Droit

La reconnaissance du droit de non-auteur

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 12 février 2023 - 614 mots

Des artistes se battent pour la reconnaissance de leurs droits d’auteur, souvent contre des diffuseurs comme les plateformes numériques qu’ils accusent de ne pas les rémunérer. D’autres, et c’est plus rare, revendiquent leur droit d’auteur pour des œuvres réalisées en collaboration.

Peter Doig © Photo Brian McNeil - 2013 - Licence CC BY-SA 3.0
Peter Doig
Photo Brian McNeil, 2013

Auguste Renoir, César ont été poursuivis en justice par leurs collaborateurs pour des sculptures réalisées en commun, sans qu’elles soient qualifiées comme telles. L’an dernier, le sculpteur attitré du Musée Grévin, Daniel Druet, avait exigé que les œuvres signées par Maurizio Cattelan et qui font sa renommée lui soient créditées, et à lui seul. Heureusement en vain. Ce sont les cas d’artisans hors pair, frustrés face à la gloire et l’argent acquis par celui qui est célébré comme seul auteur et qui les ignore injustement.

L’argent est également au cœur de l’affaire Peter Doig, ce peintre écossais qui, en 2007, était l’artiste vivant le plus cher au monde avec un paysage adjugé 8,4 millions d’euros – depuis, le prix de ses tableaux a triplé. Mais son cas est unique et l’inverse de ceux évoqués précédemment : lui s’est acharné pour que son droit de non-auteur soit établi.

L’affaire est digne d’un scénario de comédie policière. En 1976, un gardien de prison canadien, Robert Flechter, achète pour 100 dollars à un prisonnier, détenu pour trafic de drogue et s’appelant Pete Doige, un petit paysage de désert. Flechter avait connu auparavant Doige dans une université canadienne. Quarante ans plus tard, un ami puis un galeriste de Chicago, Peter Bartlow, convainquent Flechter qu’il est en possession d’une œuvre de jeunesse de Peter Doig – en dépit d’une signature différente – et que cette toile acrylique vaut désormais plus de six millions de dollars. Né en 1959, à Edimbourg, Doig n’a-t-il pas déménagé en 1966 à Toronto avec ses parents ?

Sûrs de leur affaire, les protagonistes approchent la galerie de l’artiste, Michael Werner, pour obtenir un certificat d’authenticité afin de proposer la toile aux enchères. La galerie, après avoir contacté Peter Doig, rejette le tableau. Le rêve de Flechter et Bartlow s’écroule, mais ceux-ci persistent et vont jusqu’à affirmer que Doig refuse de reconnaître ce paysage pour que son passé de trafiquant de drogue ne soit pas révélé. En 2013, ils portent plainte et réclament cinq millions de dollars de dommages et intérêts, ainsi qu’un certificat d’authenticité. Curieusement, un juge de Chicago accepte de recevoir leur plainte et convoque Doig au procès. À lui la lourde tâche d’établir qu’il n’a pas peint ce paysage près de quarante ans plus tôt. Le monde à l’envers ! Ses avocats réussissent à prouver qu’il n’a jamais été inscrit à l’université où Flechter prétend l’avoir rencontré et que la police canadienne ne l’a jamais arrêté pour trafic de drogue. Ils prouvent aussi qu’un Pete Edward Doige a bel et bien existé, qu’il est décédé en 2012 et qu’il remplissait les deux cases à cette époque, université et prison. Les fins limiers retrouvent également la sœur de Pete Edward Doige qui assure que son frère pratiquait la peinture en prison.

Trois ans plus tard, Peter Doig est enfin reconnu comme non-auteur. Face à l’évidence des faits, Fletcher et Bartlow ne font pas appel et le juge vient de les condamner à verser 2,5 millions de dollars de dommages et intérêts à l’artiste. Celui-ci, s’il reçoit la somme, la versera à une association favorisant l’épanouissement artistique des détenus. Heureusement que Peter Doig est riche car mener ces enquêtes a mobilisé des fonds considérables, ont fait observer ses avocats, se réjouissant que la jurisprudence puisse profiter à tous les artistes, même les plus pauvres. Certes, mais on voit mal l’intérêt d’un particulier à se lancer dans une telle aventure contre un artiste peu coté.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°604 du 3 février 2023, avec le titre suivant : La reconnaissance du droit de non-auteur

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