Société

Assumer, afficher les collaborations

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 22 juin 2022 - 616 mots

Dans l’histoire des relations entre les artistes et leurs assistants ainsi que les litiges pouvant en résulter, l’affaire Daniel Druet contre Maurizio Cattelan est un cas extrême puisque le premier revendique la paternité exclusive des sculptures qui ont fait la renommée du second et nie donc toute création à Cattelan.

Maurizio Cattelan, La Nona Ora (1999) exposée à la Monnaie de Paris en 2016 © Photo Ludovic Sanejouand
Maurizio Cattelan, La Nona Ora (1999) exposée à la Monnaie de Paris en 2016.
© Photo Ludovic Sanejouand

Druet est extrémiste car il ne lui suffit pas de réclamer la qualification de co-auteur pour ces neuf œuvres exécutées de 1999 à 2006, comme l’avait obtenue Richard Guino pour les sculptures réalisées entre 1913 et 1918 à la demande d’Auguste Renoir. Celui-ci avait voulu créer des sculptures s’inspirant de ses peintures mais, âgé de 72 ans, atteint de rhumatismes, il ne pouvait les exécuter lui-même. Son marchand, Ambroise Vollard, lui présente un jeune sculpteur catalan ayant déjà travaillé avec Aristide Maillol. Après une longue procédure, les héritiers de Guino obtiennent en 1973 sa reconnaissance à titre posthume et les sculptures en question sont cataloguées avec les deux noms.

À l’audience du 13 mai dernier, l’avocat de Daniel Druet a vanté « l’expression artistique » de son client et fustigé « un Cattelan, de son propre aveu incapable de sculpter, de peindre, de dessiner ». Les avocats de l’artiste italien et de son galeriste Emmanuel Perrotin se sont attachés, eux, à démontrer la précision des instructions que donnait Cattelan, lors de la commande, puis tout au long de la réalisation. L’affaire confronte deux mondes, celui d’un savoir-faire incontestable à celui où l’exécution du projet est déléguée. Elle met en lumière le dépit d’un octogénaire, autrefois brillant étudiant des Beaux-arts de Paris, deux fois Grand Prix de Rome en 1967 et 1968, promis à une belle carrière académique et reconnu in fine comme un sculpteur attitré du Musée Grévin. Et si l’on considère l’une des sculptures en litige, La Nona Ora (1999) – Jean-Paul II gisant sur un tapis rouge, fracassé par une météorite –, cette œuvre a peu à voir avec la figure en cire du même Jean-Paul II, figé dans sa soutane, au Musée Grévin.

Cette frustration qui peut naître entre exécutant et créateur ne concerne pas seulement les vedettes du marché de l’art. Un tel malaise peut aussi déstabiliser des écoles d’art où les élèves sont encadrés par des artistes mais aussi par des techniciens qui, parfois, estiment leur savoir-faire mal reconnu alors qu’ils consacrent davantage d’heures dans leurs ateliers aux étudiants. Ces écoles doivent favoriser le dialogue, reconnaître les mérites, préciser les compétences, et le ministère de la Culture revaloriser les traitements.

Les usages actuels ne prévoient pas, dans le cartel des œuvres, la mention des exécutants, des fabricants. Sans aller jusqu’à les qualifier de co-auteurs, ne serait-il pas juste de les sortir de l’anonymat pour leur assurer une reconnaissance, informer les acheteurs et le public ? Le réalisateur d’un film en est l’auteur, comme celui d’une vidéo, mais le générique cite aussi le directeur de la photographie, l’ingénieur du son, le créateur des décors, de la musique… Un générique est plus long qu’un cartel, mais une solution peut être trouvée.

Pour réaliser sa célèbre série des années 1980 « Cher peintre, peint pour moi », Martin Kippenberger avait engagé Werner, un peintre de panneaux publicitaires. Pour railler le mythe d’un génie solitaire, il revendiquait cette délégation et, lors de leur première exposition, les tableaux avaient été attribués à « Werner Kippenberger ». Même si l’époque était différente, la stratégie de Pierre Paul Rubens est également instructive. Pour la vente de « ses » tableaux, il avait établi une échelle de cinq prix : au sommet, ceux entièrement de sa main, puis ceux de son collaborateur Antoine van Dyck retouchés par le maître, puis ceux d’autres assistants et retouchés, puis ceux non retouchés et enfin les copies. Rubens affichait donc déjà ses collaborations.

Découvrez nos offres spéciales d'abonnement au Journal des Arts & LeJournaldesArts.fr Inscrivez-vous à la newsletter du LeJournaldesArts.fr

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Assumer, afficher les collaborations

Tous les articles dans Opinion

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque