Flou artistique

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 2 août 2007 - 1683 mots

Les candidats offrent une mosaïque de propositions très générales et parfois contradictoires. Seule l’urgence
de l’instauration de l’enseignement des arts à l’école semble faire l’unanimité.

Il aura fallu attendre, mais la culture a fini par apparaître dans le débat présidentiel, à la suite de maintes exhortations d’artistes et d’intellectuels à coups de tribunes publiées dans les quotidiens. Après François Bayrou (UDF) au Sénat le 17 février, Ségolène Royal (PS) à Nantes le 26 mars devant un parterre réuni au Lieu unique, Nicolas Sarkozy (UMP) s’est enfin exprimé sur le sujet à Paris, le 4 avril. Au cours de leurs différentes allocutions, les douze candidats se sont bien souvent bornés à donner quelques grands axes d’orientation (parfois contradictoires), alors que les questions de fond n’ont été qu’effleurées. Comme l’a précisé Ségolène Royal aux journalistes, à son retour de Nantes, il faudra en effet attendre que soit nommé un ministre de la Culture pour rentrer au cœur du sujet. Si l’on en croit le sondage Ifop publié le 30 mars, les Français considèrent cependant Ségolène Royal comme la meilleure candidate pour la promotion des arts. Elle arrive en tête avec 34 % des suffrages, devant François Bayrou (19 %) et Nicolas Sarkozy avec (18 %), puis Philippe de Villiers (MPF) à 7 % et Olivier Besancenot (LCR) à 4 %, tandis que Marie-George Buffet (PCF) et Arlette Laguiller (LO) plafonnent à 3 %, Jean-Marie Le Pen (FN), Dominique Voynet (Verts) et José Bové à 2 %, contre 1 % pour Gérard Schivardi (1). À son tour, Le Journal des Arts s’est penché sur le programme des douze candidats, sous la forme d’un questionnaire envoyé à chacun. Tous n’ont pas joué le jeu. Arlette Laguiller et Philippe de Villiers se sont contentés de nous adresser des déclarations d’intention sommaires, tandis que José Bové et Frédéric Nihous (CPNT) ne nous ont pas répondu. On comprend toutefois l’embarras du candidat de Chasse, Pêche Nature Traditions, dont le programme culturel se résume à la défense des traditions locales (corridas, combats de coqs…).

Pour la gratuité des musées
À la lecture des différentes réponses des candidats, un large consensus émerge sur le sujet de l’éducation artistique. L’enseignement de l’art par des artistes à l’école, au collège et au lycée, est d’ailleurs considéré comme une priorité par 31 % des personnes interrogées par l’institut de sondage Ifop. Pour la majorité des candidats, cet enseignement doit intervenir dès l’école élémentaire, voire à la maternelle (Ségolène Royal). Nicolas Sarkozy se prononce quant à lui pour un rapprochement des ministères de la Culture et de l’Éducation nationale. Si, dans sa réponse au JdA, il évite de parler d’une fusion, l’idée a pourtant été lancée en janvier 2006 lors de la convention Culture de l’UMP, et a été à nouveau évoquée le 2 avril dans le cadre d’une présentation de sa conception de l’organisation gouvernementale. François Bayrou se dit hostile à cette idée et propose, au contraire, de réformer le ministère de la Culture. Ségolène Royal a, de son côté, insisté sur l’importance d’un partenariat entre les deux ministères, saluant le plan « Les arts à l’école » mis en place par Jack Lang et Catherine Tasca en 2001, « littéralement sabordé » par les gouvernements de droite. Marie-George Buffet et François Bayrou se sont prononcés pour l’intervention des artistes à l’école. Par ailleurs, des partenariats avec les associations d’éducation populaire et les collectifs d’artistes sont encouragés par Dominique Voynet, tandis que Nicolas Sarkozy évoque le développement de jumelages entre établissements scolaires et institutions culturelles.

Pour tous les candidats, l’éducation artistique est considérée comme le préalable indispensable à la démocratisation culturelle. Parmi les solutions envisagées, la gratuité de l’entrée au musée refait surface. Selon l’Ifop, 39 % des Français y sont favorables. Nicolas Sarkozy reprend cette idée à son compte, mais souhaiterait l’appliquer aux seuls musées nationaux, sans concertation avec les musées dépendant des collectivités locales. Il n’en précise pas les modalités, définies pourtant comme suit par la direction des études de l’UMP : gratuité totale en faveur des moins de 25 ans et un seul jour par semaine pour tous (2). Le PS ne se dit pas favorable à une mesure de gratuité universelle, mais promeut de longue date la gratuité du dimanche. Cette prise de position diverge, notamment, de celle du Maire de Paris, Betrand Delanoë (PS).

