Nicolas Sarkozy, UMP (Union pour un mouvement populaire)

« L’artiste doit provoquer »

Le Journal des Arts

Le 2 août 2007 - 1495 mots

Quel doit être selon vous le rôle du ministère de la Culture ? Quel budget souhaitez-vous lui accorder ?
Je veux donner au ministère de la Culture les moyens d’assumer pleinement ses missions, notamment à l’égard de la définition des programmes d’éducation culturelle et artistique à l’école et pour le financement de la création. Sur ce dernier point, on peut dégager de vraies marges de manœuvre en faisant en sorte que l’État dépense moins d’argent en fonctionnement du ministère, plus dans l’aide à la création et à la diffusion, ainsi qu’au soutien de la demande du public.

En ce qui concerne le niveau du budget du ministère, je pense qu’il doit au minimum être protégé. Trop souvent, on a joué sur les « périmètres » pour faire croire qu’on n’y touchait pas. Les principaux problèmes de nos finances publiques sont évidemment ailleurs que sur cette part du budget de l’État égale à 1 %. Je pense même qu’il faut augmenter ce budget. Le 1 % culturel, c’est insuffisant.

Sous quelles formes l’État doit-il soutenir la création contemporaine ? Comment concevez-vous le rôle de l’artiste dans la société ?
Je pense que les aides à la création sont indispensables pour déceler de nouveaux talents, assurer le renouvellement des styles, permettre l’expression et la diffusion des œuvres difficiles. Il faut donc les maintenir. Mais, pour éviter l’émergence d’un art officiel, et pour rendre la création plus ambitieuse et dynamique, je propose de confier la politique d’attribution de ces aides à des agences indépendantes composées d’experts, d’artistes et de représentants du public.

Pour moi, le rôle de l’artiste, c’est de provoquer et de relier. Il provoque : une rencontre, un débat, une remise en cause, une découverte. Il relie : par une émotion partagée, par la conviction que le monde est loin d’avoir épuisé toute possibilité de surprise, par l’échange au-delà des différences, par l’universalité de son art.

C’est la raison pour laquelle je crois que l’artiste, le créateur sont des moteurs de la vitalité, du rayonnement et de l’attractivité de notre pays et de ses territoires. L’État a donc une responsabilité particulière, celle d’encourager la création.

Les différents plans de relance de l’éducation artistique se sont jusqu’à présent soldés par des échecs. Comment améliorer le dialogue avec le ministère de l’Éducation nationale afin de développer l’enseignement artistique à l’école ?
Je me suis prononcé pour que le ministère de la Culture et celui de l’Éducation nationale travaillent mieux ensemble, car je crois que l’un des grands échecs de la politique culturelle depuis quarante ans, c’est l’absence de démocratisation : ce sont toujours les mêmes qui lisent, qui vont au cinéma, au spectacle, au musée.

Pour pouvoir mener une véritable politique d’éducation à la culture, il faut que tout notre système de formation prenne en compte cette dimension, et donc que le ministre de la Culture pèse beaucoup plus qu’aujourd’hui sur les programmes de l’Éducation nationale en matière d’enseignement culturel et artistique.

Je propose à ce titre plusieurs choses. D’une part, l’enseignement culturel et artistique à l’école doit devenir beaucoup plus systématique, plus structuré. La création d’un enseignement obligatoire d’histoire de l’art pourrait être une solution. D’autre part, la dimension culturelle des enseignements fondamentaux doit être davantage mise en valeur, qu’il s’agisse des lettres, de l’histoire ou des sciences. Je souhaite aussi développer les pratiques artistiques. Pour une famille qui le souhaite, il devrait toujours être possible de faire suivre à son enfant une scolarité sous la forme d’un mi-temps culturel.

L’État doit-il faire appel au secteur privé pour financer son action en faveur de la culture ?
La culture est, pour notre pays, à la fois une richesse essentielle, un enjeu économique de première importance et un atout déterminant du rayonnement international de la France. Elle est donc de notre responsabilité à tous. C’est tous ensemble – pouvoirs publics, élus locaux, responsables économiques et culturels, entreprises et particuliers – que nous devons travailler à la sauvegarde et à la mise en valeur de notre patrimoine, encourager la création artistique contemporaine et favoriser l’accès de tous aux œuvres de l’esprit.

Je suis donc persuadé que nous avons besoin du secteur privé pour aider au financement de la culture, non pas parce que l’État se désengagerait, mais parce que le partenariat et la complémentarité avec la société civile peuvent permettre de développer de nouveaux projets culturels. Je ne suis un intégriste, ni du « tout État », ni du « tout privé ».

