Gérard Schivardi, sans étiquette

« L’État doit soutenir la création sans conditions »

Le Journal des Arts

Le 2 août 2007 - 1558 mots

Quel doit être selon vous le rôle du ministère de la Culture ? Quel budget souhaitez-vous lui
accorder ?
Le rôle du ministère de la Culture doit être de favoriser et de permettre l’égal accès de tous à la culture. En conséquence, son budget devrait augmenter. Mais cette exigence se heurte au carcan de l’Union européenne (UE). En effet, l’article 104 du traité de Maastricht et Amsterdam stipule : « Les États membres évitent les déficits publics excessifs. La Commission surveille l’évolution de la situation budgétaire dans les États membres en vue de déceler les erreurs manifestes. Elle examine notamment si la discipline budgétaire a été respectée. » C’est ce que l’on appelle le « Pacte de stabilité ». En application de ces contraintes européennes, tous les budgets publics sont en diminution. C’est pourquoi je mets au centre de ma campagne l’exigence de la rupture avec l’Union européenne.

Sous quelles formes l’État doit-il soutenir la création contemporaine ? Comment concevez-vous le rôle de l’artiste dans la société ?
L’État doit soutenir la création sans préalable ni conditions. L’artiste doit rester libre et indépendant.

Les différents plans de relance de l’éducation artistique se sont jusqu’à présent soldés par des échecs. Comment améliorer le dialogue avec le ministère de l’Éducation nationale afin de développer l’enseignement artistique à l’école ?
L’éducation artistique est-elle un dispositif qui permettra de « développer l’enseignement artistique à l’école » ? Nous constatons que non puisque l’un des premiers effets du plan d’éducation artistique à l’école – car c’est le même plan introduit progressivement par M. Lang dès 1983, poursuivi en 1993 par M. Bayrou, en 1998 par Mme Royal, et imposé aujourd’hui par MM. Fillon et de Robien – est de faire disparaître l’obligation de l’enseignement de la musique et des arts plastiques au collège ! Le président-directeur du Musée du Louvre, M. Henri Loyrette, résume très bien ce qu’il en est dans le rapport de la mission parlementaire de juillet 2005 sur l’éducation artistique : « Sur le fond, il nous est demandé de pallier les carences du ministère de l’Éducation nationale, qui abandonne l’éducation artistique aux musées et aux associations. »

Le ministre de la Culture, M. Donnadieu de Vabres, quant à lui, en reconnaît les inconvénients : « La vraie difficulté, c’est la question de l’égalité sur l’ensemble du territoire. Je reconnais que certains établissements, situés dans des zones privilégiées de notre territoire, pourront compter sur une présence artistique particulièrement forte alors que d’autres connaîtront une certaine pénurie. »
Le désengagement de l’État vers les collectivités territoriales, dicté par l’UE, se vérifie, ici comme ailleurs, avec des conséquences désastreuses pour les élèves. L’intérêt des élèves, ils n’en ont cure, car l’objectif visé et avoué, outre les économies de postes et de formation de professeurs spécialistes, c’est d’utiliser le « public scolaire » comme une catégorie d’usagers pouvant rentabiliser l’industrie culturelle locale. Ainsi, parmi les exemples qui abondent, celui du cinéma, extrait du même rapport parlementaire, nous apprend qu’au collège on était surtout sensible, en effet, à la nécessité de remplir les salles. L’opération « École au cinéma » a ainsi permis de maintenir la fréquentation dans les cinémas ruraux, le problème principal n’étant pas l’éducation artistique mais l’économie du cinéma.
Oui aux loisirs, au tourisme culturel, mais à ne pas confondre avec l’institution de la République qu’est l’école où la logique de rentabilité économique doit rester à l’extérieur. L’instruction publique suppose un lieu préservé, à part de la société civile : elle n’est pas un « service » car elle ne concerne pas des consommateurs, des usagers ou des partenaires.

L’État doit-il faire appel au secteur privé pour financer son action en faveur de la culture ?
Les exemples que nous avons des moments où l’État fait appel au secteur privé pour financer son action en faveur de la culture montrent tous qu’à terme ils aboutissent à une catastrophe. Prenons le cas du patrimoine monumental. Confié au privé, pour sa préservation et sa restauration, c’est toujours le moins-disant qui l’emporte, avec pour conséquence la disparition de métiers d’art qualifiés et la dégradation, à terme irréversible, des monuments qui appartiennent à la collectivité et doivent être préservés pour les générations futures. Cette politique initiée par les gouvernements sur injonction de Bruxelles ne connaît plus de bornes. C’est ce que la Commission européenne appelle les PPP (partenariats public-privé). Nous assistons aujourd’hui à une véritable guerre commerciale entre de nombreux groupes privés qui tentent de s’approprier la gestion de nos monuments pour en tirer des bénéfices substantiels, au détriment de notre patrimoine. Il est plus que temps de mettre un coup d’arrêt à cette politique, de rompre avec une logique dictée par Bruxelles qui s’applique à tous les secteurs de la vie culturelle.

