Restitutions

Opération « musées propres »

Par Maureen Marozeau · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2014 - 599 mots

Lorsqu’en 1994 la République fédérale d’Allemagne remet officiellement à la France un lot de 28 œuvres saisies par un officier allemand durant l’Occupation, la question de la restitution des œuvres d’art spoliées à leurs propriétaires juifs en France en est au point mort.

Depuis 1979, aucune restitution n’avait eu lieu. Entre-temps, le mur de Berlin est tombé, les archives allemandes ont été ouvertes, celles de Washington déclassifiées… Un an plus tard paraît Le Musée disparu (éd. Austral), dans lequel le journaliste américain Hector Feliciano dénonçait le laxisme des autorités françaises en matière de restitution depuis 1949, année du démantèlement de la CRA (Commission de récupération artistique). Bien que cette commission soit parvenue à restituer les trois quarts des 61 220 œuvres et objets culturels saisis en France, le dernier quart fut réparti de manière un peu floue : 2 000 œuvres étaient placées en dépôt dans 57 musées de France sous l’étiquette « MNR » (Musées nationaux Récupération), le reste, soit 13 800 biens, étant vendu par le service des Domaines. L’exposition de 1950 à 1954 des MNR au Musée de Compiègne (Oise) attira des milliers de dossiers de réclamation, pour déboucher sur seulement 25 restitutions.

70 restitutions effectuées par la France
La seconde moitié des années 1990 sonne donc le réveil des consciences. Tandis que le président Jacques Chirac s’enflamme dans son discours du 16 juillet 1995 au Vélodrome d’Hiver, Jean Mattéoli se voit confier une mission sur la spoliation des Juifs durant l’Occupation. La direction des Musées de France organise un colloque pour s’interroger sur la bonne conduite des conservateurs. Et concède dans la foulée à la création d’un site (rebaptisé « Rose-Valland » en 2008) qui répertorie les 2 000 œuvres MNR. Les États-Unis renchérissent avec la Conférence de Washington en 1998, qui donne les lignes directrices de la politique à appliquer. S’ensuit une vague de réclamations dont certaines, butant contre la résistance de certains musées, ont fait les gros titres – à l’image du Portrait de Wally d’Egon Schiele prêté par le Musée Léopold (Vienne), saisi lors d’une exposition à New York en 1998 et rendu à l’Autriche contre 19 millions de dollars versés aux ayants droit en 2010. En France, le vent se lève – 4 restitutions en 998 ; 16 en 1999 ; 12 en 2000… Depuis 1994, 70 restitutions ont eu lieu. Seulement ? La création d’une commission indépendante faciliterait des procédures péchant par manque de transparence car menées par des conservateurs et autres agents dépourvus de formation spécifique, de surcroît juge et partie. Le groupe de travail réuni par la ministre de la Culture Aurélie Filippetti en 2013, pour une recherche active des ayants droit, marque une étape importante.

Aux États-Unis, à défaut d’une commission officielle, les associations de soutien telle la Holocaust Art Restitution Project font tourner la machine judiciaire à plein régime. Si l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et récemment le Canada disposent de leurs propres commissions à efficacité variable (l’Autriche est le seul pays à avoir passé une loi sur la question), l’Espagne, l’Italie ou la Suisse font figure de mauvais élève. La numérisation des bases de données effectuée par le site Rose-Valland ou les Archives nationales américaines représente une avancée déterminante pour les ayants droit, découragés à l’idée de recherches coûteuses et complexes dans des centres d’archives éparpillés. Ainsi, lors de la restitution de trois tableaux MNR par la ministre le 11 mars dernier, l’un des héritiers Soepkez a expliqué avoir retrouvé la trace du tableau de son grand-père en faisant une simple recherche sur Google... La route est certes mieux pavée, mais elle est encore longue.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : Opération « musées propres »

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