Alors qu’en France, le marché de l’art espérait bénéficier du taux réduit de TVA, Donald Trump relance la guerre des taxes douanières susceptibles de concerner les œuvres d’art.

Les derniers mois ont été marqués par une actualité fiscale et douanière particulièrement dense. En France, la réforme de la TVA sur l’art est entrée en vigueur au 1er janvier 2025. Elle a depuis été copiée au Luxembourg et en Allemagne. Fait inédit depuis au moins 1980, la loi de finances pour 2025, du 14 février 2025, n’a pas été adoptée avant le début de l’année, faisant planer un parfum de IVe République. Elle a notamment alourdi la fiscalité des hauts revenus et des grandes entreprises, ce qui était prévisible compte tenu de la situation dégradée des finances publiques.
Ce sont cependant les conséquences du retour au pouvoir de Donald Trump à la faveur de l’élection de novembre 2024 qui paraissent particulièrement disruptives. Dans les premiers 100 jours de son mandat, il a déjà retiré les États-Unis des initiatives de réforme de la fiscalité internationale visant à lutter contre la fraude et l’évasion fiscales et a lancé une nouvelle politique douanière qui impacte par ricochet le marché de l’art. Étant donné la concordance des majorités républicaines au Congrès, on peut d’ailleurs anticiper une importante réforme fiscale, comme en 2017, probablement favorable aux hauts revenus, avant la fin 2025.
Il résulte de l’échantillon des pays couverts que seule la Suisse, au niveau cantonal, et l’Espagne pratiquent encore une imposition annuelle de la fortune « globale », même si les œuvres d’art ne sont pas systématiquement imposables.
À l’inverse, la fiscalité successorale est plus commune mais varie considérablement d’un pays à l’autre. Ainsi, avec l’Espagne, la fiscalité successorale en France demeure l’une des plus lourdes, notamment en ligne directe. Elle se caractérise par un taux marginal de 45 % et un abattement à la base limité à 100 000 €, significativement réduit en 2012. De nombreux États n’imposent pas les successions ou, du moins, pas en ligne directe : c’est le cas de la Chine, de Hong Kong, de Singapour, du Luxembourg ou encore de certains cantons suisses. D’autres, comme l’Italie, appliquent des taux très modérés (4 ou 8 %). Dans plusieurs pays, les taux peuvent s’approcher de ceux pratiqués en France, mais avec des abattements nettement plus élevés qui permettent de soustraire une part importante des successions à l’imposition (par exemple : 325 000 £ (382 000 €) au Royaume-Uni, 400 000 € en Allemagne). Aux États-Unis, l’abattement sur la masse successorale avant répartition atteint 13,6 millions de dollars $ ! (environ 12,5 M€ d’euros). Par ailleurs, quelques pays prévoient, bien que plus rarement, des régimes d’exonération totale ou partielle pour certaines catégories d’œuvres d’art, comme c’est le cas en Espagne, en Allemagne ou en Italie.
En France, le régime d’exonération existant relève d’une logique de mécénat car il suppose de faire don de l’œuvre à l’État. En matière de donations, celles-ci sont en général soumises au même traitement fiscal que les successions. Toutefois, la Belgique fait exception en appliquant une fiscalité très réduite aux donations mobilières, y compris celles portant sur des œuvres d’art, contrairement aux droits de succession qui y restent élevés.
Le montant de la charge fiscale pesant en France sur les revenus des particuliers reste, en comparaison internationale, élevé mais pas forcément exceptionnel, plusieurs États atteignant des niveaux assez comparables (Espagne, États-Unis, Allemagne, Royaume-Uni, Belgique…). L’imposition des hauts revenus vient cependant d’être alourdie par la loi de finances pour 2025, pour l’instant de manière temporaire, par l’instauration d’une « contribution différentielle sur les hauts revenus ». Elle vise – en substance, car les deux impôts ne sont pas entièrement alignés – à s’assurer que tous les foyers déjà assujettis à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, créée en 2011, c’est-à-dire ceux dont le revenu fiscal de référence dépasse 250 000 € (célibataire) ou 500 000 € (couples) paient un taux minimum « effectif » d’imposition de 20 %.
