Droit

Le tatouage est-il (juridiquement) une œuvre d’art ?

Par Louise Wagon · lejournaldesarts.fr

Le 9 juin 2023 - 1035 mots

Un colloque qui s’est tenu le 7 juin par Art & Droit a tenté de répondre à cette question… et bien d’autres.

Tatoueur au travail. © ilovetattoos, Pixabay License
Tatoueur au travail.

Le tatouage est devenu très répandu comme on va s’en rendre compte dans quelques semaines sur les plages. Certains tatouages sont très sophistiqués et de nombreux tatoueurs, tels que Sailor Jerry ou Ed Hardy, se qualifient d’artiste. Une journée d’études organisée le 7 juin 2023 par l’Institut Art & Droit, intitulée « Le tatouage. L’art aura-t-il ta peau ? », a tenté de comprendre les difficultés juridiques que rencontre cette pratique, notamment concernant le droit d’auteur

Le tatouage, peut-il être une œuvre d’art ? 
En droit de la propriété intellectuelle, les conditions d’une œuvre de l’esprit sont triples. Il faut une création artistique ou intellectuelle qui résulte d’une « activité humaine et consciente » ; un support, c’est-à-dire que doit s’opérer le passage de l’idée à la forme matérielle ; et l’œuvre doit être originale, empreinte de la personnalité de l’artiste. Une fois l’œuvre créée, l’auteur jouit de ses droits sur l’œuvre. 

Une règle simple qui s’avère compliquée lorsque le support de l’œuvre est un être humain vivant. Si l’œuvre est un objet de droit, comment le corps, sujet de droit, pourrait-il devenir une œuvre ? Cette confusion des personnes et des choses a commencé avec l’avènement de l’Art Corporel – ou Body Art. Une œuvre, sur ou avec le corps, peut être protégée. Mais dans le cadre du tatouage, la protection est rendue plus difficile selon la technique utilisée, précise Clémence Lapôtre, avocate à la Cour en droit de la propriété intellectuelle, de l’art et des données à caractère personnel. 

Une distinction s’opère entre le free hand et le flash tattoo. Le premier, réalisé directement sur la personne, selon l’intuition et l’envie du tatoueur, se concilie le mieux avec le droit d’auteur, puisque le tatoueur est ici libre de ses choix et de sa créativité, ainsi que dans sa réalisation. Le flash tattoo, caractérisé par des motifs déjà prêts à être tatoués, est d’une nature différente. Certains motifs peuvent être « à la mode », ne reflétant donc pas la personnalité du tatoueur qui ne crée, par conséquent, pas d’œuvre originale. 

Le tatoueur, peut-il revendiquer des droits d’auteur ? 
Si le tatouage est considéré comme une œuvre originale, alors le tatoueur détient des droits d’auteur. Toutefois, Clémence Lapôtre rappelle que leur titularité dépend de la façon dont le tatouage est créé. Si le tatoueur a travaillé seul, alors il sera le seul titulaire des droits. Cependant, si le tatoueur a collaboré avec le tatoué ou un autre tatoueur, on parle « d’œuvre de collaboration », entraînant le partage des droits d’auteur. Si le tatoueur modifie un tatouage préexistant ou si son tatouage est modifié ultérieurement, il s’agit d’une « œuvre composite », dont la répartition des droits s’avère plus subtile, explique Noura Amara-Lebret, avocate en droit de l’art et de la culture et en propriété intellectuelle. 

Le tatoueur devra, s’il apporte des modifications, respecter les droits d’auteur sur l’œuvre servant de base ; un accord du premier tatoueur est nécessaire, mais celui-ci peut être recueilli après la réalisation. Si le motif est la création originale et que celle-ci est modifiée par le tatoueur, que cette modification est originale de sorte qu’une œuvre de composition est créée, chacun aura des droits d’auteur concurrents. Le tatoueur aura des droits sur l’œuvre composite réalisée et le tatoué sur le motif préexistant. Ainsi, par exemple, la photographie du tatouage sera sous le joug du droit d’auteur du tatoueur, tandis que la reproduction du motif préexistant par un autre tatoueur concernera le droit d’auteur du tatoué. 

La limitation des droits d’auteur et des libertés du tatoué
Les droits d’auteur du tatoueur sont limités par « les droits et libertés du tatoué », rappelle Clémence Lapôtre. Le droit de suite est évidemment paralysé et les droits moraux sont pratiquement annihilés. Le droit de reproduction est également restreint : le tatoueur ne peut interdire au tatoué de reproduire, par photographie, le tatouage réalisé sur son corps. 

Cependant, cette liberté de photographier son corps trouve ses limites dans la jurisprudence, lorsque la photographie est à but commercial. C’est le cas de l’aigle sur le bras de Johnny Hallyday. Avec l’accord du chanteur, la société Polygram avait autorisé la reproduction sur les produits dérivés liés au chanteur. Or, le tatoueur n’avait pas cédé ses droits d’auteur au chanteur ou à la société. Le tatoueur démontra l’originalité de son œuvre et gagna son procès.

La difficile reconnaissance du tatoueur en tant qu’artiste
En vertu de la loi et de la jurisprudence, le tatouage peut être considéré comme une œuvre de l’esprit protégée par le droit d’auteur, permettant, en principe, aux tatoueurs de passer du statut « artisan » au statut « artiste ». Pour autant, Ophélie Dantil, avocate en droit fiscal, souligne que les tatoueurs doivent faire face à un paradoxe juridique : le Code général des impôts énumère, pour la France, les œuvres d’art – leur faisant bénéficier d’un taux réduit de TVA – énumération dont est exclu le tatouage. Ainsi, lors de la réalisation d’un tatouage, le tatoueur est considéré comme un artisan et son art, comme une prestation de services. 

Cette différence repose principalement sur la qualité du support : un être humain. Si le tatoueur réalisait son art sur un support matériel autre que le corps humain, il pourrait être considéré comme un artiste et bénéficier du taux réduit de TVA au titre de la gravure. 

Cette difficulté de faire reconnaître le tatouage comme une pratique artistique à part entière a été illustrée par d’autres intervenants, dont la doctorante en histoire de l’art à l’Université de Liège, Alix Nyssen qui rend compte de la difficulté des institutions culturelles et musées à accepter le tatouage comme « le dixième art » et à l’exposer. Cette journée d’études, « Le tatouage. L’art aura-t-il ta peau ? » a permis la confrontation des points de vue de juristes, d’historiens de l’art, de sociologues, de professeurs de littérature, de dermatologues, de psychiatres et psychanalystes, sans oublier évidemment de tatoueurs et de tatoués.

Elle a été organisée par l’Institut Art & Droit, une association fondée en 1996 par Gérard Sousi, qui organise des colloques, des conférences, des formations, des publications et des recherches sur le droit de l’art, pour faciliter le dialogue permanent sur des sujets professionnels, juridiques et fiscaux.  
 

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