Êtes-vous favorable à des avantages fiscaux pour encourager la culture ? Si oui, lesquels ? Pensez-vous que les œuvres d’art doivent être prises en compte dans l’assiette de l’ISF ?
Un exemple d’avantage fiscal prétendument destiné à « encourager la culture » est celui initié par la loi sur le mécénat. La loi sur le mécénat met en place un dispositif qui prévoit entre autres qu’une entreprise finance l’achat d’un trésor national (tableau, meuble, sculpture ou toute œuvre exceptionnelle). En contrepartie, l’entreprise bénéficie d’un crédit d’impôt de 90 % du montant de cet achat, ainsi que du « retour sur image » – comprendre le bénéfice médiatique –, de cet investissement. Ce dispositif, qui, d’après l’exposé des motifs, devait venir en complément d’une politique patrimoniale d’achat renforcée de l’État, se substitue de plus en plus à celle-ci. De telle sorte que désormais, avec 10 % d’investissement (quand la collectivité débourse 90 %), ce sont les grandes entreprises qui, en fonction de leurs besoins propres de représentation ou d’image, déterminent la politique patrimoniale du pays. En fonction du « retour sur image » qu’ils attendent de leur investissement dans le patrimoine, au détriment d’une gestion équilibrée et scientifique de celui-ci par la collectivité. En fonction de l’événement médiatique qui leur assurera une surface médiatique, au détriment des collections permanentes et de la vocation pédagogique des institutions publiques.

Comment remédier à l’échec de la démocratisation culturelle ?
Pour qu’il y ait une réelle démocratisation culturelle, commençons par respecter l’accès aux savoirs, à l’école et dans l’enseignement secondaire, pour tous les élèves quelles que soient leurs origines géographique, sociale et culturelle. Commençons par maintenir les principes d’obligation, de gratuité, de laïcité de notre institution scolaire républicaine, qui est la plus démocratique de tous les pays d’Europe. Car l’obligation scolaire concerne d’abord les plus pauvres, les plus démunis, ceux qui n’ont que l’école pour devenir tout ce qu’ils peuvent être. Or l’enseignement des disciplines par des professeurs qualifiés est complètement remis en cause par la loi Fillon sur l’école et les décrets Robien. Il faut commencer par les retirer.

Quelle est votre position sur les grands travaux de musées en cours (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée [Mucem] à Marseille, île Seguin…) ? Souhaitez-vous encourager un projet en particulier ?
On a vu ce qu’ont donné les derniers grands travaux de musées. Il n’y a pas si longtemps, trois grands musées reconnus par la communauté scientifique internationale ont été dépecés, détruits contre les vœux des chercheurs qui y travaillaient, ceux des enseignants qui y emmenaient leurs élèves, au bénéfice d’un musée, celui du quai Branly, ouvertement présenté comme un support au marché de l’art en France et surfant sur la vague esthétisante que celui-ci réclame. Au détriment de la recherche, de la pédagogie, au détriment tout simplement du bon sens qui veut qu’on ne détruise pas trois musées établis, à forte teneur scientifique et pédagogique, aimés de la population, pour les remplacer par une vitrine du marché de l’art sur le fronton de laquelle on a inscrit, un comble, cette maxime : « Le savoir par le non-savoir » .

Et aujourd’hui, nous sommes en présence de ce qu’il faut bien appeler la délocalisation du Musée du Louvre à Abou Dhabi. Un projet qu’on ne peut s’empêcher de mettre en relation avec le rapport Levy-Jouyet (1) sur la privatisation des musées présenté au même moment. Ainsi, en quelques semaines, deux principes fondamentaux, l’inaliénabilité des collections publiques et la gratuité des prêts entre musées sont remis en cause, balayés au compte d’une politique très éloignée des besoins et des vœux des citoyens de ce pays. La chasse aux sorcières que le gouvernement a lancée contre ceux qui avaient osé s’opposer à ces plans insensés montre s’il en était besoin la force de résistance qui existe chez les conservateurs et simples citoyens qui ne peuvent accepter que l’on brade ce qui appartient à la communauté tout entière.

Êtes-vous collectionneur ? Si oui, dans quelle spécialité ? Quelle exposition vous a marqué récemment ? Quel est votre musée préféré ? Quel est votre artiste préféré ?
Je ne réponds pas à des questions d’ordre personnel.

(1) lire le JdA no 249, 15 déc. 2006, p. 3.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Gérard Schivardi, sans étiquette

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