Concernant les plus-values de cession d’œuvres d’art réalisées par les particuliers, la France offre au contribuable un choix entre une taxe forfaitaire de 6,5 % sur le prix de vente et une imposition proportionnelle de la plus-value de cession à un taux de 36,2 %, comprenant l’impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, mais sur une assiette égale à la différence entre le prix de cession et le prix d’acquisition, diminuée d’un abattement pour durée de détention. Cette faculté d’arbitrage représente un avantage pour le collectionneur français par rapport à la fiscalité espagnole, américaine ou britannique mais, de toute façon, ne résiste pas à la comparaison avec une exonération pure et simple des plus-values mobilières réalisées dans le cadre de la gestion du patrimoine privé (Belgique, Italie, Suisse, Singapour, Hong Kong…) ou une exonération acquise au terme d’un délai de détention bref (un an au plus : Allemagne, Luxembourg…). On relèvera que le Royaume-Uni taxe désormais plus lourdement les plus-values de cession de biens meubles dont les œuvres d’art. Avant avril 2023, seules les plus-values excédant 12 300 £ (14 500 €) par an étaient imposées. Cette limite a été abaissée à 6 000 £ (7 000 €), à partir d’avril 2023, et à 3 000 £ (3 500 €), à partir d’avril 2024, alors que le taux d’imposition a augmenté de 20 à 24 %.
Le taux français de l’impôt sur les sociétés abaissé à 25 %, constitue un élément important pour les marges des intermédiaires du marché de l’art. Ce taux s’inscrit désormais dans la moyenne internationale, se situant même environ cinq points en dessous de celui appliqué en Allemagne. Un même taux de 25 % est observé en Belgique, en Espagne, ainsi qu’au Royaume-Uni qui, au contraire, a marqué une hausse de 6 points en avril 2023 (contre 19 % auparavant). Il est de 24 % environ au Luxembourg, en baisse d’un point depuis l’année dernière. Aux États-Unis, depuis la réforme entreprise sous la première administration Trump en 2017, le taux de l’impôt fédéral plafonne à 21 % (contre 35 % auparavant).
Cependant, il faudrait inclure dans l’analyse deux impôts locaux de production, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) françaises et son équivalent italien (IRAP), qui frappent la valeur ajoutée, qui est un solde intermédiaire entre le chiffre d’affaires et le bénéfice. Cette assiette est donc plus large que le bénéfice et il arrive parfois que même des entreprises déficitaires soient exposées à la CVAE. Une baisse significative du taux de CVAE (le taux marginal était de 1,5 %) a été engagée depuis 2021 avec une suppression annoncée pour 2024. La situation financière a cependant amené le législateur à repousser l’échéance à 2027 puis, en vertu de la loi de finances pour 2025, à 2030, le taux marginal demeurant de 0,28 % cette année. Rappelons que si la plupart des artistes sont exonérés de CVAE en tant qu’ils sont exonérés de cotisation foncière des entreprises (CFE), les deux impôts étant liés, ce n’est pas le cas ni des galeristes ni d’autres intermédiaires du marché de l’art.
Par ailleurs, les plus grandes entreprises françaises, celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 1 ou 3 milliards d’euros, paieront en 2025 une nouvelle surtaxe exceptionnelle qui portera leur taux cumulé d’imposition des bénéfices, respectivement, à 30,97 % ou 36,125 %.
La réforme de la TVA française sur l’art, provoquée par la directive européenne dite « taux » du 5 avril 2022 et portée par la loi de finances pour 2024, est entrée en vigueur au 1er janvier 2025. Rappelons que la réforme, favorable au marché de l’art, simplifie les règles en généralisant l’application du taux réduit de TVA, de 5,5 %, à toutes les livraisons d’œuvres d’art, d’objets de collection et d’antiquité relevant du régime général, c’est-à-dire imposables sur le prix de vente total. Auparavant, le taux de 5,5 % s’appliquait seulement aux importations et ventes directes des artistes.
Le régime de la marge, qui continue à relever du taux normal à 20 %, est maintenu mais est profondément remanié. Disparaît ainsi le régime de marge forfaitaire, égal à 30 % du prix de vente, applicable lorsque le prix d’achat était non déterminable ou non significatif. Disparaît également l’option pour le régime de la marge consécutive à une acquisition soumise à un taux réduit de TVA, qui intéressait auparavant les importations et les acquisitions à un artiste.
Pour autant, pour les assujettis-revendeurs d’objets d’art, de collection et d’antiquité, le régime de la marge demeure le régime de droit commun en cas d’acquisition à un particulier dans l’Union européenne ou à un professionnel qui n’a pas facturé la TVA sur le prix total (artiste bénéficiant de la franchise de TVA, revendeur ayant appliqué le régime de la marge…). Son articulation avec le régime général s’avère délicate dans certaines hypothèses. Il apparaît notamment, à la lumière de la pratique, que le revendeur pourrait considérer ne pas opter pour le régime général lorsque sa marge reste relativement modeste – le point de bascule se situerait autour d’un taux de marge de 40 % environ – surtout lorsque son client est un particulier établi en France ou dans un autre État membre de l’Union européenne.
