Nouveaux records pour une dOCUMENTA sans controverse

Par Isabelle Spicer (Correspondante à Berlin) · lejournaldesarts.fr

Le 13 septembre 2012 - 913 mots

BERLIN (ALLEMAGNE) [13.09.12] – Le musée des cent jours, surnom donné à la dOCUMENTA, ferme ses portes le 16 septembre. A l’heure du bilan, cette treizième édition qui n’a pratiquement pas subi de controverse, est en passe de battre de nouveaux records.

Les œuvres éphémères de la dOCUMENTA montrent qu’on touche bientôt à la fin. Le jardin-œuvre d’art dédié aux papillons de la benjamine des artistes, Kristina Buch, n’a plus guère de fleurs. Telle une éphéméride, les 360 peintures figuratives commandées par Yan Lei à partir d’images trouvées sur internet, ont progressivement été envoyées à une usine automobile proche de Cassel. Des apprentis les ont recouvertes de peinture métallique. Peu à peu transformés en monochromes, ces tableaux ont scandé les jours de la dOCUMENTA comme un compte à rebours.

L’artiste canadien Gareth Moore, sans attendre dimanche, il a purement et simplement rasé un des bâtiments du village qu’il avait commencé à construire dès 2010 pour la dOCUMENTA. Cette ambiance « fin de règne » ne décourage cependant pas les visiteurs qui se pressent toujours nombreux à la dOCUMENTA.

La fin approche, donc, et avec celle-ci, l’heure des bilans. Si le nombre de visiteurs total n’est pas encore connu, les chiffres à mi-parcours montrent que cette dOCUMENTA va battre de nouveaux records. Depuis sa création, l’événement, qui est encore aujourd’hui la plus grande exposition d’art contemporain au monde, a connu une croissance exponentielle. Dès sa première édition, en 1955, 130 000 visiteurs s’étaient déplacés au lieu des 40 000 visiteurs prévus. La police avait dû plusieurs fois intervenir et fermer l’exposition en raison d’une trop grande affluence. La dernière édition de la dOCUMENTA avait accueilli trois-quarts de million de visiteurs.

Il semblerait que le cap du million de visiteurs ne soit pas encore atteint cette fois-ci comme l’espérait Carolyn Christov-Bakargiev, commissaire de l’exposition. Mais la dOCUMENTA 13 a déjà battu un nouveau record : dès le quarante-quatrième jour, 100 000 laissez-passer avec accès illimité pendant la durée de l’exposition avaient été vendus. Il faut y voir un gage de qualité : les visiteurs reviennent encore et encore.

Ce succès profite bien évidemment à la ville de Cassel, comme le confirme ces statistiques tous azimuts : selon le maire de Cassel, le nombre de visiteurs étrangers a augmenté de 112 % lors du premier mois de la dOCUMENTA, par comparaison à juin 2011. Le nombre de nuitées d’hôtels a progressé de 8,2 % sur la même période.

Le commerce de détail a profité de cet afflux touristique, même si les touristes extra-européens sont venus moins nombreux que prévu. « Lors de la semaine de vernissage, les spécialistes [de l’art] ont contribué à une hausse significative du chiffre d’affaires de certains détaillants, dans le segment des biens à prix élevés » a déclaré Christine Neumann, experte en commerce de détail à la Chambre de Commerce et d’Industrie de Cassel. Enfin, l’agence pour l’Emploi confirme que la baisse du chômage en juin de 6,6 % à 6,2 % par rapport à l’année précédente est en grande partie due à la dOCUMENTA, notamment dans les secteurs de l’hôtellerie, de la restauration, et du commerce.

La dOCUMENTA 13 ne profite cependant pas à tout le monde, et il y a dix jours un groupe d’étudiants en art s’était mis en grève, expliquant sur une affiche que le pavillon Sanatorium dans le parc Karlsaue est « un des projets de la D13 qui « utilise » des bénévoles : des étudiants en art venus du monde entier. Dans certains cas, c’est problématique et c’est de l’exploitation.» Finalement, il semblerait que le conflit ne portait pas tant sur le bénévolat que sur le projet artistique de l’artiste Pedro Reyes. Selon certaines sources, le conflit aurait été désamorcé après une conversation par skype entre l’artiste et les étudiants-grévistes.

Au-delà du succès commercial, la dOCUMENTA 13 s’avère également être un succès critique, à juste titre , la qualité des œuvres commandées pour la dOCUMENTA étant exceptionnelle, notamment celles exposées dans la Kulturbahnhof. Cette édition a cependant été dépourvue des habituelles controverses liées à ce genre d’événement. Il faut dire que les thèmes choisis par la curatrice sont particulièrement politiquement corrects : écologie, lutte contre les marchés financiers, pacifisme… Tout au plus Christov-Barkagiev a-t-elle soulevé une tempête dans un verre d’eau en demandant le droit de vote pour les chiens et les fraises.

Même les Indignés ont levé le camp pacifiquement, sur ordre de la police, lundi dernier. Le mouvement, qui s’était baptisé « doccupy » pour l’occasion (contraction de dOCUMENTA et occupy, le nom anglophone des Indignés), se déclare reconnaissant envers Carolyn Christov-Bakargïev qui les a laissés camper librement sur la pelouse du Fridericianum pendant la durée de l’exposition.

Quel sera donc l’apport de cette treizième édition ? La dOCUMENTA 6 avait érigé la photographie et la vidéo comme art à part entière. Okwui Enwezor, commissaire actuel de la triennale au Palais de Tokyo, avait introduit l’art de l’ère post-coloniale, qui ne peut plus ignorer la mondialisation, dans la dOCUMENTA 11.

En ce qui concerne la dOCUMENTA 13, Carolyn Christov-Bakargiev propose dans une interview au quotidien allemand TAZ un néologisme : une éventuelle dé-anthropisation de l’art. Laissons lui le mot de la fin avec ce texte qui accueille pour quelques jours encore les visiteurs à l’entrée de la dOCUMENTA : « L’énigme de l’art, c’est que nous ne savons pas ce que c’est jusqu’à ce qu’il ne fût plus ce qu’il était ». Christov-Bakargiev en est donc consciente, seul l’avenir dira ce qu’il restera de cette dOCUMENTA.

Légende photo

Hall d’exposition, Documenta 13, Cassel, Allemagne - © Photo Yellow Book - 2012 - Licence CC BY 2.0

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