Belgique - Exposition - Musée

Une collection en question, l’exemple belge

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 9 juin 2022 - 629 mots

BRUXELLES / BELGIQUE

En 1974, Hans Haacke était invité à participer à la célébration des 150 ans du Musée Wallraf Richartz à Cologne.

Pierre Paul Rubens, Quatre études d’une tête, 1640, toile transférée sur bois, 51 x 66 cm, Musées royaux des beaux-arts de Belgique. © Domaine public
Pierre Paul Rubens, Quatre études d’une tête, 1640, toile transférée sur bois, 51 x 66 cm, Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique.

L’artiste allemand proposait une installation autour d’un célèbre Manet, La Botte d’asperges (1880), conservé dans ce musée. Il l’assortit de panneaux retraçant ses propriétaires successifs ; à chaque fois, le nom de l’acquéreur, son statut social et le prix payé étaient indiqués. Le dernier panneau citait le président de la Deutsche Bank et mettait en cause ses activités sous le IIIe Reich. Le projet de Haacke a été refusé.

Ce rappel pour dire le chemin qu’ont parcouru depuis certains musées, et celui qu’il leur reste encore à accomplir pour répondre aux questions qui leur sont désormais adressées avec encore plus d’acuité : la provenance des collections, la manière de les considérer et de les présenter. Ainsi, les Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique (MRBAB) ont lancé un programme « Museum in questions » [« Musée en questions »] et deux salles du Museeoldmastersmuseum à Bruxelles y sont consacrées.

La première prouve que, soixante-dix-sept ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le pillage par les nazis n’a pas encore abouti à de complètes restitutions. À titre d’exemple, sept tableaux, anciens et modernes, en dépôt aux musées, sont accrochés et leurs cartels ne font que poser des questions. Ainsi, à propos d’une Chasse au cerf de Roeland Savery (1575-1639) : « Quel collectionneur pouvait, à la fin des années 1930, offrir un Savery à la vente ? L’œuvre apparaît-elle sur le marché sous cette attribution, ou a-t-elle changé de main de manière plus discrète ? Qui est le marchand d’art Maurice Lagrand, quelle est l’étendue de son réseau ? » L’exposition intitulée « Notre collection en question », jusqu’au 30 juillet 2023, montre la complexité du travail scientifique qui aurait dû être entrepris depuis longtemps et auquel, espérons-le, s’attelleront enfin des historiens de l’art plus préoccupés par la provenance. Elle présente aussi une reproduction, celle des Fleurs de Lovis Corinth (1858-1925), tableau qui, lui, a été enfin restitué l’an dernier.

La seconde salle discute le titre donné, puis redonné, à une œuvre phare de Pierre Paul Rubens, une esquisse à l’huile (vers 1615) qui n’en avait pas à l’origine, comme tout outil de travail, mais avait été intitulée Têtes de nègre lors de son acquisition par le musée en 1890. Comme « Le modèle noir de Géricault à Matisse », au Musée d’Orsay en 2019, l’exposition est l’occasion de questionner le colonialisme et les stéréotypes raciaux, l’esquisse ayant été utilisée pour orner un billet de 500 francs belges, avec au dos un portrait du fameux roi Léopold II ! En 2007, le musée décide de débaptiser l’œuvre qui devient Quatre études de la tête d’un Maure. Mais de tels changements doivent être faits avec précaution, « l’héritage du passé mérite d’être interrogé au-delà des pétitions de principe et d’une émotionnalité prisonnière de l’instant », souligne Michel Draguet, directeur général des MRBAB. L’exposition explique pourquoi cette nouvelle appellation ne pouvait convenir à une œuvre qui s’intitule désormais tout simplement Quatre études d’une tête.

Mais voilà les MRBAB rattrapés par l’actualité. Dans l’escalier royal du Museeoldmastersmuseum sont accrochés sept grands panneaux réalisés par Jan Fabre. Les centres d’art, les municipalités ont affronté différemment la question de la présentation des installations de Claude Lévêque, accusé de viols sur mineurs pour des faits remontants aux années 1980. Mais que faire avec celles d’un artiste, qui, lui, a été condamné le 29 avril à dix-huit mois de prison avec sursis pour violences et attentat à la pudeur, des faits se déroulant de 2002 à 2018. Le musée a plongé l’œuvre dans le noir, un panneau informe le visiteur que le musée « réfléchit à son positionnement en tant qu’institution et explore les options quant à la contextualisation de l’œuvre ». Il devrait donc distinguer l’œuvre de l’artiste. Heureusement.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°590 du 27 mai 2022, avec le titre suivant : Une collection en question, l’exemple belge

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