En tout cas, le choix fait en France a suscité un grand intérêt dans d’autres pays européens et a déjà été suivi, en fin d’année 2024, par le législateur luxembourgeois, qui applique désormais à l’art le taux réduit de 8 % en régime général, et allemand (taux de 7 %). L’Allemagne a par ailleurs conservé son régime de marge forfaitaire de 30 %, qui est cependant d’application très limitée (par exemple, contrairement à l’ancien régime français, la réalisation d’opérations promotionnelles en faveur des artistes ne permet pas d’y recourir). L’Italie devrait logiquement leur emboîter le pas très prochainement au regard de l’état de l’avancement des travaux au Parlement, pour fixer son taux à 5%.
Par ailleurs, une autre réforme de TVA votée en loi de finances pour 2025 a défrayé la chronique. En prétextant la transposition d’une directive européenne, ce qui ne convainc pas entièrement, le législateur a harmonisé et surtout drastiquement abaissé le seuil de la franchise en base de TVA qui serait fixé à 25 000 € du chiffre d’affaires alors qu’il était, immédiatement avant la réforme, de 85 000 € pour les entreprises de livraisons de biens et de 37 500 € pour celles de prestations de services. Par exemple, compte tenu de leur activité, les artistes plasticiens pouvaient généralement se prévaloir du premier seuil, s’ils ne trouvaient pas l’intérêt à opter pour la TVA. L’application de la mesure – vertement critiquée notamment par les fédérations d’autoentrepreneurs – a été immédiatement suspendue par Bercy, d’abord jusqu’au 1er juin puis jusqu’à la fin 2025 pour permettre des consultations.
Au cours des dernières décennies, le monde de l’art était exposé aux formalités mais pas aux taxes douanières – étant précisé que, contrairement aux affirmations de l’administration américaine, la TVA à l’importation n’en est pas une – tant il paraissait naturel que, en raison de sa nature, une œuvre d’art ne doive pas obéir à la même logique protectionniste qui peut s’appliquer aux voitures électriques. Il semblerait cependant que les temps aient bien changé.

Le 2 avril 2025, le président Donald Trump a dévoilé la nouvelle politique douanière des États-Unis mettant fin à 80 ans de politique commerciale fondée sur le libre-échange. En substance, si ce cap se maintient, les États-Unis appliqueront des droits de douane dits « réciproques » de 10 % à l’encontre de tous les États et, un droit de douane réciproque « individualisé », qui s’ajouteront à ce taux plancher, à l’encontre d’une longue liste des pays. Pour les marchandises de l’Union européenne, le cumul des deux donnerait un droit total de 20 % et de… 145 % pour la Chine, compte non tenu, le cas échéant, d’autres taux spécifiques applicables. Pour l’instant, les droits « individualisés » ont été suspendus pour 90 jours, avant même qu’ils ne produisent leurs effets. Ceux de la Chine ont été ramenés – temporairement – à 30 %.
Le marché de l’art apparaît, dans l’immédiat, préservé, du moins en partie. Cela semble résulter de la base légale retenue. En effet, ces taux douaniers ont été établis par l’équivalent d’un décret présidentiel et non par une loi. Pour le prendre, le président Trump a invoqué une « urgence nationale » au sens d’une loi de 1977 (International Emergency Economic Powers Act). Or, ce dernier texte interdit au président de toucher par décret à une liste des produits (énumérée au 50 USC, art. 1702(b)), qui englobe les publications, les films ou encore les « artworks », c’est-à-dire les œuvres d’art. Il n’est pas entièrement clair à quelles positions douanières correspond le terme « œuvre d’art » au sens de ce texte. Ainsi, les objets d’antiquité ou les œuvres de design ne semblent pas devoir être couverts.
Aux dernières nouvelles, il semblerait – on n’est jamais trop prudent avec l’administration américaine – que les œuvres d’art sont toujours exonérées des droits de douane sauf celles produites en Chine qui sont assujetties au taux de 7,5 %, introduit dès 2019 – il a été initialement de 15 % – par la première administration Trump et maintenu depuis. Cependant, les antiquités et objets de design relèvent déjà du taux universel de 10 %, y compris ceux produits dans l’UE, et, en toute logique, d’un prélèvement jusqu’à 152,5 % pour ceux originaires de Chine.
En étant soudainement confronté aux droits de douane, le marché de l’art redécouvre aussi que la logique douanière est fondée sur la notion d’origine et non pas de provenance. Un objet produit en Chine, qui n’est pas transformé mais simplement revendu en France, reste chinois pour les douaniers. Une attention particulière devra donc être désormais portée, en ces temps troubles, à l’origine des objets vendus, car c’est l’origine qui déterminera le taux.
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Fiscalité mondiale, le marché de l’art découvre les droits de douane
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°656 du 23 mai 2025, avec le titre suivant : Fiscalité mondiale, le marché de l’art découvre les droits de douane





