signataires, de nombreux directeurs de musées européens et américains. Mais aucun de leurs pairs français. Et pour cause, depuis une loi du 21 décembre 2006, dont les modalités ont été précisées par un décret du 30 avril 2007, modifiant le code du patrimoine, les monuments historiques peuvent désormais recourir à la publicité pour financer des travaux extérieurs nécessitant la pose d’échafaudages. Premier à s’engouffrer dans la brèche, le Grand Palais affichait en 2008 côté Seine sur plus de 500 mètres carrés une publicité géante pour Air France. Suivront Orsay, le Louvre, l’Opéra Garnier, le Palais de justice, l’hôtel de la Monnaie, la place Bellecour à Lyon… Le scénario de Venise se reproduirait-il à Paris ?

Une légère inflexion de la tendance à la multiplication des bâches publicitaires sur les monuments historiques en cours de rénovation semble avoir aujourd’hui cours. Le 5 mai dernier, la ministre de la Culture, Aurélie Filippetti, ordonnait le démontage de la bâche publicitaire recouvrant la façade de l’hôtel particulier de Laffemas, sis place des Vosges, depuis fin 2012. L’Arc de triomphe et le Panthéon, tous deux en travaux, ont refusé malgré le manque à gagner de recourir à la publicité. Le Centre des monuments nationaux (CMN) a préféré confier à l’artiste français JR le soin de décorer la bâche du dôme du Panthéon, alors que le chantier du bâtiment doit s’étendre jusqu’en 2023. La symbolique républicaine des lieux justifiant un tel choix. Mais, à l’image de la Sérénissime où le pont du Rialto demeure en partie revêtu d’une publicité pour un fabricant de vêtements, les bords de Seine s’offrent encore comme un terrain de débauche publicitaire. L’enjeu financier est en effet majeur, l’ensemble des sommes retirées de la publicité devant être allouées à la rénovation du bâtiment. Ainsi, la seule location de l’espace publicitaire lors des deux années de travaux de la Conciergerie aurait rapporté près de 2 millions d’euros. La mise aux normes de l’ensemble des bâtiments accueillant du public afin de se conformer à l’exigence d’accessibilité pour les personnes handicapées d’ici au 1er janvier 2015, et son coût particulièrement élevé, ne devrait pas ralentir le mouvement ni les protestations croissantes.

Attractivité des monuments historiques
Codifiées aux articles R.621-86 et suivants du code du patrimoine, les conditions encadrant l’autorisation d’affichage sur les monuments inscrits et classés accordent une grande souplesse aux propriétaires des bâtiments, dont l’État détenteur en 2013 de 3,8 % du parc des monuments historiques. Selon l’article R. 621-90, « l’autorisation d’affichage est délivrée au vu de la compatibilité du contenu de l’affichage, de son volume et de son graphisme avec le caractère historique et artistique du monument et de son environnement, sa destination et son utilisation par le public, en tenant compte des contraintes de sécurité ». Les limites de la surface consacrée à l’affichage ne peuvent excéder 50 % de la surface totale de la bâche de support.

Le choix des contenus publicitaires et de leur compatibilité avec lesdits monuments laisse parfois dubitatif. La perplexité redouble devant le respect presque trop scrupuleux des textes, lorsque le Musée d’Orsay couvrait en intégralité une partie de sa façade au profit d’un parfum, les deux parties perpendiculaires des échafaudages, d’égale surface, représentant les pilastres du bâtiment. Or, cette modalité de financement accordée aux monuments historiques est doublement dérogatoire. Elle l’est en premier lieu au regard du code de l’environnement qui réglemente plus fermement la publicité visible depuis toute voie ouverte à la circulation publique et interdit toute publicité à moins de 100 mètres d’un monument historique. Elle l’est surtout au regard de la loi du 25 février 1943 réglementant les abords desdits monuments. Dans un rayon de 500 mètres, une vigilance accrue s’impose à l’égard de tous travaux pris dans le champ de visibilité de ces monuments, l’impression renvoyée par ceux-ci étant protégée. Cet impératif les rend aujourd’hui particulièrement attractifs pour les annonceurs. Ceux-ci se détournent ainsi des bâches recouvrant les échafaudages apposés contre des bâtiments privés non classés ni inscrits. En effet, à l’image de nombreuses villes, le Conseil de Paris a adopté le 21 juin 2011 un nouveau règlement local de publicité (RLP), limitant à 16 mètres carrés les panneaux et excluant surtout les berges de Seine, lieu privilégié des annonceurs. Or, l’autorisation de l’affichage publicitaire sur les monuments historiques ne relève nullement de la compétence des communes. Au contraire, l’autorité compétente pour délivrer l’autorisation est le préfet de région ou le ministre de la Culture en cas d’évocation du dossier, après consultation du préfet. Dans cette hypothèse, la direction régionale des Affaires culturelles (Drac) est compétente pour vérifier la compatibilité du projet et la mise en œuvre de celui-ci. Le choix du recours à cette modalité de financement est donc tant budgétaire que politique. Et aucune réforme du dispositif n’est annoncée.

Appel à souscription
Alors sur le départ, l’ancien ministre de l’Écologie, Philippe Martin, donnait le 25 mars 2014 une instruction relative à la réglementation nationale des publicités et des enseignes qui précisait les modalités d’applications du décret du 30 janvier 2012, concernant uniquement les bâches apposées sur des bâtiments privés.
Ainsi que le rappelaient, il y a déjà quatre ans, les signataires de l’appel lancé par « Venice in peril », d’autres solutions existent afin d’assurer la restauration des monuments historiques, tels l’appel à souscription, le mécénat ou encore les fonds européens. Les villes françaises ont encore le choix d’éviter de succomber au syndrome de Venise.

Légendes photos

Piazza San Marco - Venise - Juin 2013
Quai des Orfèvres - Paris - Décembre 2013

© Photo Ludosane

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°415 du 6 juin 2014, avec le titre suivant : Les bâches publicitaires et le syndrome de Venise

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