Ventes aux enchères

Que deviennent les invendus des ventes aux enchères ?

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 10 avril 2022 - 1141 mots

Les lots qui n’ont pas trouvé preneur ont toujours représenté la face cachée des enchères. Pour autant, ils constituent un gisement souvent mal exploité.

Julien Léopold Boilly, La Vente aux enchères, milieu du XIXe siècle, huile sur toile. © D.R.
Julien Léopold Boilly (1796-1874), La vente aux enchères, milieu du XIXe siècle, huile sur toile.
© D.R.

Si les maisons de ventes communiquent largement sur leurs prix records aux enchères, les lots invendus ne sont pas un sujet qu’elles mettent naturellement en avant. Souffrant d’une mauvaise image, les invendus sont d’ailleurs affublés de termes sévères pour les qualifier : « ravalés », « brûlés »… Les experts estiment que le taux moyen d’invendus, toutes maisons de ventes confondues, se situe aux alentours de 30 %. En 2018, le Conseil des ventes volontaires (CVV) avait estimé que ce taux, en nombre d’objets, était de 35,9 % (contre 33 % en 2017). Toutefois, « ce taux recouvre de fortes disparités car il varie de 12,8 % à 49 % selon les maisons de ventes », précisait-il. À titre d’exemple, Christie’s Paris affiche un taux de 15 % d’invendus en 2021. Il y a également des différences entre les catégories de ventes, la spécialité des monnaies et médailles ayant un taux d’invendus inférieur à 10 %. Selon Artprice, et uniquement pour les lots estampillés « Fine Art », le taux d’invendus en 2021 en France – sur les 91 195 lots « Fine Art » adjugés, soit un record – s’élève à 32 % (contre 35 % en 2019 et 2020), taux le plus faible observé depuis 2000. Au niveau mondial, ce marché des recalés représente un important manque à gagner : en 2015, le rapport « Hiscox » avait estimé que les invendus représentaient un montant de 8 milliards de dollars.

De multiples raisons

Depuis 2018, le CVV n’a plus évoqué la question. Et pour cause. « Nous n’avons pas intégré la question au questionnaire économique pour ne pas froisser les opérateurs de ventes ; au demeurant, c’est une donnée très sensible... », admet Pierre Taugourdeau, directeur délégué administratif, financier et juridique du CVV. Les maisons de ventes ne font souvent pas état de ces lots qui sont considérés comme des échecs. Sollicitées, elles n’ont d’ailleurs pas souhaité répondre, à l’instar d’Artcurial : « Nous ne communiquons pas sur le taux des invendus. », indique laconiquement un porte-parole de l’opérateur.

« Un lot ravalé ? Cela laisse un goût amer et c’est un fil à la patte. Dans l’esprit commun, un objet qui n’a pas été vendu est synonyme de mauvaise qualité, alors que tout un tas de critères sont à prendre en compte pour qu’un lot trouve preneur », commente un acteur du marché. Dans un temps aussi court que celui des enchères, un bien peut ne pas trouver acquéreur pour maintes raisons et ce, indépendamment de ses qualités intrinsèques : une mauvaise estimation, l’absence d’acheteur à un instant donné, un prix de réserve trop élevé concédé par le commissaire-priseur pour obtenir le lot dans sa vacation, ou encore une mauvaise communication. « Cela peut être aussi parce que le lot a été inclus dans une vente qui ne lui convenait pas ou a été mal placé dans la vente, avec un objet plus important arrivant après. C’est la raison pour laquelle je place les lots les plus prestigieux en début de vente », explique le commissaire-priseur Claude Aguttes. Enfin, des frais d’adjudication élevés peuvent également être dissuasifs.

« After sale », une deuxième opportunité de vente

Que deviennent ces lots invendus ? Soit le bien est restitué au vendeur si telle est sa volonté – notamment quand il ne souhaite pas baisser le prix ; soit, dans la majorité des cas, il est reprogrammé pour une vente ultérieure, avec son accord. Selon plusieurs critères qui entrent en compte, notamment la nature du lot, il peut être remis dans une vente très rapidement ou au contraire plusieurs mois après. « L’important est de prendre vite une décision, ce que nous faisons en général une semaine après la vente », témoigne Claude Aguttes.

Dans le cas d’une remise en vente, l’estimation de départ est toujours revue à la baisse – un des motifs pour lesquels les invendus ont mauvaise presse. Mais il arrive régulièrement que l’objet se vende parfois au-dessus du prix auquel il ne s’était pas vendu la première fois.

Autre possibilité : la vente de gré à gré du bien non adjugé à l’issue des enchères, couramment appelée after sale. Cette vente doit intervenir dans un délai raisonnable, assortie d’un prix librement fixé, en accord avec le vendeur. Dans ce cas, il existe deux situations. Soit les clients ont repéré un lot non vendu et se présentent d’eux-mêmes, signifiant qu’ils y portent un intérêt : « En moyenne, à chaque vente, deux ou trois lots sont vendus comme ça, dans l’heure qui suit la vente ou le lendemain », indique un commissaire-priseur. Soit la maison de ventes a la possibilité de proposer le bien non vendu à des clients dont elle pense qu’ils seraient susceptibles d’être intéressés, toujours en accord avec le vendeur. « Il y a même des opérateurs de ventes qui publient sur leur site une liste d’objets à vendre en “after sale” », ajoute Pierre Taugourdeau.

Baisser raisonnablement le prix de réserve

La gestion des invendus – au-delà des sommes déjà dépensées en expertise, marketing, exposition, transport… – représente un coût non seulement en stockage mais implique aussi un lourd travail de démarchage – du temps et du personnel –, ce qui peut affecter fortement les plus petites structures.

Externaliser cette tâche ? En 2014, Jean-Baptiste Fabre avait eu l’idée de lancer « Auction after sale », une plateforme Internet donnant une seconde chance à ces objets invendus. Mais deux ans après, il a dû arrêter. « J’étais sûr qu’il y avait un marché alors j’ai été très surpris de la levée de boucliers à laquelle j’ai été confronté. Pas question que tu mettes ton nez dans la gestion des invendus m’ont rétorqué les maisons de ventes. » Finalement, le CVV a rappelé à l’ordre les opérateurs de ventes volontaires, leur indiquant que seul celui mandaté par le vendeur pouvait orchestrer l’after sale.

Est-ce que le prix de réserve (à la discrétion du vendeur et fixé, traditionnellement, sous l’estimation basse) a un impact ? Assurément. « Certains voudraient qu’il n’y ait plus de prix de réserve, mais cela serait trop dangereux et tirerait le marché vers le bas alors qu’il faut le soutenir », analyse un connaisseur du marché. Selon Clare McAndrew, économiste spécialisée dans le marché de l’art, « le levier imbattable pour diminuer les taux d’invendus serait de baisser les prix de réserve et les estimations afin d’attirer plus d’enchérisseurs. Mais ce prix ne doit pas être trop bas, car si les maisons de ventes fixent continuellement des estimations trop basses (à cause d’un prix de réserve bas), cela signifie que leurs évaluations ne seront pas fiables dans le temps, ce qui dissuadera les acheteurs. »

Pour limiter le nombre d’invendus, la meilleure option reste encore d’être vigilant sur le suivi de la vente. « La solution, c’est une bonne tenue de la réserve. S’il manque des étiquettes, que les lots invendus y sont depuis des années, c’est que c’est mal géré », estime Claude Aguttes.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°586 du 1 avril 2022, avec le titre suivant : Que deviennent les invendus des ventes aux enchères ?

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