5 clefs - La peinture baroque

Par Bertrand Dumas · L'ŒIL

Le 17 février 2015 - 881 mots

Cinq tableaux baroques, choisis parmi les cinq expositions sur la peinture européenne au XVIIe qui se tiennent actuellement à Paris et à Amsterdam, donnent les clefs pour interpréter le style dominant de l’époque.

1. Les courbes
Diego Velázquez

Peint en 1650, La Vénus au miroir, chef-d’œuvre profane de Velázquez, représente une femme nue tournant le dos au spectateur. La position, inédite jusque-là, offre au peintre sévillan l’avantage d’exploiter à son maximum le réseau de courbes et de contre-courbes qui dessine le corps lascif du modèle. Celui-ci, délicatement vallonné, exhibe ses reliefs admirables : les voûtes plantaires, le dos des articulations, le pli des fesses, le creux des reins, des vertèbres et de la nuque. Au Grand Palais où le tableau est actuellement visible, l’œil se promène sur la ligne serpentine qui va des orteils au coude replié. Elle divise la toile en deux parties égales suivant l’oblique du corps tout entier, sans doute la plus sensuelle diagonale de la peinture occidentale. Les ondulations anatomiques impriment celles des draperies. Cupidon tenant le miroir est lui-même tout en rondeur juvénile. Lui répond la souplesse du pinceau de Velázquez qui manie la courbe, comme l’architecte, la volute, comme l’ornemaniste, l’arabesque, autant de formes et de dessins qui caractérisent l’art baroque.

2. Le clair-obscur
Rembrandt

Une femme au bain, le regard triste, tient une lettre. Il s’agit de Bethsabée affligée par la missive reçue de David la pressant de le rejoindre. Le roi est tombé amoureux de la belle depuis qu’il l’a aperçue prenant son bain depuis la terrasse de son palais. Bien que mariée au général de l’armée, elle n’aura d’autre choix que de se plier au désir royal. Contrairement à l’iconographie traditionnelle, Rembrandt choisit de ne pas représenter David pour focaliser l’attention sur Bethsabée qu’il décale volontairement sur la partie droite du tableau, là où tombe la lumière. Celle-ci se réfléchit sur le linge blanc illuminant les carnations qui définissent un halo de lumière s’assombrissant jusqu’au noir absolu de l’arrière-plan. Le contraste provoqué, que l’on nomme aussi clair-obscur, participe à la dramatisation de la scène. L’artifice baroque n’a pas son pareil pour mettre la couleur au service de la tragédie. Il est une constante dans l’œuvre tardif de Rembrandt qui fait l’objet d’une ambitieuse exposition au Rijksmuseum d’Amsterdam.

3. L’expression
Caravage

Prêté par la Fondation Roberto Longhi, à Florence, Le Garçon mordu par un lézard est actuellement visible au Musée Jacquemart-André (Paris). Peint vers 1594, il est l’un des tout premiers tableaux connus de Caravage, alors âgé d’une vingtaine d’années. Déjà, les éléments de son style novateur sont en place : « Le jeu insistant des gestes et des regards qui prennent à témoin le spectateur, le fond neutre et l’éclairage oblique qui projette la figure sur le devant du tableau, ainsi que ce mélange unique de vérité et de sophistication extrême » (Hilaire, 2012). Ce dernier aspect est ici traduit de manière exemplaire avec l’expression outrancière et le geste affecté du garçon mordu par un lézard alors qu’il tentait de s’emparer d’un fruit. Caravage peint, sous les traits d’un jeune éphèbe, le portrait allégorique de la douleur physique. Celle-ci atteint son paroxysme dans la terrifiante Tête de Méduse dont le hurlement cristallise ses recherches sur l’expression des émotions. D’autres peintres baroques ne tarderont pas à l’imiter.

4. Le réalisme
Jusepe de Ribera

Après Caravage, qui le premier peupla ses tableaux d’histoire de personnages issus des quartiers populaires de Rome, Ribera, innove à son tour, en peignant, avant 1615, ses premiers portraits d’indigent tel le Mendiant exposé actuellement au Petit Palais. En effet, « jamais auparavant on n’avait fait d’un personnage si humble et marginal le protagoniste essentiel d’un tableau », affirme Gianni Papi, spécialiste du peintre espagnol. Arrivé très jeune en Italie Ribera peint son mendiant de « manière aussi monumentale qu’il aurait peint un philosophe ». Il n’y a pourtant aucun doute sur la condition du personnage tenant un chapeau pour faire l’aumône. L’artiste pousse le réalisme à l’extrême en représentant les stigmates de la pauvreté : vêtements à l’état de haillons, peaux et ongles sales, traits du visage et regard éprouvés par la vie dans la rue. La frontalité du portrait renforce la rencontre abrupte avec une réalité d’autant plus troublante que le tableau appartenait au cardinal Scipione Borghese, de son temps, l’homme le plus puissant de Rome.

5. L’exubérance
Stefano Della Bella

Le prestige de la Renaissance à Florence a durablement éclipsé la production artistique locale postérieure, en particulier la peinture baroque que l’on redécouvre aujourd’hui à sa juste mesure. La sélection de dessins florentins du XVIIe siècle actuellement présentée à l’École de beaux-arts de Paris témoigne de l’intérêt de cette réévaluation que l’on apprécie, par exemple, au regard des dessins préparatoires de Stefano Della Bella (1610-1664) pour des décors éphémères dans Florence, mais aussi de machineries et de costumes. L’artiste avait placé ses talents de décorateur au service de Ferdinand II de Médicis (1621-1670). Sous son règne, la cité est le lieu de fêtes organisées pour tous les faits marquants de la cour (naissances, mariages, entrées solennelles, funérailles). Des carrousels sont organisés pour les cérémonies les plus fastueuses. Della Bella y prend part en inventant pour les cavaliers des armures de parade et des casques empanachés à l’allure orientale tout aussi exubérante que la créativité baroque de leur concepteur.

« Velázquez », du 25 mars au 13 juillet 2015. Galeries nationales du Grand Palais, 3, avenue du Général-Eisenhower, Paris-8e. Ouvert dimanche et lundi de 10 h à 20 h et du mercredi au samedi de 10 h à 22 h. Tarifs : 13 et 9 €. Commissaire : Guillaume Kientz. www.grandpalais.fr

« De Giotto à Caravage. Les passions de Roberto Longhi », du 27 mars au 20 juillet 2015. Musée Jacquemart-André, 158, bd Haussmann, Paris-8e. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h. Nocturne lundi et samedi jusqu’à 20 h 30. Tarifs : 12 et 10 €. Commissaires : Mina Gregori, Maria Cristina Bandera et Nicolas Sainte Fare Garnot. www.musee-jacquemart-andre.com

« Rembrandt. Les années de plénitude », jusqu’au 17 mai 2015. Rijksmuseum, Museumstraat 1, Amsterdam (Pays-Bas). Ouvert tous les jours de l’année de 9 h à 17 h. Tarif : 17,50 €. Commissaires : Gregor J.M. Weber et Jonathan Bikker. www.rijksmuseum.nl

« Le baroque à Florence », jusqu’au 17 avril 2015. Cabinet des dessins Jean Bonna, École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, 14, rue Bonaparte, Paris-6e. Ouvert du lundi au vendredi de 13 h à 18 h. Tarif : 3 €. Commissaire : Emmanuelle Brugerolles. www.beauxartsparis.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°677 du 1 mars 2015, avec le titre suivant : 5 clefs - La peinture baroque

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