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Les galeries de Matignon veulent être le nouveau hub

Par Anne-Cécile Sanchez · Le Journal des Arts

Le 29 avril 2025 - 1057 mots

PARIS

Très discrètes sur leur niveau d’activité réel dans ce quartier huppé, les grandes galeries continuent à miser sur les clients des hôtels de luxe voisins.

L'exposition d'Augustín Cárdenas actuellement présentée par la Galerie Mitterrand dans tous ses espaces (ici vue du 95 Faubourg Saint Honoré). © Aurélien Mole © Adagp Paris 2025
L'exposition d'Augustín Cárdenas actuellement présentée par la Galerie Mitterrand dans tous ses espaces (ici vue du 95 Faubourg Saint Honoré).
© Aurélien Mole
© Adagp Paris 2025

Paris. Ce n’est plus une dynamique, c’est une véritable bousculade. Alors qu’en janvier dernier, la galerie Mitterrand a inauguré sa nouvelle adresse dans le huitième arrondissement, rue du Faubourg-Saint-Honoré, à quelques numéros de la galerie italienne (rebaptisée « Pron ») qui a quitté, début avril, la rue du Louvre, voilà que Perrotin, déjà présent au 2 bis de l’avenue Matignon depuis 2020, a créé la surprise en annonçant, le 9 avril, l’ouverture d’une exposition dans l’hôtel particulier sis au 8 de l’avenue (voir ill.). Un retour en beauté, en fait, dans ce bâtiment qu’il avait partagé quelques mois avec ses anciens associés Tom-David Bastok et Dylan Lessel. Les deux marchands ayant ensuite mis un terme à leur activité dans les lieux, la galerie Perrotin en investit les quatre étages – au grand dam de ses confrères en quête de quelques mètres carrés disponibles dans ce secteur très convoité. Il y a quinze ans, la méga-galerie de Larry Gagosian fut l’une des premières à miser sur le potentiel du huitième arrondissement en s’établissant rue de Ponthieu, un an après Tornabuoni Art et Guy Pieters (lequel céda deux ans plus tard son pas-de-porte à la Strouk Gallery). Kamel Mennour avait rejoint cette première vague, en 2016, en ouvrant son troisième espace près des Champs-Élysées. « J’ai été parmi les premiers à ouvrir rive droite afin de participer à l’élan qui consistait à redonner à voir des formes de créations contemporaines dans le 8e arrondissement », se souvient le galeriste, « Parisien dans l’âme ».

L'hôtel particulier du 8 avenue Matignon où s'est installée la Galerie Perrotin. © Tanguy Beurdeley
L'hôtel particulier du 8 avenue Matignon où s'est installée la Galerie Perrotin.
© Tanguy Beurdeley

La deuxième déferlante s’est formée en 2020, alors que la crise sanitaire venait bousculer les règles du marché de l’art. Perrotin, Skarstedt, Mariane Ibrahim, Almine Rech, Nathalie Obadia, Cécile Fakhoury, Hauser & Wirth, White Cube, ont alors ouvert des antennes dans le quartier, où de nouvelles enseignes ont également choisi de s’installer, comme la galerie Le Clézio, qui a emménagé fin 2024 au 157, rue du Faubourg-Saint-Honoré (*), en périphérie de cette concentration accélérée. Au même moment, le Marais semble perdre de son attractivité. « Il y a encore quelques années, les collectionneurs américains et asiatiques arpentaient ses ruelles. Après le Covid, ils se sont faits rares », explique Sébastien Carvalho, directeur de la galerie Mitterrand, qui conserve ses espaces cossus de la rue du Temple. Tous les galeristes évoquent les difficultés de transport dans ces artères étroites et désormais en partie réservée aux circulations douces, les visiteurs étrangers habitués des palaces ou ayant des pied-à-terre rive gauche étant peu enclins à se déplacer en deux-roues ou en métro. « Un collectionneur chinois de passage pour deux jours ne va pas perdre deux heures pour faire un aller-retour dans le Marais quand il peut se rendre en cinq minutes au carrefour avec l’avenue Delcassé où son chauffeur pourra se garer facilement », estime Almine Rech qui dispose d’un espace, rue de Turenne et d’un autre avenue Matignon. Le constat est le même pour la clientèle d’avocats et de banquiers qui prospère à proximité du Triangle d’or. « Ici, ils peuvent faire un saut à l’heure du déjeuner, ce qui est devenu impossible dans le Marais », constate Nathalie Obadia, dont l’activité se décuple entre la rue du Cloître-Saint-Merri et la rue du Faubourg-Saint-Honoré. Le week-end, alors qu’il y a foule dans les rues piétonnes du Marais, le 8e est désert ; quiétude qu’apprécient les quelques clients qui s’aventurent dans ces artères haussmanniennes. L’animation bat discrètement son plein en semaine dans cet arrondissement doté de bien d’autres atouts : les grandes maisons de mode et les hôtels de luxe comme le Georges V ou Le Bristol. « C’est là que tout se passe », résume le marchand et art advisor Pierre Cornette de Saint-Cyr, qui a jeté son dévolu sur 60 mètres carrés, avenue Franklin-Roosevelt, dont il prévoit de faire son showroom à la rentrée.

