Musée

Enquête - Quand les œuvres d’art font du bien

Et si les musées soignaient !

La fréquentation d’un musée est-elle bonne pour la santé ? Outre-Atlantique, les directeurs d’institution en sont convaincus, qui multiplient les initiatives en direction des personnes souffrant de maux divers

Par Éric Tariant · Le Journal des Arts

Le 2 juin 2015 - 1267 mots

Une visite au musée aurait-elle des vertus thérapeutiques ? Malgré les critiques, les initiatives qui visent à faire se rencontrer œuvres d’art et personnes souffrant de maux divers se multiplient dans les institutions internationales. Cette pratique, établie dans les musées américains, en particulier pour la maladie d’Alzheimer, gagne les grands musées français.

« Art is therapy » [l’art est une thérapie], annonçait l’an passé le Rijksmuseum en lettres vertes sur sa façade de briques roses. Quelle mouche a piqué Wim Pijbes, le directeur du musée d’Amsterdam ? Au printemps 2014, celui-ci a accordé une carte blanche aux écrivains-philosophes Alain de Botton et John Armstrong. Leur mission : concevoir une exposition inspirée de leurs thèses publiées en 2013 dans Art as Therapy (éd. Phaidon) [1], selon lesquelles l’art peut être un outil thérapeutique capable de guider, de stimuler et de consoler l’homme du XXIe siècle.

Puisant sans sourciller dans les collections du musée, les compères ont conçu un parcours jalonné de 150 œuvres accompagnées de Post-it philosophiques géants rédigés par leurs soins. L’accent n’était plus mis sur la chronologie et la provenance des œuvres mais sur les émotions qu’elles suscitent : amour, peur, compassion, douleur… Ce, de façon à permettre aux visiteurs de bénéficier pleinement du « pouvoir rédempteur et transformateur de l’art ».

« La valeur des œuvres doit être jugée en fonction de leur faculté à remédier à certaines fragilités psychologiques », prescrivaient les docteurs de Botton et Armstrong. Les trublions ont été accueillis par une volée de bois vert et de sarcasmes. Déchaînés, les critiques d’art ont jugé ces interventions « insipides », « flagorneuses », voire « ridicules ». « Les réactions ont été très variables. Certains critiques d’art n’ont pas du tout apprécié notre approche. Ce qui est compréhensible », admet avec flegme John Armstrong, qui persiste et signe. « L’art peut apporter un soutien émotionnel, aider à mieux gérer les émotions auxquelles nous sommes tous confrontés », martèle-t-il avec conviction.

Vertus thérapeutiques
Dans le sillage du Rijksmuseum, deux autres musées ont accepté de prêter leurs cimaises aux expérimentations du duo : la National Gallery of Victoria de Melbourne, en australie (de mars à septembre 2014) puis le Musée des beaux-arts de l’Ontario à Toronto, au Canada (de mai 2014 à avril 2015). À Amsterdam et Toronto, des enquêtes ont été menées auprès du public par une petite équipe d’art-thérapeutes. Quelque 75 % des visiteurs du musée de Toronto et 30 % de ceux du Rijksmuseum ont estimé que la visite avait eu, pour eux, des vertus thérapeutiques. Les écarts, importants, tiendraient aux profils sociaux-psychologiques différents des visiteurs, explique de manière évasive Ingemarie Sam, coauteure de cette recherche et étudiante en maîtrise d’arts plastiques à l’école des beaux-arts de Tilburg (Pays-bas).

Meet me at MoMA
Les musées peuvent contribuer à atténuer ou à soigner de multiples pathologies, soutient mordicus l’Alliance américaine des musées dans un rapport récemment publié. Cette étude d’une trentaine de pages intitulée « Comment les musées s’attaquent aux questions de santé » recense les nombreux programmes mis en place outre-Atlantique. Leurs principaux champs d’intervention ? Les troubles de l’alimentation, l’autisme, les maladies mentales mais aussi Alzheimer, véritable fléau national. Aux États-Unis où cinq millions de personnes souffrent de cette maladie neuro-dégénérative, on ne compte plus les musées qui ont développé des partenariats avec les associations locales de soutien aux personnes atteintes. Au programme : visites guidées des musées et travaux manuels encadrés par des professionnels de l’art-thérapie.

