Polémique

Chasse aux sorcières

Par Daphné Bétard · Le Journal des Arts

Le 27 juillet 2007 - 804 mots

Michel Laclotte, Françoise Cachin et Roland Recht ont été écartés d’organes consultatifs des musées nationaux. Pierre Georgel, directeur du Musée de l’Orangerie, a été mis à pied.

PARIS - À l’approche des élections présidentielles, la Rue de Valois semble décidée à régler ses comptes. En effet, le ministère de la Culture ne ménage pas ceux qui ont osé s’opposer à ses projets ou, tout simplement, exprimer leurs idées. Ainsi Michel Laclotte, père fondateur du Grand Louvre, et Françoise Cachin, ancienne directrice des musées de France, n’ont-ils pas été renouvelés au Conseil artistique des Musées nationaux. Au mépris des règles de la bienséance, la Direction des Musées de France (DMF), chargée d’exécuter les basses œuvres du ministère, a prévenu les intéressés par coursier, le 20 mars au soir, la veille d’une réunion de ce Conseil. Difficile de ne pas faire le lien avec leur prise de position contre l’installation du Louvre à Abou Dhabi (lire les JdA n°249, 15 décembre 2006, et n°255, 16 mars 2007). Cosignataire avec Jean Clair et Roland Recht d’une tribune dans
Le Monde (12 décembre 2006), Françoise Cachin est à l’origine du vaste mouvement mené contre cette opération. Quant à Michel Laclotte, il avait, dans un point de vue modéré paru dans Libération (29 janvier 2007), rappelé que, contrairement à ce que le laissait entendre le ministère, les réserves du Louvre n’étaient pas inépuisables. Roland Recht, professeur au Collège de France, n’a pour sa part pas été renouvelé à la Commission des acquisitions du Musée du Louvre, et attend actuellement d’être reconduit au Conseil d’administration de l’École du Louvre… Après avoir imposé son projet à Abou Dhabi, et ce, malgré l’opposition de nombreux scientifiques et intellectuels, le ministère rappelle aujourd’hui à l’ordre les brebis égarées. Le cabinet du ministre assure pourtant « avoir agi avec neutralité et objectivité. Ces décisions de non-renouvellement étaient prises avant même la pétition ». Chez les universitaires et conservateurs, c’est la consternation. « On a le sentiment que le ministère bénéficie d’une immunité totale. Ils font ce qu’ils veulent avec un mépris affiché pour ce que nous représentons, c’est affligeant », se désole l’un d’eux. « Tous ceux qui refusent de porter le discours officiel sont immédiatement sanctionnés », ajoute un autre, reconnaissant tout de même qu’« il faudrait une révolte générale, mais personne ne bouge ».

L’Orangerie rattachée à un autre établissement ?
Le cas de Pierre Georgel, directeur du Musée de l’Orangerie, est quelque peu différent, mais les méthodes sont les mêmes. Après une altercation avec la secrétaire générale de l’établissement, le conservateur a été suspendu de ses fonctions le 12 février dernier, à seulement sept mois de la retraite, pour nuisance « au bon fonctionnement du service public ». Le ministère explique cette mise à pied par le fait que Georgel aurait agressé deux agents, ce que l’intéressé réfute. « Depuis deux ans, il était dans la ligne de mire de Francine Mariani-Ducray [directrice des Musées de France]. Il a répondu à une ultime provocation dont elle s’est immédiatement emparée », s’insurge l’un de ses collaborateurs. Ce qui lui a valu les foudres de sa hiérarchie ? Avoir désavoué la manière dont le ministère (alors dirigé par Jean-Jacques Aillagon) a réglé le sort du mur d’enceinte de Charles IX découvert lors des travaux de rénovation de l’Orangerie. Cette question a été lamentablement résolue dans l’urgence et a abouti à la conservation d’un bout insignifiant de l’enceinte (aujourd’hui maladroitement présentée) contre l’avis des experts et de Georgel. Lors de la réouverture de l’Orangerie en mai 2006, ce dernier avait reçu pour consigne – de la DMF – de se taire, ce qu’il avait fait savoir à travers une lettre distribuée à la presse. Le directeur est désormais placé en quarantaine et les personnels sont tenus de ne pas communiquer avec lui. Cette situation met évidemment en péril les expositions prévues au printemps – l’une du sculpteur Alain Kirili, l’autre autour de la Jeune fille au piano de Renoir, sur laquelle l’équipe scientifique du musée travaille depuis quatre ans –, tout comme la série de publications autour de la collection Walter Guillaume.
Mais la DMF nourrit d’autres ambitions pour l’établissement. Elle réfléchirait sérieusement à rattacher le Musée de l’Orangerie, convoité pour l’importance de ses recettes, à l’un des deux établissements voisins, Orsay ou, plus vraisemblablement encore, le Louvre. En attendant, le Musée de l’Orangerie est mis à contribution pour de vastes opérations de privatisation. Le 27 février dernier,  la salle des Nymphéas a ainsi accueilli la nouvelle collection de joaillerie de la maison Dior.
Les options actuelles de Renaud Donnedieu de Vabres, qui s’est déclaré prêt à reprendre du service à la Culture si Nicolas Sarkozy (UMP) etait élu, les pratiques de la DMF, le manque flagrant de respect dû aux scientifiques inquiétent aujourd’hui de plus en plus le monde des musées et du patrimoine.

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°256 du 30 mars 2007, avec le titre suivant : Chasse aux sorcières

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