Des synergies espérées avec Art Basel Paris

C’est surtout là que se trouvent les maisons de ventes, concurrentes potentielles avec lesquelles les galeries préfèrent envisager des synergies positives. Artcurial, Christie’s, Piasa, Sotheby’s sont en tous cas partenaires de l’Association Matignon-Saint-Honoré, créée l’an dernier, qui rassemble une trentaine de galeries d’art ancien, moderne, contemporain, et de design. Et dont le coup d’envoi, le 14 octobre 2024, avec des vernissages synchronisés et des animations de rue, deux jours avant l’ouverture d’Art Basel Paris, a été couronné de succès. « L’événement que nous avons organisé a drainé des milliers de visiteurs. Sotheby’s inaugurait ses nouveaux locaux, il faisait beau, c’était non seulement très festif mais plusieurs ventes se sont conclues à l’issue de cette soirée, assure le marchand Alexis Lartigue, trésorier de l’association cofondée avec Hélène Bailly et Raphaël Durazzo. L’idée nous est venue alors que nous cherchions un moyen de capitaliser sur les collectionneurs que draine Art Basel Paris. » La deuxième édition de ce rendez-vous est prévue pour le 20 octobre prochain et un deuxième événement annuel est à l’étude, probablement pendant l’été.

Matignon-Saint-Honoré aura même bientôt son magazine, une parution – forcément – luxueuse éditée à plusieurs milliers d’exemplaires et distribuée notamment dans les hôtels du quartier. L’association constitue une place forte de l’art à Paris autant qu’un interlocuteur de poids. Elle pourrait même faire de l’ombre au Comité professionnel des galeries d’art « où les galeries du 8e arrondissement sont sous-représentées, alors même qu’elles abondent largement son budget par leurs cotisations, calculées au prorata de leur chiffre d’affaires », constate un marchand qui s’est pour sa part retiré du CPGA.

La montée en puissance de ce bastion signe-t-elle le déclin du Marais, privé en outre de l’aura du Centre Pompidou bientôt fermé pour travaux ? « Je pense au contraire qu’il faut idéalement conserver une adresse dans le Marais. C’est là que viennent les institutionnels, les commissaires d’exposition, les artistes, les amateurs d’art, lesquels constituent des relais d’opinion indispensables, juge Sébastien Carvalho. C’est dans le Marais que la galerie a envie de continuer à montrer des artistes émergents, ou à redécouvrir, des artistes qui peuvent bénéficier d’une reconnaissance institutionnelle, mais dont la cote reste faible. Dans le huitième arrondissement, on est au cœur du marché. C’est stratégique. »

Erratum - Lundi 28 avril 2025

(*) Contrairement à ce qui a été publié dans le JdA n°654, la galerie Le Clézio se trouve au 157, rue du Faubourg-Saint-Honoré et non au 104.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°654 du 25 avril 2025, avec le titre suivant : Les galeries de Matignon veulent être le nouveau hub

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