Droit

L’expertise judiciaire, pierre angulaire en matière d’authenticité

Par Louise Wagon · lejournaldesarts.fr

Le 26 février 2024 - 658 mots

BESANÇON

La cour d’appel de Besançon réaffirme l’importance de l’expertise judiciaire dans une vente d’un tableau attribué à Courbet.

Gustave Courbet (1819-1877), Le saut du Doubs, 1839-1840. © DR
Gustave Courbet (attribué à), Le saut du Doubs, 1839-1840.
© D.R.

En matière d’authentification des œuvres d’art, le recours à l’expertise judiciaire est fréquent. En général, la plupart des expertises sont réalisées de manière privée, mais en cas de désaccord persistant sur l’authenticité d’une œuvre, ou lorsque l’avis amiable sollicité dans un premier temps fait l’objet d’une contestation devant les tribunaux, la désignation d’un expert par un tribunal peut être nécessaire.

Dans un arrêt du 6 décembre 2023, la cour d’appel de Besançon a ainsi réaffirmé le rôle prépondérant de l’expertise judiciaire dans la résolution des litiges concernant l’authenticité des œuvres d’art. Le 10 juin 2018, un retraité américain fait l’acquisition, à distance, d’un tableau attribué à Gustave Courbet (1819-1877) – Le Sauts du Doubs (vers 1839/40) – pour un montant de 60 002 euros (frais compris), sur la base d’une estimation entre 8 000 et 10 000 euros. Alors que l’étude du commissaire-priseur bisontin lui avait assuré, le jour même de la vente, qu’aucune restauration n’était signalée, l’adjudicataire découvre, en recevant sa facture, une information supplémentaire : « Petites restaurations, vernis jaune épais. »

Avant de réceptionner l’œuvre aux États-Unis, l’acquéreur la prête au Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont (Suisse) pour une exposition en 2019. Le musée qualifie alors l’état de l’œuvre de « mauvais » et constate « que la couche picturale du tableau présente des effritements, des égratignures/usures, des lacunes, un pâlissement ou décoloration, et que la couche de protection est quant à elle affectée de formation de bulles et de décoloration ».

Perplexe, le collectionneur fait examiner Le Sauts du Doubs par le Balboa Art Conservation (BACC), à San Diego, en avril 2021. Le rapport du BACC est sans appel : « Structurellement parlant, le tableau est en mauvais état […] L’esthétique du tableau est également compromise par les zones de pertes apparentes. » A cela s’ajoutent des éléments qui viennent augmenter les doutes : les dimensions du tableau acheté diffèrent de celles indiquées dans le catalogue, avec une différence de 5 mm ; la signature de Gustave Courbet aurait, quant à elle, été ajoutée après le vieillissement de la toile, alimentant encore plus les suspicions. Courbet avait l’habitude de « rendre service » à son ami peintre, Cherubino Pata (1827-1899), moins bien côté que lui, en signant de son nom ses tableaux.

Pour autant, ces éléments ne suffisent pas à convaincre le juge des référés en décembre 2022, qui rejette la demande d’expertise de l’adjudicataire. Selon lui, « il ne suffit pas d’avoir un doute sur l’authenticité d’un tableau pour exiger une expertise. La demande d’expertise doit être étayée par des éléments extérieurs objectifs qui font défaut en l’espèce ». Le juge s’appuyait également sur l’inclusion de l’œuvre dans le catalogue raisonné de Robert Fernier (1895-1977).

La cour d’appel de Besançon a en revanche autorisé l’expertise judiciaire du Sauts du Doubs. Le juge a rappelé que l’appelant avait un intérêt légitime à solliciter une mesure d’expertise, dès lors qu’il verse des éléments concrets accréditant les doutes qu’il émet sur l’état du tableau et/ou son authenticité. Le certificat d’authenticité établi par Robert Hellebranth le 29 octobre 1984 – apparu trois ans et demi après la vente – est remis en question, car il ne comporte « aucune description de l’œuvre, ne serait-ce que par l’indication de son titre ou de son sujet ». La Cour d’appel conteste également le gage d’authenticité que procurerait le catalogue de Fernier dans la mesure où l’œuvre figurant au catalogue porte un titre différent (La Cascade). L'expert devra déposer son rapport définitif dans un délai de six mois à compter de l'avis de consignation de la provision.

« Mon client et moi-même sommes ravis de cette décision rendue par la Cour d'appel qui a suivi l'argumentation développée et a fait droit à notre demande d'expertise de l'œuvre. Celle-ci portera tant sur l'état du tableau que sur l'authenticité de celui-ci. La Cour a constaté nos doutes sur la littérature produite avec ce tableau qui interroge. L'expertise permettra de lever ces doutes », a indiqué Maître Béatrice Cohen, avocate du plaignant.

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