Architecture

À l’ère du « cloud computing »

Par Sophie Trelcat · Le Journal des Arts

Le 26 mars 2014 - 1086 mots

Une multitude d’écritures dessinent la cartographie actuelle de l’objet architectural. Dans un climat de compétition, seuls quelques créateurs internationaux, sont finalement reconnus.

Hercule d’acier et de titane, le Guggenheim de Bilbao, musée d’art moderne et contemporain, inauguré en 1997 en Espagne, a fait date. Au-delà de sa réification rendue possible grâce à l’outil informatique, le bâtiment, dessiné par Frank O. Gehry, est toujours une référence en tant que phénomène. Il a même accouché d’une expression inoxydable : le sempiternel « effet Bilbao ». L’acte formel a cependant assuré l’incontestable renouveau économique de la capitale basque et son profil disloqué s’incarne désormais en un logo visible depuis la voie d’accès à la ville. Si la tornade architecturale fut parfois dénoncée comme une dérive individualiste, voire « gesticulatoire », il n’en reste pas moins que le lieu marque un tournant : il y a un « avant » et un « après » Bilbao.

L’époque était à l’affirmation de la fin des idéologies, une fin irrévocablement authentifiée par la chute du mur de Berlin en 1989. Dans les agences d’architecture, le triomphe des outils informatiques accouchait de l’hybridation des formes et des concepts. Une révolution culturelle sans précédent était en marche qui voyait les algorithmes présider à la conception de bâtiments. Cette démarche prônant « la technique pour la technique » et « la forme pour la forme » est restée l’apanage de quelques agences aujourd’hui isolées. Certes, dès lors, toute figure était potentiellement traduisible en construction, cependant Frank Gehry lui-même aime à rappeler qu’« au départ de chaque projet, il y a toujours des croquis ».

« Des espaces réels »
Aujourd’hui, une fois la fascination pour l’outil tout-puissant assimilée, les logiciels informatiques se révèlent souverains pour calculer des structures complexes à même de porter parois courbes, obliques et porte-à-faux impossibles, ou pour découper des enveloppes de plus en plus fines à la manière de dentelles. Au-delà des possibilités de fabrication qu’il a ouvertes, le numérique a bouleversé la discipline avec les réseaux Internet noyant l’individu sous un flot d’images, d’informations et d’espaces virtuels. La Japonaise Kazuo Sejima, connue pour son travail sur l’immatérialité, souligne l’importance de la « réalité » de l’architecture : « À une époque où les gens communiquent à travers différents médias dans des espaces non physiques, il est de la responsabilité des architectes de créer des espaces réels pour la communication physique et directe entre les gens. » Elle a livré avec Ryue Nishizawa en 2004 un bâtiment pour l’école polytechnique de Lausanne fait d’une nappe ondulante d’une légèreté déconcertante et qui traduit à merveille cette idée de communication entre les êtres.

La question éternelle posée aux architectes : traduire concrètement l’image de l’époque dans laquelle nous vivons, les invite désormais, à l’ère du « cloud computing », à représenter la virtualité, les mouvements et les flux. Dans le cadre de l’« Expo.02 » en 2002 à Yverdon-les-Bains en Suisse, le pavillon des New-Yorkais Diller Scofidio, constitué d’un nuage de vapeur d’eau, occupe toujours les esprits. Le dernier opus du pavillon de la Serpentine Gallery à Londres par Sou Fujimoto, en 2013, était lui aussi vaporeux, une vapeur constituée très matériellement d’un enchevêtrement rectiligne de bâtons.

Si la recherche d’une dynamique des formes à l’aide de courbes et d’obliques que mène l’architecte irako-britannique Zaha Hadid se révèle, lors du passage à l’acte, figée par la matière, la bibliothèque de Seattle par le Néerlandais Rem Koolhaas ou le showroom de la société de mobilier Vitra à Weil-am-Rhein par les Suisses Herzog & de Meuron sont des exemples de bâtiments dans lesquels importe principalement un parcours continu et fluide. Ce dernier édifice illustre à merveille combien marketing, architecture et branding [gestion de l’image de marque] n’ont jamais fait aussi bon ménage : les grandes marques Prada, Hermès, LVMH ou encore Dior investissent dans des réalisations exceptionnellement innovantes, dessinées par les plus grands noms du milieu et définissant avec force leur image de marque.

Gestuelle expressive
Grandes enseignes et édiles continuent à acheter des signatures et à désirer des projets à la gestuelle expressive, afin d’assurer leur promotion et d’entrer dans la compétition entre les villes.
Les tours se prêtent parfaitement bien à l’exercice et l’on a vu apparaître sur l’échiquier international de nouveaux concepts de bâtiments de grande hauteur telles les tours sculpturales de Christian de Portzamparc à New York, celles pliées de Dominique Perrault à Vienne ou l’arche gigantesque signée Rem Koolhaas à Pékin. À Londres, la Swiss Re par Norman Foster ainsi que la tour multifonctionnelle dessinée par Renzo Piano, la plus haute d’Europe avec ses 310 mètres, ont transformé le paysage de la ville, désormais identifiée par ces deux nouvelles balises urbaines. La capitale britannique fait d’ailleurs figure d’exemple à plusieurs égards. Et, au premier chef, elle témoigne d’une mutation métropolitaine réussie, comme Barcelone dans les années 1990, par sa capacité à intégrer toutes les époques, à bouleverser son image et à investir dans les transports publics tout en réduisant la place de la voiture. La fabrique de la ville s’appuie ainsi de plus en plus souvent sur les propositions événementielles : Jeux olympiques, Capitales culturelles ou Mondial de football sont des occasions, saisies ou non, de restructurer de larges zones urbaines. Force est de constater que nous sommes entrés dans une phase d’expérimentations sans fondement théorique,  bien que quelques rares figures, telles que Rem Koolhaas ou encore Christian de Portzamparc, se distinguent en tant que brillants intellectuels et se révèlent à même de théoriser leur pensée d’architectes. D’où la floraison de bâtiments uniques, spécifiques, à la recherche de nouvelles perceptions, qui sont autant d’antidotes à une architecture aseptisée pur produit de la globalisation, et dont les auteurs célèbres et célébrés représentent aujour­d’hui des écoles, malgré eux. Qui seront les « Gehry kids » et les « Koolhaas kids » de demain ?

Il y a 20 ans

Vitrine « Nouvel »

En un an, Jean Nouvel aura livré trois bâtiments majeurs : l’Opéra de Lyon, le Palais des congrès de Tours, et l’immeuble Cartier. Au 261, boulevard Raspail, la tradition culturelle est maintenue, la fondation Cartier a pris la place du centre culturel américain, parti s’installer à Bercy. […] Alain Dominique Perrin, P.-D.G. de Cartier, a confié à Jean Nouvel la réalisation d’un programme mixte réunissant la fondation Cartier rapatriée de Jouy-en-Josas et les bureaux de Cartier S.A. Le schéma est simple. La fondation occupe le rez-de-chaussée et le premier sous-sol, 1 200 m2 au total sur 6 400 construits, et les bureaux se répartissent dans les étages.
Francis Rambert

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°410 du 28 mars 2014, avec le titre suivant : À l’ère du « cloud computing »

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