Êtes-vous favorable à des avantages fiscaux pour encourager la culture ? Si oui, lesquels ? Pensez-vous que les œuvres d’art doivent être prises en compte dans l’assiette de l’ISF ?
Nous savons tous que la culture a besoin, dans la plupart des secteurs, sinon dans tous, du soutien d’une politique publique. La réussite des politiques du livre comme celle du cinéma sont des exemples à méditer. Les incitations fiscales sont des instruments utiles de politique
culturelle. Je les maintiendrai donc. J’envisage même – par exemple – d’étendre les dispositions relatives aux trésors nationaux aux dépenses de réhabilitation et de rénovation des monuments historiques.

En ce qui concerne l’assiette de l’ISF, les œuvres d’art en ont été exclues dès l’origine pour éviter le départ à l’étranger des grandes collections qui se trouvent en France. Revenir sur cette décision et les intégrer dans cette assiette ferait disparaître des chefs-d’œuvre et freinerait la création et l’activité du marché de l’art à Paris. Je suis donc absolument opposé à cette idée.

Comment remédier à l’échec de la démocratisation culturelle ?
L’accès à l’art et à la culture, ainsi qu’à la pratique artistique, sont des facteurs d’épanouissement personnel, d’ouverture sur le monde et la société. La culture, c’est une émancipation. C’est une condition pour vivre en homme ou en femme libre. C’est pour cela que la politique de démocratisation de la culture est indispensable. Or cette politique connaît un échec patent.

Une première réponse, fondamentale, est d’avoir une éducation culturelle et artistique ambitieuse à l’école. Il ne faut plus que certains de nos compatriotes aient peur de pousser la porte d’un musée ou d’un théâtre. Je souhaite également instaurer la gratuité de l’accès dans les musées nationaux. Je crois profondément que les musées peuvent devenir des lieux de fréquentation courante, où l’on vient pour un moment, mais de manière répétée, et qu’ils peuvent ainsi jouer le rôle de porte d’entrée vers d’autres espaces de culture. La gratuité le permettrait, comme c’est le cas en Grande-Bretagne.

Quelle est votre position sur les grands travaux de musées en cours (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée [Mucem] à Marseille, île Seguin…) ? Souhaitez-vous encourager un projet en particulier ?
La France est un grand pays et une grande nation de culture. Elle doit avoir de grands musées et elle doit sans cesse chercher à en inventer d’autres.

En ce qui concerne la création, nous disposons déjà d’un certain nombre d’espaces qui peuvent être utilisés pour organiser de grandes manifestations publiques. C’est le cas notamment du Grand Palais, qui va accueillir bientôt une exposition consacrée à Anselm Kiefer. Pour autant, d’autres lieux doivent être aménagés et je suis donc favorable à la création d’un « Centre européen de création » sur l’île Seguin. La vocation de ce nouveau lieu, complémentaire des autres, sera de soutenir la production artistique et d’offrir au public les moyens de découvrir et de comprendre le travail des artistes dans les différentes phases d’élaboration de leur œuvre.

Par ailleurs, l’État doit favoriser la diffusion de la création contemporaine en régions, et c’est pourquoi je suis favorable à la création d’un centre d’art contemporain consacré à la photographie à Cherbourg, de même qu’à la réhabilitation et à l’extension du centre d’art contemporain Le Consortium à Dijon.
En ce qui concerne le dialogue des cultures, le Mucem représente, après le Musée du quai Branly, un grand projet scientifique et culturel. Je suis très favorable à cet exemple innovant de musée de civilisation, qui est aussi un remarquable exemple de financement de musée : État, Europe, Ville, Département, Région, partenariats privés.

Si je suis élu, il faudra en réalité plutôt me freiner dans mes idées de nouveaux musées ou de nouveaux espaces de culture et de création, que m’inciter. Si nous avons aujourd’hui cet exceptionnel patrimoine, c’est parce que nos prédécesseurs ont osé.

Êtes-vous collectionneur ? Si oui, dans quelle spécialité ? Quelle exposition vous a marqué récemment ? Quel est votre musée préféré ? Quel est votre artiste préféré ?
Je suis très touché par Giacometti. L’Homme qui marche est une œuvre qui me fascine pour l’audace de sa conception, sa solitude, sa détermination.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Nicolas Sarkozy, UMP (Union pour un mouvement populaire)

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