Obligation de résultat
Autre piste envisagée pour pallier l’échec de la démocratisation culturelle – échec jugé relatif par Ségolène Royal et Dominique Voynet – : la création de nouveaux lieux, espaces d’échanges, de rencontres et de savoir. De son côté, la candidate socialiste s’est prononcée pour la mise en place d’un « Conseil supérieur des savoirs, des arts et des sciences », qui constituerait une force de proposition placée directement auprès du chef de l’État (Les Inrockuptibles, no 589, 13 mars 2007). Olivier Besancenot voudrait imposer un pourcentage locatif culturel aux collectivités, sur le modèle du quota de logements sociaux prescrit par la loi SRU. Jean-Marie Le Pen et Nicolas Sarkozy vantent les mérites d’un « chèque culture », tandis que Philippe de Villiers souhaiterait ouvrir, dans chaque département et pendant les vacances scolaires, des « écoles du patrimoine ». L’idée d’un aménagement culturel du territoire n’est toutefois que rarement évoquée, sauf chez la candidate socialiste et le représentant de l’UDF, lequel veut relancer le chantier de la décentralisation culturelle. Ce dernier dénonce par ailleurs la fracture culturelle territoriale. Dans ses déclarations publiques, Nicolas Sarkozy se contente pour sa part de promouvoir la création d’antennes de musées parisiens en régions et la circulation des grandes expositions de la capitale.

En matière de financement de la culture, tous déclarent vouloir augmenter le budget du ministère.
Attendons de voir ce qu’il en sera effectivement ! Lors de son escapade nantaise, Ségolène Royal a déclaré vouloir retrouver « le souffle culturel du 10 mai 1981 » et se donner les moyens de le financer. Le candidat de l’UMP juge insuffisant le 1 % budgétaire et déclare vouloir éviter de jouer « sur les “périmètres” », mécanique pourtant rodée par l’actuel locataire de la Rue de Valois. Il souhaite toutefois réduire les dépenses de fonctionnement du ministère sans en préciser les modalités. L’UDF propose d’en faire un secteur prioritaire en termes de financement. Gérard Schivardi, toujours en campagne contre l’Union européenne (UE), argue pour sa part de l’impossibilité d’augmenter ce budget à cause du Pacte de stabilité. L’extrême gauche se veut plus précise et avance des chiffres. Marie-George Buffet aimerait que ce budget atteigne 1 % du PIB (produit intérieur brut), ce qui représenterait 3 milliards d’euros supplémentaires. Cette idée est reprise par José Bové et Olivier Besancenot, lequel surenchérit à 2 % du PIB ! Le consensus bute toutefois sur la question des grands travaux. Si le PS est modéré sur ce point – en rupture avec les années Miterrand ? –, Nicolas Sarkozy s’emballe et reprend par le menu les grandes annonces du Premier ministre, Dominique de Villepin (« Centre européen de création contemporaine » sur l’île Seguin, création d’un centre dédié à la photographie à Cherbourg, rénovation et extension du centre d’art Le Consortium à Dijon…). L’extrême droite se dit hostile au projet du Louvre-Abou Dhabi et réclame un audit sur le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée). Olivier Besancenot rêve pour sa part d’un « musée des cultures urbaines ».

Réagissant à l’intervention du secteur privé dans le domaine culturel, l’extrême gauche et Gérard Schivardi s’opposent, seuls, au développement du mécénat et des incitations fiscales. Ségolène Royal, François Bayrou, Dominique Voynet et Nicolas Sarkozy avancent prudemment sur ce terrain, rappelant dans leurs réponses la nécessité d’un équilibre entre financements privés et publics. Le programme du candidat de l’actuelle majorité est pourtant plus tranché sur ce point. Il se dit en effet favorable à la levée de tous les obstacles au mécénat et prévoit la mise en place d’une obligation de résultat pour les établissements publics culturels.

Manque d’ambition
Autre sujet clef : le soutien à la création. La question de la transparence de l’attribution des aides préoccupe Dominique Voynet, qui souhaite associer des représentants du public aux commissions d’experts. Dans le cadre d’un débat public organisé le 4 avril au Sénat par la revue trimestrielle Arearevue)s(, le PS a soutenu l’idée de « nominations de compétence », c’est-à-dire de l’intervention d’artistes dans les choix de politique culturelle. Nicolas Sarkozy propose de créer des agences indépendantes (composées d’experts, d’artistes et de représentants du public) pour l’attribution des aides aux artistes, sur le modèle anglo-saxon. Dans son programme, le Front national est plus virulent lorsqu’il dénonce le clientélisme et affirme vouloir procéder à un bilan de l’activité des établissements et fonds d’intervention en matière culturelle. Jean-Marie Le Pen promeut toujours l’exception culturelle (redéfinie à l’Unesco sous le vocable « diversité culturelle »), qu’il définit comme « préférence nationale appliquée à la culture ». Philippe de Villiers s’intéresse peu à la création contemporaine et soutient dans son projet un « art enraciné et libéré du “culturellement correct” », misant principalement sur le sauvetage du patrimoine.

Force est de constater que, dans cette mosaïque de propositions, aucune conception neuve de la politique culturelle française n’émerge, ni dans sa dimension européenne et internationale, ni dans son rôle d’animation au niveau local. Une fois de plus, le maroquin de la culture risque d’être attribué à un fidèle lieutenant de campagne, trop éloigné du monde de la culture pour en porter une vision ambitieuse.


(1) Sondage réalisé sur un échantillon de 954 personnes, du 26 au 28 mars 2007 pour Arearevue)s( et Acteurs Publics.
(2) Culture, l’heure du nouveau souffle, document réalisé par la direction des études de l’UMP, janvier 2006.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Flou artistique

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