L’art et son milieu inspirent les auteurs et autrices, donnant à lire des ouvrages sérieux ou distrayants, mais toujours passionnants.


Histoire. Raconter une discipline non par ses réalisations les plus abouties mais par ses échecs cuisants ; voilà le postulat original du livre de Benjamin Leclercq. Le journaliste nous introduit dans les coulisses des plus grandes défaites de l’architecture du XXe siècle, en passant au crible les vicissitudes de dix grands noms, de Le Corbusier à Zaha Hadid. Chacun a en effet connu un coup du sort : Charlotte Perriand a par exemple vu son chantier montagnard stoppé net par la guerre, tandis que le projet d’hôtel de luxe de Frank Lloyd Wright a été enterré avec le krach de 1929, sans même parler de Minoru Yamasaki qui n’a pu empêcher le dynamitage du quartier qu’il a construit à Saint-Louis (Missouri). Extrêmement documenté, sans se perdre dans les méandres juridiques et administratifs de ces affaires, le livre est par ailleurs particulièrement bien écrit. Chaque ratage se dévore ainsi telle une nouvelle cruelle et très instructive sur cette profession.
Benjamin Leclercq, Le Fantôme de l’architecte, éd. Parenthèses, Marseille, nov. 2024, 192 p, 24 €.

Roman. L’esprit de la communauté Monte Verità a-t-il inspiré les délégations de la conférence de Locarno il y a tout juste cent ans ? C’est un peu ce que suggère Christine de Mazières dans un roman qui raconte cette fameuse conférence où des ministres allemands, français et anglais se sont retrouvés dans la cité suisse pour tenter de trouver un accord sur les frontières de l’Allemagne et l’entrée de celle-ci à la Société des nations. C’est à quelques kilomètres de là qu’une colonie d’artistes utopistes s’était installée au début du siècle dernier, pratiquant la méditation, la danse, le nudisme. Au moment de la conférence, le site est devenu un hôtel géré par des artistes, et on croise (dans le roman) Marianne von Werefkin, la danseuse Charlotte Bara, ainsi que Leni Riefenstahl alors encore un peu danseuse avant de devenir photographe au service des nazis. La conférence s’est terminée en apparence par un succès, en apparence seulement puisque Hitler arrivera au pouvoir dans les années qui suivent.
Christine de Mazières, Locarno, éd. Seuil, mai 2025, 300 p., 21,50 €

Récit. Guillaume Gallienne est en colère. L’acteur voulait passer sa « nuit au musée » au Musée national de Tbilissi, en Georgie, mais, victime collatérale du conflit entre la présidente de la République et la ministre de la Culture, il se retrouve à la Galerie nationale, sans intérêt, et où il ne pourra pas retrouver ses chers « Ambulants » (nom d’un mouvement réaliste créé en 1863 en Russie). Seule consolation, on a déplacé temporairement le portrait de son arrière-grand-mère géorgienne du Musée à la Galerie. Cette colère va le tenir éveillé toute la nuit au cours de laquelle, assis devant un ordinateur dans une cafétéria chaleureuse comme un hôpital, il va fiévreusement raconter sa vie, trame de cet ouvrage pour la célèbre collection « Ma nuit au musée ». Le sociétaire de la Comédie-Française raconte longuement ses origines familiales, les cousins restés à Tbilissi, ses relations avec ses parents, son allure efféminée qui l’a profondément marqué. À conseiller surtout aux fans de l’acteur.
Guillaume Gallienne, Le Buveur de brume, collection « Ma nuit au musée », éd. Stock, mai 2025, 19,90 €

Policier. Derrière le surréaliste, il y a le pragmatique. Et si René Magritte avait été détective ? Appelés à la rescousse par leur ami Dalí, René, sa femme Georgette et leur chienne Loulou débarquent à Cadaqués en Espagne pour élucider une série de meurtres mis en scène d’après une toile du peintre catalan. Avec un Magritte espiègle, bourru et d’esprit logique, une Georgette finaude face à un Dalí fantasque comme il se doit, ou une Gala distante, la romancière belge s’amuse avec son couple de détectives amateurs inattendus et ses amis artistes. Alliant des péripéties rocambolesques et une irrévérence bon enfant à des recherches rigoureuses sur ses personnages réels, Nadine Monfils orchestre une rencontre au parfum de belgitude, parfois un peu appuyée, entre le surréalisme et Quick et Flupke.
Nadine Monfils, Les Folles enquêtes de Magritte et Georgette, Pataquès à Cadaqués, éd. Robert Laffont, coll. « La bête noire », mars 2025, 216 p, 14,90 €.

Policier. Pratiqué par les écrivains de la Beat generation, le cut-up est un procédé littéraire consistant à mélanger aléatoirement des fragments de textes dans une tentative de rendre tangible la confusion mentale due à la prise de drogues. Pour sa nouvelle intrigue policière, le collectionneur d’art Louis Nègre s’immerge dans le Tanger de cette époque, zone neutre internationale appelée l’« Interzone », propice à toutes les licences et tous les trafics. Ses personnages, même quand ils sont seulement désignés par leur prénom, sont transparents. Ainsi, William est William S. Burroughs. L’Interzone a été analysée par Xavier Garnier (Le Tanger expérimental de William Burroughs, Itinéraires, 2012-3) comme un lieu d’interstices physiques et mentaux pour l’écrivain américain. Un jeu sur les mots, comme le titre « Cut up ». Car le cut up, dans le roman de Nègre, c’est aussi l’assassinat de deux protagonistes. William y serait-il pour quelque chose ?
Louis Nègre, Cut up à Tanger, Cohen & Cohen Éditeurs, avril 2025, 164 p., 22 €.

Histoire. Harry Bellet entretient une relation ambivalente avec les faussaires, qui l’intéressent au point d’avoir rédigé « une édition amplement revue » de son ouvrage sur le sujet, mais « l’énervent » car il ne supporte pas qu’on en fasse des héros. Le journaliste du Monde en connaît beaucoup, comme historien et pour les avoir fréquentés dans l’exercice de son métier. Cette réédition raconte treize cas emblématiques, introduits par une brillante synthèse des faux dans l’art depuis les premières reliques du Christ jusqu’aux faux meubles de Versailles, fourmillant d’informations. L’avalanche de détails est compensée par un style toujours marqué par un humour caustique et ironique, plein d’expressions savoureuses. Harry Bellet raconte aussi les coulisses peu reluisantes du marché de l’art (son explication du succès de la Foire de Bâle est édifiante). « On découvre de nouveaux faussaires chaque année », écrit-il. Il y aura donc certainement une nouvelle édition.
Harry Bellet, Faussaires illustres, « Édition amplement revue et grandement augmentée », éd. Actes Sud, Arles, mai 2025, 230 p., 22 €.
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Six livres plaisants pour les vacances
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°659 du 4 juillet 2025, avec le titre suivant : Six livres plaisants pour les vacances





