Olivier Besancenot, LCR (Ligue communiste révolutionnaire)

« L’artiste, un travailleur »

Le Journal des Arts

Le 2 août 2007 - 1388 mots

Quel doit être selon vous le rôle du ministère de la Culture ? Quel budget souhaitez-vous lui accorder ?
Le ministère de la Culture, dont le budget n’a quasiment jamais atteint 1 % du budget de l’état, doit voir ses moyens nettement accrus (2 % du PIB, [produit intérieur brut]), et ses missions d’aide et de soutien précisées (notamment en faveur des secteurs les plus fragiles – court-métrages, arts plastiques et graphiques, spectacle vivant, etc.). Le rôle d’un ministère de la Culture doit être, bien sûr, de soutenir, développer et favoriser l’accès à la culture pour toutes et tous, d’assurer les moyens de la création pour les artistes et techniciens (tant en termes salariaux qu’en termes techniques ou de locaux), mais aussi d’initier, en lien par exemple avec l’Éducation nationale, un véritable travail d’éducation populaire, comme le prévoyait le projet initial du ministère…
 
Sous quelles formes l’État doit-il soutenir la création contemporaine ? Comment concevez-vous le rôle de l’artiste dans la société ?
L’artiste est un créateur, un passeur, un expérimentateur, mais c’est aussi un travailleur, et donc, son travail, son salaire ou son revenu, ses conditions de travail aussi, doivent être garantis et soutenus par l’État (et notamment, par la réforme de la Maison des Artistes, l’abrogation du protocole d’accord sur le régime de l’intermittence, la transformation en CDI des contrats de travail des « permittents »). C’est la création d’un véritable service public de la culture, financé à hauteur des enjeux, qui permettra de donner accès à toutes et tous à la culture. Si l’on ne prend qu’un exemple, la révolte des banlieues en 2005, comment s’en étonner  si, en dehors même de la précarité et des conditions de vie dans les quartiers, personne n’a accès là-bas à la culture (ni comme spectateur, ni comme créateur). La culture n’est pas un remède à la précarité, mais, pour reprendre la belle phrase de Marcuse, « l’art ne peut pas changer le monde, mais il peut aider à la prise de conscience de ceux qui veulent le changer »…

Les différents plans de relance de l’éducation artistique se sont jusqu’à présent soldés par des échecs. Comment améliorer le dialogue avec le ministère de l’Éducation nationale afin de développer l’enseignement artistique à l’école ?
Tout d’abord, il faut bien évidemment passer par un plan de formation des enseignants eux-mêmes, et donc, maintenir la gratuité des musées pour les enseignants (remise en cause au Louvre par exemple). Ensuite, ne plus concevoir la culture comme une simple « option », un supplément d’âme, mais comme l’un des moyens fondamentaux de l’ouverture sur le monde, de l’apprentissage de l’esprit critique. Ainsi, la culture ne devra plus être enseignée comme une simple valorisation mémorielle d’un patrimoine ancien, mais comme un lieu d’échange, de dialogue entre l’ancien et le moderne, entre cultures d’ici et cultures d’ailleurs. Le rap, les arts de la rue, les arts graphiques contemporains, le bagage culturel des élèves eux-mêmes, tout cela devra être inclus dans un plan pédagogique d’ampleur, pour réconcilier enseignés et enseignants, pour que chacun s’approprie la culture, sa culture, enrichie par celle des autres.

L’État doit-il faire appel au secteur privé pour financer son action en faveur de la culture ?
Malheureusement, c’est déjà le cas : des fondations privées se créent un peu partout, lubies de grands patrons pour mettre en valeur leur entreprise bien plus que pour aider à la diffusion des arts. De récents exemples de censures d’expositions (pour ne pas déplaire aux commanditaires…) ont montré les limites du « patronage privé », du mécénat. Il faut au contraire développer le secteur public de la culture, mais aussi le secteur associatif, indépendant et non commercial, véritable vivier de création, pourtant constamment au bord de l’étranglement financier. Permettre donc, à ce « tiers secteur culturel » d’avoir les moyens de créer, partager, exposer, plutôt que de privilégier des partenariats public-privé où les intérêts financiers prennent le pas sur l’idée culturelle.

Êtes-vous favorable à des avantages fiscaux pour encourager la culture ? Si oui, lesquels ? Pensez-vous que les œuvres d’art doivent être prises en compte dans l’assiette de l’ISF ?
Non, nous ne sommes pas pour encourager fiscalement, mais pour encourager politiquement, financièrement. Les deux principaux acteurs de la culture que sont l’État (et les collectivités territoriales) et le secteur associatif ne doivent pas être dessaisis au profit d’investisseurs privés, avantagés fiscalement. Ce sont au contraire ces associations, coopératives, qui doivent recevoir du soutien : il s’agit donc surtout de lutter contre la concentration entre les mains des grands groupes pluri-médias « diffuseurs de culture » (presse, édition, télévision, radio, etc.), mais aussi de soutenir activement, financièrement et à tous les échelons (municipal, départemental, régional, national et même européen), les lieux de diffusion et de création, associatifs, ou non marchands, en assurant et en élargissant le niveau d’engagement public. Les travaux de mise aux normes sonores pour les salles de concert, par exemple, pourront être pris en charge par un véritable service public de la culture, sur le principe de ce qui existe pour les salles de cinéma.
Concernant l’ISF, nous ne sommes certainement pas favorables à ce que les œuvres d’art deviennent des investissements fiscaux permettant à quelques millionnaires de se dédouaner fiscalement à bon compte en achetant quelques tableaux. La culture est et doit rester un bien commun, certainement pas une marchandise fiscale !

Comment remédier à l’échec de la démocratisation culturelle ?
La démocratisation culturelle ne doit pas, ne peut pas, être une simple action passive : on installe un lieu de création, posé, figé, dans telle ville ou telle région, et on attend que les gens viennent. Il faut se donner tous les moyens (y compris financiers) pour que la culture aille vers les citoyen-ne-s, et que les citoyen-ne-s aillent vers la culture.
L’idée d’une culture « hors les murs », vivante, agissante, est l’une des solutions de l’amélioration de la démocratisation culturelle. Faire sortir la culture dans la rue, dans les quartiers, partout. L’une des mesures que nous proposons, est, sur le même principe que la loi SRU (1) sur le logement social, d’inscrire comme obligation auprès des collectivités territoriales un pourcentage locatif culturel : ainsi, chaque municipalité ou agglomération se verra obligée de créer et entretenir des lieux de diffusion, d’éducation et de création, libres et gratuits, accessibles à toutes et à tous.

Quelle est votre position sur les grands travaux de musées en cours (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée [Mucem] à Marseille, île Seguin…) ? Souhaitez-vous encourager un projet en particulier ?
Si je devais soutenir un projet, je soutiendrais sûrement l’idée d’un musée des cultures urbaines (rap, graffs, etc.), pour faire en sorte que la culture, encore une fois, ne soit pas cantonnée à la valorisation d’un patrimoine du passé, mais fonctionne en allers-retours constants, [qu’elle soit] ouverte sur le monde et son actualité.

Êtes-vous collectionneur ? Si oui, dans quelle spécialité ? Quelle exposition vous a marqué récem­­ment ? Quel est votre musée préféré ? Quel est votre artiste préféré ?
Non seulement je n’ai pas les moyens d’être collectionneur, mais si je les avais, je préférerais laisser les œuvres d’art accessibles au plus grand nombre dans des musées publics, et certainement pas chez moi (trop petit de toute façon…). Malheureusement, entre mon boulot à la Poste, mes activités militantes, ma famille et mes amis, je n’ai que peu de temps pour aller dans des musées, et je vais surtout écouter des concerts. Du peu que je connaisse, je trouve que la recherche de Jean-Michel Basquiat sur le mélange cultures du monde (haïtienne, portoricaine), culture urbaine (tags) était très intéressante. Mais j’avoue que je ne m’y connais pas assez. Je n’ai justement pas eu suffisamment accès aux musées et aux expos pour y avoir été sensibilisé très tôt…

(1) loi no 200-1208 du 13 déc. 2000, qui oblige les communes de plus de 3 500 habitants de disposer de 20 % de logements sociaux [NDLR].

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°257 du 13 avril 2007, avec le titre suivant : Olivier Besancenot, LCR (Ligue communiste révolutionnaire)

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