Detroit, first or last ?

Par Emmanuel Fessy · Le Journal des Arts

Le 29 janvier 2014 - 531 mots

The Detroit Institute of Arts (DIA) sera-t-il le premier musée public à devoir vendre une partie de sa collection à cause de la crise économique et financière actuelle ?

La situation reste confuse dans l’ex-flamboyante capitale de l’automobile devenue le cas le plus grave de faillite aux États-Unis (18 milliards de dollars de dette, dont la moitié auprès des organismes de retraite de ses employés). Déclin industriel, emprunts exorbitants (contrats de swaps auprès des banques), chômage record, Detroit conjugue à son paroxysme les difficultés qu’affrontent aujourd’hui nombre de métropoles dans le monde. Le DIA – qui grâce à l’essor de Detroit dans la première moitié du XXe siècle a pu jouer un rôle international – peut-il alors devenir un cas d’école, être la première institution à devoir se séparer d’une partie de sa collection non pour acquérir d’autres œuvres ou régler ses propres difficultés mais à cause de celles plus vastes de sa tutelle, une municipalité ? Cas inédit.

Le directeur du Metropolitan Museum of Art de New York, Thomas P. Campbell s’est indigné que la collection du DIA (1)  puisse être considérée comme un actif ordinaire, ce que sa mairie n’avait jamais envisagé lors des crises de 1975 ou 2008. C’est que, contrairement à ce musée, le DIA affronte la difficulté du statut juridique de sa collection qui ne semble pas être protégée par une Fondation – comme celle de la quasi-totalité des établissements américains – mais devoir appartenir, partiellement ou en totalité, à la Ville depuis un accord de 1919, où en échange de la construction d’un nouveau bâtiment, de la prise en compte de son entretien et de son fonctionnement, il en avait cédé la propriété. Même si la main sur le cœur, ils proclament leur amour de l’art, les administrateurs de Detroit ont beau jeu alors de considérer les Brueghel, Poussin, Van Gogh, Matisse… à la même aune que des immeubles ou la société de gestion des eaux, pour satisfaire les milliers de créanciers, dont les fonctionnaires inquiets du versement de leurs retraites, qui exigent et manifestent pour la vente de tableaux. Christie’s a ainsi estimé de 454 à 867 millions de dollars certaines pièces majeures de la collection. Pour tenter d’empêcher cette amputation, un groupement de fondations a annoncé réunir 330 millions de dollars et étudierait, en contrepartie, un projet de transfert de la propriété du musée.

L’Europe pourrait se croire protégée d’un tel séisme puisque l’inaliénabilité des collections publiques est souvent inscrite dans des textes ou repose sur un principe bien établi, les cessions demeurant exceptionnelles et limitées. En France, en 2007, à la suite du rapport Lévy-Jouyet, une initiative parlementaire a voulu créer, à côté des trésors nationaux inaliénables, une catégorie d’œuvres « libres d’utilisation ». Elle est restée sans conséquence. Mais prenons garde à l’interprétation politique de discours, de rapports administratifs bienveillants voulant de plus en plus justifier le bon impact de la culture sur l’économie, méfions-nous d’un engrenage ambiant incitant partout en Europe les musées à devoir « rentabiliser » leurs collections. C’est les soumettre à un objectif qui n’est pas leur vocation première, c’est méconnaître et détourner la mission fondamentale des musées qui n’est pas de gérer un stock.

Note

(1) www.dia.org

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°406 du 31 janvier 2014, avec le titre suivant : Detroit, first or last ?

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