Antiquaire

L’Escalier de Cristal : un marché assagi et plus resserré

Par Marie Potard · Le Journal des Arts

Le 8 mai 2022 - 945 mots

Les productions de ce magasin de mobiliers et objets décoratifs de luxe qui a fermé ses portes en 1923 sont de nouveau accessibles au public depuis que les prix sont redescendus.

Escalier de Cristal, Aquarium, vers 1850, cristal, bronze, h. 45 cm. © Jorom-Derem / Édouard Lièvre, pour la maison L'Escalier de Cristal, Cabinet japonisant, meuble à deux corps, vers 1877, Musée d'Orsay, Paris. © Jean-Pierre Dalbéra
Édouard Lièvre, pour la maison L'Escalier de Cristal, Cabinet japonisant, meuble à deux corps, vers 1877, Musée d'Orsay, Paris.
Escalier de Cristal, Aquarium, vers 1850, cristal, bronze, h. 45 cm.
© Jean-Pierre Dalbéra
© Jorom-Derem

Paris. En décembre dernier paraissait une monographie sur L’escalier de Cristal (1) retraçant l’histoire de ce magasin mythique par l’un des descendants de ses anciens propriétaires. Créé en 1804 dans les galeries du Palais Royal par Marie Désarnaud, ce magasin de luxe tire son nom d’un spectaculaire escalier doté de balustres en cristal, installé en 1813. Grâce à ses célèbres productions d’objets associant cristal taillé et bronze doré (vases, caves à liqueurs, pendules…), mais aussi en verre, en céramique, en bronze, en laque, le lieu acquiert rapidement une renommée auprès d’une clientèle raffinée.

En 1829, l’entreprise prospère est cédée à Jacques Boin, qui, en 1840, s’associe à Pierre-Isidore Lahoche. Les deux marchands poursuivent la spécialité du magasin, tout en développant des pièces de style néo-rococo, très en vogue à l’époque. En 1852, Lahoche s’associe avec son gendre, Émile Pannier. Les années 1850 coïncident avec les premières expositions universelles auxquelles la maison participe, ce qui accroît sa renommée internationale et lui apporte une clientèle royale et princière plus étendue (l’empereur d’Autriche, les rois d’Espagne…). En 1872, la boutique déménage dans les nouveaux quartiers haussmanniens, en face de l’Opéra – l’emblématique escalier y est déplacé.

En 1885, Émile Pannier cède le magasin à ses fils Georges et Henry : ils vont maintenir le savoir-faire de la maison – qui continue de remporter de multiples récompenses, dont la médaille d’or à l’Exposition universelle de 1900 –, tout en renouvelant l’offre commerciale. La mort prématurée de Robert, le fils de Georges et la Première Guerre mondiale vont entraîner le déclin de la marque, qui, de surcroît – alors qu’elle avait toujours su suivre le goût du jour, ce qui avait contribué à son succès – ne va pas évoluer vers l’Art nouveau et l’Art déco. Le magasin ferme ses portes en 1923.

Une étiquette prestigieuse

Un peu à la manière des marchands-merciers au XVIIIe siècle, l’entreprise ne possédait pas d’atelier propre et faisait appel à des artisans et artistes extérieurs pour la réalisation des pièces. « Les carnets d’Henry Pannier sont une source majeure. On y retrouve les noms des collaborateurs, celui des clients ainsi que des dessins très précis des œuvres, permettant des attributions certaines en l’absence de signature », explique le marchand Marc Maison. En effet, les pièces ne portaient pas les noms des artisans qui les avaient réalisées mais la signature – étiquette ou estampille – « Escalier de Cristal ». « Ce nom, très prestigieux, apporte une plus-value à l’objet. Il faut se méfier du “attribué à” de pièces dans le goût de la maison mais qui n’en sont pas –, même si les étiquettes ont parfois pu se détacher. Certains professionnels en ont profité », glisse un connaisseur du marché. À côté, des œuvres en dépôt provenant d’autres manufactures (Baccarat, Sèvres, Saint-Louis, Gallé…) étaient proposées à la vente.

Avec l’arrivée des frères Pannier, la production se diversifie toujours plus et ils se lancent dans le commerce de mobilier. Les créations imitent ou réinterprètent des meubles du XVIIIe siècle – très prisés à l’époque. « Pour ce type de pièces, les prix débutent à 2 000 euros, pour une petite table à écrire, par exemple, et peuvent aller jusqu’à 15 000 ou 20 000 euros pour une belle commode. Mais il y a cinq ans, les prix étaient 50 % plus élevés », observe Marc Maison.

Le Japon comme source d’inspiration

Face à l’engouement pour l’art japonais redécouvert à l’occasion de la participation du Japon à l’Exposition universelle de 1867, les frères Pannier imaginent des œuvres d’art, objets usuels et meubles dont les motifs s’inspirent des estampes japonaises. Pour les réaliser, ils font appel aux artistes spécialisés dans le « japonisme », comme Gabriel Viardot, Louis Majorelle, Eugène Rousseau… « Ce sont ces pièces qui atteignent les prix les plus élevés, surtout quand on peut retrouver le modèle dans les carnets d’Henry Pannier », précise Marc Maison.

Parmi les meubles d’inspiration japonisante figure une série de six cabinets de forme Pagode, avec des variantes, inspirés d’un modèle d’Édouard Lièvre [voir ill.]. Quatre ont été retrouvés dont celui passé en vente chez Daguerre en 2013 (1,2 M€) ou chez Bonhams Londres en 2008 (2,3 M€, « un prix délirant » selon les spécialistes). En 2014, une Étagère, vers 1900-1910, modèle Viardot, a été adjugée 125 000 euros chez Coutau-Bégarie.

Coté objets, « les pièces les plus prisées aujourd’hui sont celles en cristal taillé ou émaillé, montées en bronze, de style japonisant. Pour autant, la production a été restreinte à l’époque, donc nous en trouvons peu sur le marché », explique Philippe Zoï (Tobogan Antiques). En 2011, une coupe à la carpe a été vendue 91 200 euros chez Doutrebente, tandis qu’un aquarium en cristal taillé, le piètement en bronze à décor de chiens de Fô a été adjugé 12 120 euros chez Jorom-Derem en janvier 2021 [voir ill.].

« Globalement, les prix s’échelonnent entre 200 euros (pour une assiette) et 25 000 à 35 000 euros, avec une moyenne autour de 5 000 à 7 000 euros, selon les techniques utilisées et la taille de la pièce. Plus il y a de techniques associées, plus c’est cher », souligne Philippe Zoï. « Aujourd’hui, le marché est devenu plus raisonnable, mais il y a une dizaine d’années, il était en plein boom et les prix étaient au plus haut », rapporte Philippe Zoï. « Ces trois dernières années, je n’ai pas vu de pièces importantes sur le marché, mais l’arrivée d’une succession suffirait à changer la donne », espère Marc Maison.

(1) L’escalier de cristal - Le luxe à Paris 1809-1923, Annick et Didier Masseau, éditions Monelle Hayot, 2021.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°588 du 29 avril 2022, avec le titre suivant : L’Escalier de Cristal : un marché assagi et plus resserré

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