De son côté, le MoMA de New York a lancé en 2006 un programme Intitulé « Meet me at MoMA » [« Rencontre-moi au MoMA »] destiné aux malades d’Alzheimer à des stades précoces et à leurs aidants. Un après-midi par mois, l’institution de Manhattan ouvre ses portes à un petit groupe de malades et à leurs proches à l’occasion d’une visite organisée spécifiquement pour eux. Guidés par Amir Parsa, le directeur du projet, ceux-ci sont invités à partager leur ressenti, leurs émotions. Les retombées positives sur le bien-être des patients auraient été telles que plusieurs musées lui auraient emboîté le pas.

« Il y a un siècle, les gens n’étaient pas persuadés que le sport était bon pour la santé. Nous nous trouvons dans le même cas de figure aujourd’hui avec les œuvres d’art, souligne Nathalie Bondil, la directrice et conservatrice en chef du Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). « Le “motto” de notre musée est que l’art fait du bien. Il s’adresse à vos connaissances intellectuelles mais aussi à votre sensibilité, à vos tripes », poursuit Nathalie Bondil. Convaincue que les musées peuvent soigner, celle-ci a lancé toute une batterie de très sérieux projets de recherche en partenariat avec des universités et des hôpitaux. Le musée « planche » notamment sur l’autisme, la maladie d’Alzheimer, l’amélioration de la fréquence cardiaque, les troubles alimentaires, la prévention de la violence et de l’intimidation à l’école. Il a mis en place également des « marathons santé » à destination des personnes âgées ou convalescentes. Last but not least, le « Pavillon de la paix », qui ouvrira ses portes en 2016 au sein du musée, comprendra un espace abritant un cabinet médical où les médecins pourront venir rencontrer leurs patients.

« Les musées ne sont pas des coffres-forts ni des conservatoires. Ils doivent sans cesse se recentrer sur les enjeux de la société. Pourquoi les historiens de l’art seraient-ils les seuls à avoir le droit de parler des œuvres d’art ? Les artistes ne créent pas pour ces derniers, mais pour le public », soutient la directrice du MBAM.

Le Louvre à l’hôpital
À Paris, sous l’impulsion de l’association Artz, plusieurs musées – le Louvre, le château de Versailles, la Réunion des musées nationaux-Grand Palais (RMN-GP), le Musée du quai Branly, et le Centre Pompidou – ont mis en place des programmes à destination de personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer. « Notre action a une vocation thérapeutique. Au stade modéré de la maladie, nous pouvons réduire les symptômes associés aux troubles psycho-comportementaux (apathie, anxiété, inhibition, répétition) en stimulant les fonctions cognitives », insiste Cindy Barotte, la directrice de l’association Action culturelle Alzheimer (Artz), créée en 2007 sur le modèle des programmes mis en place par le MoMA.

Au contact des œuvres d’art, mais aussi des conférenciers et des accompagnants, les malades d’Alzheimer retrouvent confiance et estime de soi. « Les gens vont mieux parce qu’ils sont dans une pratique socialisante qui valorise leur parole et leur action, souligne Stéphanie Merran, responsable de projets culturels en direction des “publics empêchés” à la RMN-GP. Mais nous n’avons pas la prétention de faire reculer la maladie. Nous ne sommes pas thérapeutes. »

Même prudence du côté du Musée du Louvre qui a conclu, en novembre 2014 pour une durée de trois ans, un partenariat avec l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Celui-ci vise à « offrir à ceux qui en sont empêchés le plaisir de contempler les œuvres du Louvre ». Et à permettre aux patients « d’oublier la maladie grâce à l’art », par l’entremise notamment d’une artothèque constituée de reproductions, afin d’amener les œuvres au plus près des patients. Le centre hospitalier Charles-Foix d’Ivry-sur-Seine jouera pendant un an le rôle d’hôpital pilote. Pour sa part, le Louvre proposera aux patients, à leurs familles et aux personnels de l’hôpital des visites et ateliers organisés en son sein. Le projet permettra de « créer un lien avec le beau, avec l’art et la culture », soulignait, à la mi-novembre 2014, Martin Hirsch, le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris, lors de la signature du partenariat.

Note

(1) Art et thérapie, en 2014 pour la version française.

Légende photo

Visite de l'exposition « Niki de saint-Phalle », au Grand Palais, mise en place avec l'association Artz en direction d'un public âgé. © RMN/ArtZ.

Thématiques

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°437 du 5 juin 2015, avec le titre suivant : Et si les musées soignaient !

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque