Galerie

XXE SIÈCLE

Les derniers de Cordier

Par Henri-François Debailleux · Le Journal des Arts

Le 4 juillet 2022 - 636 mots

PARIS

Le galeriste Christophe Gaillard a acquis la fin du fonds Daniel Cordier, une collection éclectique qu’il entreprend de montrer en une dizaine d’expositions. La première vient d’être inaugurée.

Paris. Résistant et secrétaire de Jean Moulin pendant la Seconde Guerre mondiale, Daniel Cordier (1920-2020) fut par la suite, de 1956 à 1964, l’un des plus importants et influents galeristes et marchands d’art de son époque et, surtout, un collectionneur frénétique. Il racontait qu’allant un jour dans l’atelier de Jean Dubuffet, il en était reparti après lui avoir acheté quelque… quatre cents œuvres. Parmi lesquelles beaucoup de papiers, mais quand même, cela donne une idée du personnage. Il avait été initié à l’art par Jean Moulin et avait même failli être peintre. Mais en se penchant un jour sur l’épaule de Bernard Réquichot (1929-1961) pour observer ce que faisait ce dernier, il avait décidé d’arrêter net la peinture.

De son vivant, il fit deux importantes donations au Centre Pompidou : l’une étalée sur plusieurs années (pour un total de 1 356 œuvres, soit la plus conséquente faite au Musée national d’art moderne) et close en 1989 avec quelque 550 œuvres notamment de Jean Dubuffet, Henri Michaux, Robert Rauschenberg ou Dado, dont la plupart sont en dépôt au Musée des abattoirs de Toulouse ; et une seconde plus axée sur des objets d’art premier, d’Afrique et d’Océanie qui fit d’ailleurs l’objet d’une double exposition intitulée « Donations Cordier. Les désordres du plaisir », présentée au Centre Pompidou et au Musée des abattoirs en 2009. Deux importantes ventes aux enchères furent également organisées chez Sotheby’s : l’une sous son initiative, en 2018 pour un montant d’environ 4 millions d’euros, et la seconde en 2021, après sa mort donc à 100 ans révolus, pour environ 6 millions d’euros. Mais il restait encore des œuvres.

Un corpus de 1 800 œuvres

Christophe Gaillard, lui, est galeriste depuis 2007 et se reconnaît lui-même tout aussi « boulimique » que son aîné. Aussi lorsqu’il y a quelques mois l’opportunité lui a été donnée d’acquérir la fin du fonds de Cordier auprès des ayants droit, a-t-il tout de suite sauté sur l’occasion. Ce n’était pas une mince affaire puisque le lot était constitué de 1 800 numéros, mais souvent composé d’ensembles d’œuvres – 100 lithographies d’un tel ou un tel, 150 Eugène Gabritschevsky (1893-1979), 35 Bernard Réquichot (1929-1961), etc. – difficiles à vendre aux enchères ou au coup par coup. Seul un connaisseur passionné pouvait se lancer dans l’aventure de ce corpus éclectique puisqu’on y trouve également des pendentifs Djenné venant du Mali, des churingas des aborigènes australiens, des pierres préhistoriques et autres curiosités, autrement dit tout ce que Cordier avait gardé.

Composé d’une petite quarantaine d’œuvres de seize artistes, cette première sélection « préfigure un cycle d’une dizaine d’expositions monographiques que nous allons présenter par la suite », annonce Christophe Gaillard. Et notamment celle de l’une des révélations de la collection, la peu connue mais passionnante Ursula Schultze-Bluhm (1921-1999) dont deux aquarelles sont présentées dès à présent. L’accrochage, dense – « comme chez Cordier où il y avait des œuvres partout » précise Christophe Gaillard –, très riche et varié révèle d’autres belles surprises, à l’exemple d’un tout petit dessin de Réquichot ou d’un beau tableau d’Aristide Caillaud (1902-1990). Le parcours propose des rapprochements féconds comme cette écorce aborigène voisinant avec un Claude Viseux (1927-2008), ou encore un tissu péruvien (daté entre 200 av. J.-C. et 600 ap. J.-C.) qui rappelle un Julius Bissier (1893-1965) et dialogue avec un dessin de Roberto Matta (1911-2002).

En toute logique les prix aussi sont très divers et vont de 1 500 euros pour un petit dessin de Gabritschevsky à 55 000 euros pour un tableau de Christo (1935-2020) de sa période abstraite, celle où il avait son studio à l’École polytechnique, en 1959, période encore influencée par les drippings de Jackson Pollock et avant ses premiers emballages.

Daniel Cordier, la peinture est un secret,
jusqu’au 30 juillet, galerie Christophe Gaillard, 5, rue Chapon, 75003 Paris.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°592 du 24 juin 2022, avec le titre suivant : Les derniers de Cordier

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