Art ancien

Siècle d’or - Velázquez, demi-rétrospective

Velázquez, entre spécialistes

Le Grand Palais réunit des chefs-d’œuvre du grand peintre espagnol, malheureusement desservis par une présentation enfermée dans un débat de spécialistes

Par Vincent Noce · Le Journal des Arts

Le 7 avril 2015 - 844 mots

PARIS

Difficile de rivaliser avec la magistrale rétrospective du Musée du Prado à Madrid en 1990. Au Grand Palais, cette première exposition consacrée au maître espagnol en France n’évite pas les écueils. Le travail scientifique dont a fait l’objet l’important corpus dilué par les œuvres de suiveurs, avec des attributions hasardeuses, tend à laisser le grand public sur le bas-côté.

PARIS - Le pari d’exposer Diego Rodríguez de Silva y Velázquez (1599-1660) au Grand Palais est à demi-réussi. À sa décharge, il tient du défi impossible. Ce peintre immense est le grand ignoré des collections françaises, comme l’analyse Véronique Gerard Powell dans le catalogue. Il est impossible d’approcher la rétrospective de 1990 au Prado (Madrid), qui réunissait les quatre cinquièmes de son œuvre. En fin de parcours, le conservateur du Louvre, Guillaume Kientz, qui signe sa première grande rétrospective, doit tirer à la ligne avec des tableaux de l’entourage, dont fait partie Martínez del Mazo, peintre superficiel sur lequel il insiste.

Vénus à son miroir, le Portrait du pape Innocent X, le portrait équestre de l’infant, celui de l’inquisiteur – redécouvert par le spécialiste Jonathan Brown –, quelques natures mortes, son Démocrite confronté au même sujet abordé par Rubens, un peu de sculpture qui vient à point nommé… On comprend Véronique Powell, qui a catalogué la collection du Louvre, quand elle dit son « plaisir de voir ces grands tableaux espagnols à Paris », et son admiration devant « l’ambition d’un jeune conservateur d’aborder aussi franchement cet œuvre ».

Le public néanmoins n’est pas le premier invité à la fête. Alourdi par la scénographie, le parcours mélange le mieux et le moins bien, le génie et les proches, le sûr et l’incertain. Ces croisements, qui passionnent le petit cercle des spécialistes, peuvent déconcerter les visiteurs, d’autant plus qu’ils se fondent sur des propositions de datation et d’attribution, à coups d’arguments stylistiques plus ou moins heureux.

Jeux d’intuition
Guillaume Kientz voit ainsi un Velázquez dans le Philippe IV en chasseur, venu de Castres, en raison de la qualité de certaines parties. Le visage est faible, et le paysage pas formidable. Sa conclusion peut ainsi fort bien être renversée : il pourrait s’agir d’un travail d’élève, dont le maître a raccourci le canon de l’arquebuse, repris la crosse ou ajouté un gant, en guise de leçon. La proposition d’offrir à Mazo l’Infante Marie Marguerite du Louvre n’est guère convaincante devant le tableau restauré. Ce conservateur âgé de 35 ans affiche ainsi son vœu de « faire bouger les lignes ». Il a emprunté à la cathédrale de Tolède le Saint Jean-Baptiste de Bartolomeo Cavarozzi, convaincu que cette scène caravagesque a pu « stimuler » Velázquez. Rien cependant n’indique que le peintre espagnol a pu la voir. Qu’à cela ne tienne : « On imagine mal comment il pût résister à la tentation » de se rendre à Tolède…, et : « il est ainsi très crédible de penser que le jeune Sévillan pût voir le tableau dans la cathédrale lors de ce séjour supposé ». Le rapprochement, vraiment raté, de la Vénus au miroir avec une statue d’hermaphrodite, sous le prétexte d’un jeu entre le caché et le visible, illustre la faiblesse de cette argumentation, fondée sur l’intuition.

Pour le public non averti, l’exposition mentionne à peine le contexte historique – sans doute faut-il y voir un élément de ce « retour à la peinture » que réclame Guillaume Kientz dans sa monographie éditée en parallèle. Il aurait été utile de rappeler la dispute autour de la croyance à l’Immaculée Conception de la Vierge, qui aurait renforcé une première salle, vraiment réussie. On y retrouve une Immaculée Conception de jeunesse, très discutée à sa réapparition en 1990. Elle est désormais unanimement reconnue, comme le relève Odile Delenda dans le catalogue raisonné de López Rey réactualisé. Codifiées par Francisco Pacheco, le grand théoricien de l’art et protecteur du jeune homme, ces compositions servaient de propagande dans cette bataille qui agita Séville : en 1614, le prêche d’un dominicain, récusant une naissance de la Vierge sans péché originel, avait déclenché des émeutes. La cité ravie aux Maures, dans laquelle une soixantaine de couvents et une trentaine de paroisses se disputaient les quartiers, fut prise d’une hystérie collective autour de la pureté originelle. Les processions religieuses, défilés équestres, pièces de théâtre devant les églises et mascarades estudiantines culminèrent de 1615 à 1617. Cet épisode a profondément marqué la jeunesse des peintres du Siècle d’or. La place du théâtre n’est pourtant pas illustrée, ce qu’aurait permis le merveilleux portrait d’un homme jouant la comédie à la cour. De même, les intrigues d’une monarchie déclinante, conduisant Velázquez à de subtils équilibres, auraient pu être mieux évoquées. On ne sent pas ici le grand maître des palais royaux. Comme l’écrit Jonathan Brown dans le catalogue, nommé peintre du roi en 1623, la mission première du jeune artiste « était de renouveler l’image de la monarchie espagnole, c’est-à-dire d’en présenter un visage autre que celui de l’effondrement d’un règne »

Velázquez

Commissaire : Guillaume Kientz, conservateur au Musée du Louvre
Nombre d’œuvres : 119

DIEGO VELAZQUEZ

Jusqu’au 13 juillet
Galeries nationales du Grand Palais, 3, av. du Général-Eisenhower, 75008 Paris
tlj sauf mardi 10h-20h, du mercredi au samedi jusqu’à 22h, entrée 13 €
www.grandpalais.fr
Catalogue, éd. Louvre/RMN-GP, 408 p., 50 €.
Lire aussi Velázquez, l’affrontement de la peinture, de Guillaume Kientz, éd Cohen & Cohen ; le catalogue raisonné de López Rey, rééd. Taschen/Wildenstein Institute, et la prose d’Élie Faure rééditée chez Équateurs.

Légendes photos
Diego Velázquez, Démocrite, vers 1627–1638, huile sur toile, 101 x 81 cm, Musée des beaux-arts, Rouen. © Photo RMN/Gérard Blot.

Diego Velázquez, Portrait de l’infante Marguerite en bleu, vers 1659, huile sur toile, 127 x 106 cm, Kunsthistorisches Museum, Vienne. © Kunsthistorisches Museum, Vienne.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°433 du 10 avril 2015, avec le titre suivant : Velázquez, entre spécialistes

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